La ligne de défense de l’ONDRAF est claire. Les anciens exploitants du site nucléaire de Mol-Dessel seraient les responsables de la pollution de la rivière. Remontons le temps. Belgoprocess, la filiale de l’ONDRAF, a été fondée précisément en 1984. Avant, le propriétaire du tuyau se nommait Eurochemic, une usine de retraitement de combustible nucléaire. Elle fût créée en 1957.
On a retrouvé une perle dans les archives de la RTBF. L’interview d’Emile Detilleux, le dernier directeur d’Eurochemic : " Les capacités de rejet en rivière, donc à l’environnement sont extrêmement limitées. Nous ne disposons que de toutes petites rivières. Et depuis l’origine, les autorités avaient fixé le taux de rejet à des valeurs extrêmement faibles ". Et le journaliste de l’époque de conclure : " Les eaux sont rejetées dans une rivière voisine. La Molse Nete. La radioactivité des effluents qui se mélangent à la rivière n’est même pas mesurable ".
En réalité, de tout temps, les dirigeants ont nié cette pollution. Il est aussi étonnant de voir que le dernier directeur d’Eurochemic est devenu par la suite directeur de l’ONDRAF. En termes de continuité, on peut difficilement faire mieux. C’est d’ailleurs l’ONDRAF et sa filiale industrielle Belgoprocess qui ont démantelé l’usine d’Eurochemic. Un démantèlement qui soit dit en passant aura coûté 10 milliards d’anciens francs à l’Etat belge. Eurochemic n’avait provisionné que 650 millions de francs. C’est-à-dire même pas un dixième du coût total. On verra dans un autre article que les provisions nucléaires sont également une autre question épineuse.
Belgoprocess ne serait-elle finalement que l’héritière malheureuse d’Eurochemic ? Si l’on passe au peigne fin les différents rapports de surveillance radiologique de la Belgique, on constate que l’argument d’une pollution uniquement dûe au passé ne tient pas toujours la route. Plusieurs pics de pollution radioactive ont été mesurés bien après la reprise du site par Belgoprocess en 1984 :
- Août et octobre 1996 : Césium mesuré à 500Bq/kg dans les sédiments frais.
- Janvier 1997 : Tritium mesuré à 1000 Bq/l dans les eaux de la rivière. Dix fois au-dessus de la norme européenne applicable aux eaux de consommation humaine. Ce n’est pas le cas de la Molse Nete. Mais, ça donne une idée de l’ampleur du rejet.
- 1998 : Césium 137 mesuré à 700 Bq/kg dans les sédiments frais.
- 2000 : Césium 137 mesuré à 800 Bq/kg dans les sédiments frais.
- 2001 : Césium 137 mesuré à 1000 Bq/kg dans les sédiments frais.
Ces valeurs n’ont rien à voir avec la pollution historique d’Eurochemic. Elles concernent ce que l’on retrouve directement dans le cours d’eau pendant la période d’activité de Belgoprocess. C’est un témoignage de la pollution de cette rivière au fil des ans. Le rapport de 1998 ne laisse planer aucun doute là-dessus : " les quantités rejetées ne sont toujours pas négligeables et se surajoutent à un "historique" ". En 2018, on enregistre encore des valeurs qui dépassent parfois les 400 Bq/kg pour le Césium 137. C’est toujours au-dessus des normes d’exemption. Le seul outil qui permet d’établir des comparaisons à défaut de seuils réglementaires applicables à l’environnement.
On notera aussi que les normes de rejets dans cette rivière sont devenues 6 fois plus strictes à partir de 2007. Plus de 20 ans après la fondation de Belgoprocess. Le dernier rapport de 2018 stipule toujours qu' " il conviendrait de diminuer à l’avenir l’apport de contaminants chimiques et radioactifs " (p49). C’est le seul endroit de Belgique pour lequel une telle recommandation est faite par l’AFCN.
Alors, qui est vraiment responsable ? " C’est dans toutes les normes internationales de sûreté nucléaires. L’exploitant est le premier responsable de la sûreté de ses installations. Il y a eu un changement d’exploitant. Mais, celui qui a repris la compagnie, reprend l’aspect positif parce qu’il veut gagner de l’argent. Mais, il reprend aussi l’aspect négatif qui est la pollution ", analyse David Boilley de l’ACRO.
L’ONDRAF botte en touche et remet la responsabilité sur l’AFCN. Pourquoi le gendarme du nucléaire n’a-t-il jamais ordonné un assainissement ? La réaction de l’Agence fédérale de contrôle du nucléaire est surprenante. Dans un mail, elle admet être parfaitement au courant de la contamination des berges depuis les années 90. Greenpeace avait déjà mené une première campagne en 2007 et obtenait déjà les mêmes valeurs. L’AFCN ne conteste pas nos résultats. Mais, d’après elle, " l’impact radiologique d’un assainissement sur les travailleurs qui l’effectuent serait plus grand que l’impact actuel sur la population, prenant aussi en compte les aspects financiers et socio-économiques ".
Pour faire simple, enlever ces terres coûterait trop cher et exposerait les ouvriers à un risque trop important. On reconnaît donc que la manipulation de ces terres est quelque chose de dangereux. L’argument est surréaliste pour les habitants de la région. Durant notre enquête, nous avons vu des enfants jouer sur les berges de la rivière. Ils nous ont confié qu’ils s’y baignaient de temps à autre. Pourquoi ne pas avoir au minimum fermé l’accès au public et balisé ces zones contaminées ? Réponse du gendarme du nucléaire : " Les scénarios d’exposition que vous mentionnez, ainsi que d’autres comme des randonneurs ou des pêcheurs sur la berge ont été pris en compte… et les doses associées ne justifient pas des mesures comme celles que vous citez ".