Les Femmes autochtones du monde entier se tournent vers les instruments internationaux pour faire valoir leurs droits

À l’occasion de la deuxième journée de la Conférence mondiale des Femmes autochtones, les dirigeantes autochtones ont discuté des droits qui leur sont reconnus dans les traités et accords internationaux, malgré le cadre colonial et patriarcal d’où ceux-ci émergent. Pour les Femmes autochtones, ces instruments représentent des mécanismes de pression pour revendiquer leurs droits devant les États et leurs propres peuples. Elles reconnaissent néanmoins qu’il y a encore beaucoup de résistance.

Carmen González Benicio, de Tlapa, Guerrero, au Mexique
Avec les instruments internationaux, nous pouvons souligner, défendre, revendiquer et faire appliquer les droits fondamentaux des Femmes autochtones et de nos peuples. C’est là le message qu’ont lancé des militantes et défenseures de droits dans le cadre de la Deuxième Conférence mondiale des Femmes autochtones, Ensemble pour le bien-être de la Terre-Mère, en sa deuxième journée de discussion le jeudi 19 août.
Dans le panel principal, « Du niveau local à la scène mondiale : le rôle des Femmes autochtones dans le suivi et la mise en œuvre des instruments internationaux », la militante Eleanor Dictaan-Bang-oa, du Réseau des femmes autochtones d’Asie, a déclaré que, quoiqu’ils émergent d’un cadre colonial, les instruments internationaux représentent d’importantes réalisations du mouvement autochtones, car « ils servent de plateforme pour interagir avec les gouvernements et avec les communautés elles-mêmes ».
La Convention de Vienne de 1969 définit un instrument international comme tout accord signé entre deux ou plusieurs États ou sujets de droit international qui crée des obligations juridiques pour ses signataires. Les Femmes autochtones utilisent comme outils de plaidoyer pour la défense de leurs droits des instruments tels que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), et les Recommandations ou Objectifs de développement durable, entre autres.
Ces instruments sont le fruit d’années de travail mené par des organisations de Femmes autochtones œuvrant pour déconstruire le cadre colonial et patriarcal, comme l’a affirmé Victoria Tauli Corpuz, leader du peuple Kankana-ey Igorot des Philippines. Cette dernière, qui a occupé des postes hauts placés aux Nations Unies, y compris celui de rapporteuse spéciale pour les peuples autochtones jusqu’à l’an dernier, a rappelé que la table de négociation de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones avait était « un espace dominé par les hommes ».
« Au comité de rédaction de la Déclaration, nous étions quelques femmes très fortes, mais il n’a pas été facile de faire inclure les articles 21 et 22, qui font directement référence aux Femmes autochtones, car certains hommes s’y résistaient. » Elle s’est par ailleurs rappelé le message que lui avait lancé un membre de la Coordination des organisations autochtones du bassin de l’Amazone (Coordinadora de las Organizaciones Indígenas de la Cuenca Amazónica – COICA) : « Vicky, il faut choisir : soit faire respecter les droits culturels des Peuples autochtones, soit simplement insister sur les droits des Femmes autochtones. »
Tauli-Corpuz a souligné que les deux droits sont des droits collectifs qui ne sont pas mutuellement exclusifs. Heureusement, il y a aujourd’hui parité entre femmes et hommes à l’Instance permanente des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et dans le Mécanisme d’experts.
Réalisations et défis
Tauli-Corpuz a présenté quelques exemples où les Femmes autochtones avaient utilisé les instruments internationaux en leur faveur. Elle a mentionné le cas de la Canadienne Sandra Lovelace qui, en 1977, s’est adressée au Comité des droits de la personne pour récupérer sa citoyenneté d’autochtone malécite, qui lui avait été refusée parce qu’elle avait épousé un homme non autochtone. Lovelace a déposé une pétition auprès du Comité des droits de la personne en faisant valoir que la loi ne privait de leur statut d’autochtone que les femmes, et elle a gagné.
Son cas a marqué un tournant important pour l’élimination des discriminations de genre dans la loi canadienne, remettant également en cause la hiérarchie de genre traditionnelle au sein même de la tribu malécite.
L’exemple de Lovelace a été suivi par d’autres Femmes autochtones, du Canada à la Thaïlande, en passant par l’Australie. « Même sur une route semée d’obstacles et de difficultés, il est possible de faire front commun pour défendre nos droits, en écrivant et en s’adressant aux Nations Unies ou en menant bataille en cour pour les faire reconnaître. Devant les tribunaux, ces causes peuvent traîner pendant de longues années, mais il est nécessaire et très important qu’en tant que Femmes autochtones nous continuions de nous rendre visibles et de mettre nos enjeux sur la table. Nous devons travailler davantage sur l’élaboration de politiques pour notre propre bénéfice et notre autonomie », a déclaré Sandra Creamer, directrice générale de la l’Alliance nationale des femmes autochtones et aborigènes du détroit de Torres (National Aboriginal and Torres Strait Islander Women’s Alliance – NATSIWA).
