Réfugiés et homosexualité: les affinités sélectives

Sur les 582 demandes d’asile traitées en 2016 pour des questions liées à l’orientation sexuelle, 252 ont débouché sur un statut de réfugié. Comment l’État belge évalue-t-il l’homosexualité d’un demandeur d’asile et le risque qu’il encourt en cas de retour? Entre auditions, rapports et analyse des réseaux sociaux, l’examen par les instances d’asile va de plus en plus loin.

Une respiration. Un moment où on peut enfin être soi-même. Les occasions sont trop rares, alors les demandeurs d’asile ont appris à les saisir. En ce samedi après-midi d’automne, le rendez-vous est fixé à la Cité Miroir, en plein cœur de Liège. Une fois par mois, Arc-en-Ciel Wallonie1 organise des groupes de parole pour les demandeurs d’asile LGBT 2. Loin des centres d’accueil, pour éviter les regards et ne pas risquer d’être stigmatisés comme ils l’ont été dans leur pays d’origine.

Les demandeurs d’asile arrivent au compte-goutte. Certains viennent de loin comme Hervé3 qui a quitté le centre de Bovigny à 9 heures du matin pour pouvoir être là à 12h30. Deux bus, un train plus tard, il rejoint enfin le groupe. Ils sont douze autour de la table: deux femmes et dix hommes originaires du Cameroun, du Sénégal, de Côte d’Ivoire et du Rwanda.

C’est Jean-Daniel Ndikumana qui assure l’accueil. Dans les centres pour demandeurs d’asile de la province du Luxembourg, tout le monde le connaît. Cet ancien demandeur d’asile burundais a lui même été reconnu réfugié en 2013. Il organise dans toute la Wallonie des entretiens individuels et des groupes de parole avec ceux qui ont introduit une demande d’asile sur base de leur orientation sexuelle. “Je connais mieux la province du Luxembourg que beaucoup de Belges, sourit Jean-Daniel Ndikumana. Herbeumont, Gouvy, Saint-Ode, Manhay, Dinant, Hotton, je travaille avec tous les centres d’accueil Fedasil et de la Croix-Rouge de la région.

Reprendre confiance

Autour de la table, la discussion s’engage timidement. Dans le groupe, certains sont déjà passés par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). D’autres ont rendez-vous pour leur audition dans les prochaines semaines. “C’est important de les mettre en confiance pour qu’ils arrivent à parler de leur vécu. Ils doivent comprendre qu’ils peuvent parler librement de leur homosexualité, que l’officier de protection ici ce n’est pas comme le juge ou le policier dans leur pays d’origine“, indique Jean-Daniel Ndikumana.

Serge garde un très mauvais souvenir de son passage au CGRA. Ce demandeur d’asile âgé de 26 ans a fui le Sénégal en 2013, après avoir été emprisonné et menacé de mort par sa famille.

J’ai été pris en flagrant délit avec mon copain. Nous faisions l’amour à l’hôtel quand la police a débarqué. Mon copain a réussi à s’enfuir mais pas moi. J’ai été tabassé et ils m’ont mis en prison.

Serge y passera deux jours avant d’être relâché. “J’ai appelé ma tante qui m’a dit que tout le quartier était à ma recherche et que si je revenais ma famille me lyncherait.

En Belgique depuis quatre ans, Serge évoque toujours difficilement son homosexualité. Il parle de son audition comme d’une épreuve. “L’interview a duré près de cinq heures! L’officier de protection te pose une question et quelques minutes plus tard, il te repose la même sous une autre forme.” En cherchant les contradictions, le CGRA veut savoir si le récit est crédible. “Pour moi, il y a un gros problème de suspicion à l’égard des demandeurs d’asile, explique Oliviero Aseglio qui coordonne le projet “Rainbows United” (voir encadré) au sein de la Rainbow House à Bruxelles.

Sauf à de rares exceptions, l’officier de protection ne va pas les rassurer, mais plutôt les coincer.

Valentine Audate, responsable des questions “genre” au CGRA, reconnaît que l’audition est un moment intense pour le demandeur d’asile. “Mais les officiers de protection sont formés pour mettre à l’aise, insiste-t-elle. Leur travail repose sur trois piliers : mise en confiance, transparence et respect. Quand l’officier de protection se rend compte que le demandeur d’asile se ferme, il est autorisé à glisser des éléments personnels pour le rassurer et l’inviter à parler.

Questions indécentes

Serge se souvient très bien des questions de l’officier de protection. “Je devais tout lui raconter, la rencontre avec mon copain, donner des détails sur les endroits où on aimait se retrouver, nos habitudes, ce qu’on se disait…
J’ai dû dire des choses très intimes.” L’officier de protection du CGRA teste la crédibilité du récit du demandeur d’asile à l’aide de questions parfois très intrusives. “Il m’a demandé par exemple d’expliquer ce qui me dégoutait chez les femmes, s’étonne Serge. J’ai dû lui raconter concrètement une fois où j’ai essayé avec une femme et où ça n’a pas marché.

