Le bruant à gorge blanche est un oiseau migrateur qui peut voler plusieurs jours sans dormir. Il a été étudié de près par la recherche militaire américaine, pour « façonner demain des soldats insomniaques, mais aussi après-demain des travailleurs sans sommeil », écrivait en 2014 Jonathan Crary, dans son essai 24/7. Le capitalisme à l’assaut du sommeil (La Découverte).
Cet idéal d’un investissement ininterrompu et inconditionnel des salariés pour le compte de l’entreprise a vécu. Aussi connectés soient-ils, ce n’est pas celui des moins de 35 ans. Quand ils énoncent leurs priorités au travail, ils parlent d’autonomie, de quête de sens, de culte de l’instant présent, mais pas de devoir moral, ni de sacrifices. Ils ne veulent pas s’user au quotidien avec l’espoir de lendemains qui chantent en fin de carrière, comme le faisaient leurs aînés.
- Bénéficier de davantage d’autonomie
Les heures fixes, non merci ! « Je préfère le management par les objectifs au management à l’horaire. Je m’organise et je mène mes missions avec une flexibilité sur les horaires, avec du télétravail. Les deux valeurs qui font que je me sens bien, c’est l’autonomie et le sens du collectif », témoigne Charles David, 26 ans, consultant chez Enza Conseil. Conscients du creusement des inégalités, de l’accroissement des exclusions, de la fragilisation de la société et des désastres écologiques, les jeunes prennent leurs distances avec le monde du travail de leurs parents, qui n’a pas tenu ses promesses de progrès social. Sans slogans ni barricades, les 18-35 ans passent à autre chose, opérant une révolution à bas bruit.
« Nous sommes les enfants de la génération du plein-emploi, de l’Etat-providence et des avancées sociales. Ce modèle nous avait été promis comme certain et intangible. La dynamique du progrès se voulait perpétuelle. Mais, aujourd’hui, nous sommes confrontés à une fragilisation de notre système », expliquent, dans leur Manifeste d’une jeunesse trahie (Bayard, 2017), le journaliste Mathias Thépot et le militant du mouvement européen DiEM25, Thomas Golovodas.
A la veille de la présidentielle de 2017, les deux jeunes hommes dénonçaient la rupture du pacte générationnel du progrès social chère au sociologue Louis Chauvel. Ils mettaient ainsi des mots sur ce mouvement de jeunesse : « Pour notre génération, tout est question de choix. Nous sommes libres de choisir : notre vie, notre intimité, notre travail, nos convictions. (…) Si notre société prend une direction, c’est que nous l’acceptons. Nous en sommes comptables. » Ils ne veulent pas reproduire l’irresponsabilité qu’ils reprochent à leurs aînés.
Il vous reste 79.67% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.