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“Il est temps pour les entreprises de changer de regard sur la maladie au travail”

Comment mieux intégrer la maladie en entreprise ? Pourquoi renforcer l’insertion des salariés malades devrait être un enjeu majeur ? À l’occasion de la semaine de lutte contre le cancer, nous avons interrogé Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de Cancer@Work et Wecare@Work, une entreprise et une association qui œuvrent au quotidien à changer le regard de la société et de l’entreprise sur les malades.

Pourquoi l’inclusion des salariés malades est-elle un enjeu majeur pour les entreprises ?

15 % des actifs, 1 200 personnes diagnostiquées chaque jour, dont près de la moitié travaillent : vivre et travailler avec un cancer est une réalité. Mais les entreprises n’y sont pas assez préparées. Or, quand une personne tombe malade, son équipe est aussi impactée.

La maladie au travail demeure synonyme, pour ceux qui qui sont concernés, de difficultés relationnelles, d’isolement et de démission. Le taux de désinsertion professionnelle est éloquent : un salarié malade sur trois perd son emploi au bout de deux ans après le diagnostic. Pour les entreprises, perdre près de 15 % de ses effectifs signifie une perte de savoirs-faire et de compétences, ainsi que des coûts associés à l’absentéisme, aux recrutements et au turn-over. Les dirigeants se retrouvent ainsi face à une véritable problématique de performance, celle-ci étant dégradée suite au départ des salariés malades. Ils perdent des collaborateurs qui sont souvent expérimentés, et qui auraient pu rester s’ils avaient été suffisamment accompagnés.

Les progrès thérapeutiques sont allés plus vite que la société et le monde du travail. Aujourd’hui, grâce à ces progrès, on peut aujourd’hui vivre longtemps, guérir et travailler avec un cancer, mais l’accompagnement des personnes malades est encore insuffisante. Par exemple, elles ne leur permettent pas suffisamment de se rendre régulièrement chez le médecin d’une façon sereine.

Les dirigeants eux-mêmes s’estiment démunis, quand il s’agit d’aborder un sujet relevant davantage de la sphère personnelle / intime. Or se saisir de ce sujet est un important, pour la performance de l’entreprise, mais aussi parce que les salariés sont sources de richesses. Même quand ils ne sont pas malades, ils ont besoin de sentir que s’ils le deviennent un jour, ils pourront compter sur leur organisation. C’est une condition importante d’engagement chez eux.

 

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Quel est le rôle des dirigeants, des RH et des managers dans l’intégration des salariés malades ?

C’est aux chefs d’entreprise que revient la responsabilité d’engager le dialogue sur le sujet de la maladie avec les salariés malades. Les accompagner n’est pas une obligation légale, mais une volonté du dirigeant. Les DRH ont de leur côté la mission d’anticiper et de créer les conditions d’une meilleure inclusion de la maladie au travail. Notamment en organisant des actions de sensibilisation et des programmes de formation. Ils doivent aussi informer le salarié sur ses droits (maintient du salaire, arrêt maladie, dispositifs de soutien…). L’idée est de prendre de la distance, de poser le cadre légal et de proposer une mise en œuvre opérationnelle efficace des restructurations qui s’imposent.

Les managers, de leur côté, vont recevoir l’annonce, et accompagner au quotidien la personne malade, ainsi que l’équipe. Leur rôle est celui d’un chef d’orchestre (en lien avec les RH). Ils doivent ouvrir le dialogue sur le sujet dans l’équipe, et impliquer l’entourage professionnel du salarié. Aborder le sujet de manière ouverte, favoriser l’expression de chacun, proposer des solutions. Il s’agit finalement d’informer l’ensemble de l’équipe et les personnes concernées dans l’entreprise, de manière formelle, et d’être clair sur les missions de chacun et les responsabilités.

Vis-à-vis du collaborateur malade, le manager doit aussi engager un dialogue bienveillant avec lui ; pour comprendre ses attentes, le guider dans ses réflexions, le mettre en lien avec les bons interlocuteurs. Plus le salarié sera serein côté travail, plus il pourra se concentrer sur ses soins. La maladie d’un salarié impacte l’entreprise et l’équipe. Il s’agit d’atteindre des objectifs fixés et qui ne pourront souvent pas être revus à la baisse, même avec des ressources modifiées.

 

Les collaborateurs eux-mêmes ont-ils un rôle à jouer dans l’accompagnement de leur collègue malade ?

Soutenir les salariés malades est une responsabilité pour chacun d’entre nous. Quand quelqu’un apprend qu’il est malade, il ne se tourne pas systématiquement vers sa hiérarchie, mais vers son entourage proche. Ses collègues aussi doivent être en capacité d’accueillir une annonce sans faire preuve de maladresse, et de pouvoir l’aiguiller et la soutenir. Afin de lui donner les clés lui permettant de mieux concilier sa vie professionnelle et son parcours de soin, ou de préparer son retour au travail dans les meilleures conditions (en cas d’absence).

Mais bien souvent, les collègues ne savent pas comment réagir. Ils sont maladroits. Même pour prendre des nouvelles du salarié absent. Maintenir le lien est essentiel, pour lui comme pour les autres collaborateurs ; le maintien du lien constitue un élément clé de la reprise du travail et une reprise facilitée est précieuse pour l’ensemble de l’équipe.

Mais si le salarié collègue ne sait pas comment agir, il ne doit pas hésiter à se reposer sur le manager. Y compris s’il a des interrogations sur l’impact de la maladie de son coéquipier sur sa propre charge de travail : c’est le manager qui donne le ton, et qui organise le travail de l’équipe. Le collègue peut aussi être acteur et proposer à son manager d’évoquer le sujet de manière ouverte, y compris avec le salarié malade. Il s’agit de trouver ensemble les solutions qui vont permettre à l’équipe de traverser cette épreuve dans les meilleures conditions et pourquoi pas en ressortir plus soudée, plus forte et plus performante. C’est finalement une question de mentalités : il est tout simplement temps pour les entreprises de changer de regard sur la maladie au travail.

 

Anne-Sophie Tuszynski est l’auteure d’un guide pratique à destination des salariés malades, ainsi que de leur entourage professionnel : “Cancer et travail – J’ai (re)trouvé ma place, comment trouver la vôtre ?”, aux Éditions Eyrolles.

 

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