Dans son pays, l’Australie, les Peuples autochtones ne sont pas reconnus dans la Constitution. La Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l’ONU est donc devenue un outil indispensable, servant de cadre juridique dans la lutte pour leurs droits, y compris la reconnaissance de leurs terres et territoires et leur droit à l’eau, à la santé et à la sécurité.
Creamer a ainsi souligné qu’en Australie aujourd’hui, les Peuples autochtones sont les principaux plaignants en matière de droits de la personne, grâce à quoi ils ont remporté plusieurs victoires juridiques en plus d’avoir obtenu que se tienne un référendum sur la reconnaissance des droits des Peuples autochtones dans la Constitution.
Jannie Lasimbang, ancienne sous-ministre d’État de la Malaisie, considère quant à elle que les instruments internationaux sont un outil pouvant mener à des changements au sein des gouvernements, même si elle reconnaît que les structures étatiques et la fonction publique offrent beaucoup de résistance. En tant que politicienne autochtone kadazan, de l’État de Sabah sur l’île de Bornéo, elle a eu recours à ces traités pour faire pression sur le gouvernement pour qu’au moins 30 % des postes publics en Malaisie soient occupés par des femmes.
Elle retient de son expérience la grande importance de la formation des Femmes autochtones, en particulier les plus jeunes, « pour qu’elles s’impliquent en politique et que tous les points de vue sont inclus ».
Lasimbang est également très engagée dans la cause pour l’éradication du mariage infantile, et c’est grâce au cadre légal international que le gouvernement malaisien s’est engagé en faveur de cet objectif. Ce dernier avait présenté en 2020 un plan stratégique quinquennal comprenant des initiatives de sensibilisation et d’autonomisation, mais le plan a été reporté en raison de la pandémie de Covid-19.
Participation politique et plaidoyer
Depuis le Pérou, l’ancienne députée quechua Tania Pariona a insisté sur l’importance de la participation dans les espaces de pouvoir pour contrer les relations de pouvoir asymétriques qui prévalent dans les différents pays en raison du colonialisme. « Mon expérience parlementaire m’a enseigné que si notre voix n’est pas au Parlement, dans ces grands espaces de prise de décision, alors nos aspirations, nos rêves et nos points de vue restent en marge des grandes lois et réformes constitutionnelles », a-t-elle affirmé.
Pariona a regretté que, pour l’instant, le seul moyen d’obtenir un siège au parlement soit de passer par les partis politiques. Elle a lancé un appel pour que les Peuples autochtones s’organisent au niveau national et mettent en œuvre des mécanismes électoraux internes et ouverts pour arriver à cette représentation d’une autre manière. Elle a également ajouté sa voix à l’appel de Mme Tauli-Corpuz pour que l’enjeu des recommandations spécifiques sur les Femmes autochtones soit une demande collective à l’échelle mondiale, soutenant qu’« il faut bâtir une alliance diversifiée avec les différents mouvements sociaux et ainsi commencer à élever nos voix et montrer nos visages depuis nos propres territoires ».
D’après Mme Pariona, 25 ans après la Déclaration de Beijing, « il est nécessaire de faire le point », car les écarts d’inégalité à corriger persistent, y compris en matière d’accès à la technologie, d’investissement dans des programmes d’autonomisation des Femmes autochtones, et d’accès à l’éducation supérieure.
« L’inclusion de notre cause dans une Recommandation internationale représente un grand pas en avant, mais nous devons travailler à sa mise en œuvre pour qu’elle soit reconnue au niveau local, en promouvant des lois et des normes avec une approche interculturelle et intersectionnelle; et pour voir ces recommandations traduites en politiques publiques, avec allocation budgétaire et de ressources humaines. Le plus important, c’est d’améliorer les conditions de vie des femmes et des communautés », a-t-elle ajouté.
D’après Eleanor P. Dictaan-Bang-oa, un bon indicateur de la capacité de plaidoyer des femmes autochtones sur la scène internationale est « la présente Conférence mondiale, qui est une manifestation de toutes les luttes, de tous les efforts menés pour faire avancer les droits des Femmes autochtones dans les espaces de prise de décision, du niveau local à l’international ».
Les militantes demeurent toutefois conscientes qu’il existe encore de nombreux pays, comme l’Inde, qui ne reconnaissent pas les instruments internationaux, bien qu’ils les aient signés. Une mention spéciale a également été faite pour les Femmes autochtones qui défient les régimes autoritaires, ainsi que pour la situation en Afghanistan.
En outre, les participantes ont dénoncé le fait que de nombreux pays ratifient des traités sans jamais les mettre en œuvre. C’est pourquoi nous renseignons les femmes sur leur utilisation, sur le fonctionnement des mécanismes de plaintes et de requêtes; et sur la façon de présenter des données dans des rapports et d’imputer tout processus qui n’inclue pas leurs enjeux.
« Il y a des batailles que nous allons perdre, mais il y a aussi des moments de victoire. Bien que le chemin soit semé d’embuches, nous gagnons sur plusieurs fronts et cette conférence représente une plateforme d’apprentissage où nous informer des enjeux qui touchent chacune de nous et apprendre des solutions mises en place, car il ne peut rien se faire à propos de nous, sans nous », a conclu l’Australienne Sandra Creamer.