Tribune. La sentence est tombée, la flèche de Notre-Dame sera reconstruite « à l’identique ». Quelle que puisse être la gravité relative d’une telle décision, en ces temps de préoccupations autrement plus immédiates que le devenir d’un élément d’architecture, il demeure nécessaire d’en interroger les fondements, tant sa teneur symbolique dépasse le périmètre restreint de l’île de la Cité. Or, un rapide tour d’horizon suffit à révéler ce que cette décision comporte de contradictions. Les enjeux en apparence peuvent sembler minimes, mais la dynamique de fond est peut-être moins anodine qu’il n’y paraît.
Commençons par la formule d’Emmanuel Macron qui a, dit-il, acquis la « conviction » que c’était la chose à faire. Si le terme est imparable, il est hors de propos dans ce cas précis. Qu’on envisage la cathédrale comme un lieu de culte ou – pour le dire vite – comme une œuvre d’art, avoir la moindre conviction, c’est-à-dire penser se fonder sur des preuves dans des domaines (la religion et l’art) où toute idée de certitude s’est toujours accompagnée de quelque danger, ne rassure pas.
D’autant qu’avoir la conviction de devoir reconstruire la flèche d’un architecte qui avait lui-même la conviction qu’il fallait en construire une nouvelle ne laisse pas d’interroger. Bien sûr, la cathédrale est aussi, et désormais avant tout, un joyau du patrimoine. C’est cet aspect qui aura sans nul doute prévalu dans la prise de décision, mais c’est avec lui que le choix final entre aussi en contradiction.
Négation de l’incendie
La ministre de la culture l’avait déclaré peu avant, un « large consensus » s’était dégagé dans « l’opinion publique » et chez « les décideurs » en faveur d’une reconstruction à l’identique. Peut-être Emmanuel Macron tenait-il là sa preuve. Mais si l’existence d’un tel consensus reste sérieusement à prouver, le fait que le consensus ait jamais « bâti » quoi que ce soit dans le champ culturel est aussi à démontrer.
« Si une aile du Louvre venait à brûler, repeindrait-on, pour les exposer, les tableaux disparus ? »
S’il faut entendre le patrimoine comme l’ensemble des biens hérités, conservés et transmis à la postérité, force est de constater que, en ce qui concerne la flèche de Notre-Dame, la mission a à jamais échoué le soir du 15 avril 2019. Il ne s’agit pas ici d’en tenir le politique pour responsable, ni plus généralement de dénoncer cet échec, mais ne pas prendre acte de l’événement serait faillir – cette fois-ci délibérément – à la mission patrimoniale.
Il vous reste 60.39% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.