Oliviero Aseglio accompagne régulièrement des demandeurs d’asile aux auditions. Il confirme que certaines questions sont parfois d’une grande impudeur. Comme quand on demande “comment s’est passée leur première fois” ou, comme il y a quelques années, “quand ils devaient décrire leur position sexuelle préférée.

Du côté du CGRA, on précise que ces questions sont clairement interdites désormais. “Les instructions contenues dans notre directive interne sont claires à ce sujet“, explique Damien Dermaux, le porte-parole du CGRA. “L’officier de protection ne peut pas poser de questions qui seraient contraires à la dignité humaine“, insiste Valentine Audate. Elle rappelle que plusieurs agents ont suivi des modules européens de formation et les proposent ensuite en interne. “Le CGRA organise également des rencontres avec d’anciens demandeurs d’asile pour améliorer ce qui peut l’être.

Dans l’exercice très particulier de l’audition, les demandeurs d’asile sont-ils tous logés à la même enseigne? “Clairement non“, constate Oliviero Aseglio qui n’hésite pas à qualifier le système d’arbitraire. “C’est le jour et la nuit si la personne est éduquée ou non, si elle parle bien français et si elle arrive à parler facilement de son homosexualité, constate le coordinateur des Rainbows United. Si elle correspond aux codes de l’homosexualité à l’occidentale, elle aura beaucoup plus de chance d’être reconnue.

Après avoir examiné la vraisemblance de l’homosexualité, l’officier de protection va ensuite établir si le demandeur d’asile encourt des risques en cas de retour dans son pays d’origine. Cet examen repose notamment sur les rapports rédigés par le CEDOCA, le centre d’études du CGRA. “Ceux-ci vont donner à l’officier de protection un canevas clair et précis de la situation dans un pays mais aussi sur les peines encourues et la perception de l’homosexualité dans le pays d’origine“, précise Valentine Audate. Jean-Daniel Ndikumana estime lui que le CGRA ne tient pas suffisamment compte de la différence entre la législation en vigueur et la réalité sur le terrain.

Dans beaucoup de pays, ce n’est pas la législation le problème, mais la population. Souvent ce sont les familles qui lynchent les homosexuels.

Charge de la preuve

Dans le jargon, on appelle ça la “charge de la preuve“, c’est-à-dire que c’est au demandeur d’asile d’apporter les preuves de ses déclarations. Il y a les documents “officiels” du type PV de police ou coupures de journaux. Mais d’autres pièces nettement plus personnelles peuvent également être versées au dossier comme des photos, des lettres ou des messages qui prouveraient l’homosexualité au pays ou en Belgique. Avec le risque de dérive dans la mesure où les preuves irréfutables sont aussi les plus intimes.

Tester l’homosexualité: le (mauvais) exemple tchèque

Les réactions ne se sont pas faites attendre. La Tchéquie a eu beau se défendre en expliquant que “ces tests n’ont été appliqués qu’à une dizaine de reprises et uniquement avec le consentement des demandeurs d’asile”, l’initiative a créé un tollé. Entre 2008 et 2009, Prague a réalisé des “tests phallométriques” sur des demandeurs d’asile. Inventé dans les années 1950 par Kurt Freund, ce test consiste à mesurer l’afflux de sang vers le pénis (ou le vagin) d’un individu qui regarde des films X mettant en scène alternativement des hommes et des femmes. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a vivement critiqué cette méthode expliquant que “cette procédure touche à la partie la plus intime de la vie privée d’un individu”.

Les demandeurs d’asile l’ont bien compris et une forme de surenchère s’est installée. “Il faut parfois en calmer certains qui seraient prêts à montrer tout et n’importe quoi“, s’inquiète Oliviero Aseglio. À tel point que le CGRA s’est senti obligé récemment de réexpliquer sa position dans un communiqué. “Certains demandeurs d’asile déposent, lors de leurs auditions, des photos ou des vidéos les montrant en train d’accomplir des actes sexuels […] Le CGRA refuse désormais d’accepter de tels éléments de preuve contraires à la dignité humaine5.”

À la Cité Miroir, la discussion s’emballe dès qu’il est question des preuves à caractère sexuel. “Moi c’est l’officier de protection qui m’a demandé de montrer des photos pour lui prouver que j’entretenais une relation, insiste Hervé.

La communauté LGBT se mobilise pour les réfugiés

 
Dans le cadre du projet “Rainbows United”, un groupe de parole destiné aux demandeurs d’asile homosexuels, bisexuels ou transgenres est organisé tous les derniers jeudis du mois au sein

de la Rainbow House à Bruxelles. “L’idée est de leur offrir la possibilité d’être eux-mêmes et d’assumer ce qu’ils sont vraiment sans craindre une quelconque forme de jugement”, résume Daniel Huyghens, coordinateur du service social du Petit-Château à l’origine de ce projet. “C’est l’occasion aussi pour eux de se créer un réseau social et de se rendre compte qu’ils ne sont pas les seuls dans cette situation.” Depuis deux ans, c’est Oliviero Aseglio qui a repris les rênes de ce projet. “Environ 350 demandeurs d’asile LGBT sont passés par la Rainbow House en 2016, précise-t-il. À ma connaissance, il n’y a pas de projet équivalent en Flandre. Et en Wallonie, il y a Jean-Daniel.”

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