Hypersensibles et ultrasensibles : comment les aider à survivre en entreprise

Absence de filtres, ruminations, mal-être, syndrome de l’imposteur, perfectionnisme, sens de la justice particulièrement développé… autant de difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux salariés « hypersensibles empathiques ».

hypersensibilité en entreprise
Les hypersensibles ont un risque plus élevé de souffrir de burn-out, mais s'ils évoluent dans un environnement qui leur correspond et se sentent bien dans leur peau, alors ils sont très créatifs, passionnés et dotés d'une excellente vision des choses. © grivina - stock.adobe.com

On en parle depuis peu, et pourtant, ils seraient environ 20 % de la population mondiale à être « hypersensibles ». Un terme généraliste pour une réalité plus complexe. Charlotte Wils, par exemple, est ultrasensible. « Les ultrasensibles sont des hypersensibles qui sont également hyper empathiques » explique-t-elle. Autrement dit, les ultrasensibles ont cette capacité à ressentir ce que ressentent les autres, jusque dans leur corps physique. « Ça ne nous appartient pas, mais on capte tout un tas d’informations sensibles qui peuvent largement nous encombrer ! On absorbe sans le vouloir les émotions des autres, parfois sans savoir d’où ça vient », poursuit cette coach qui, à la lumière de son propre parcours, décrypte les difficultés auxquelles font face de nombreuses personnes. On comprend aisément que dans un cadre professionnel, cela puisse être difficile à gérer. D’où la nécessité de chercher à comprendre comment fonctionnent ces personnes pour mieux les accompagner.

Loin d’être une lubie ou un effet de mode, l’hyper ou l’ultrasensibilité ont toujours existé. Flaubert, lui-même doté d’une sensibilité surdéveloppée, écrivait déjà à son époque que « ce qui érafle les autres me déchire ». Or, ce sujet est longtemps resté caché sous le tapis. La sensibilité était d’ailleurs souvent confondue avec la sensiblerie, elle-même largement associée aux femmes, ou tout au mieux aux artistes, acteurs chanteurs, auteurs… Pour l’auteure de l’ouvrage Itinéraire d’une ultrasensible, si l’avènement de la sensibilité émerge aujourd’hui, c’est parce que la société est en mutation. « Nous vivons dans une époque qui est en train d’accepter les différences entre les personnes. Il y a désormais de la place pour les hypersensibles, les autistes, les transgenres… ».

« Une sensation de ne pas être adaptés à ce monde »

Les ultrasensibles se définissent par l’association de 4 caractéristiques qui s’expriment au plus haut degré :

  • Le sensoriel, avec une hyperstimulation des 5 sens sans aucun filtre pour éviter la surcharge
  • L’émotionnel, avec une réactivité plus forte que la moyenne
  • Le cognitif, avec des connexions multiples et instantanées des neurones
  • L’intuitif, poussant le cœur à s’exprimer en premier pour voir et sentir très rapidement les choses et les événements de manière globale.

Résultat ? « Les personnes ultrasensibles éprouvent souvent la sensation de ne pas être adaptées à ce monde » analyse Charlotte Wils. Au quotidien, cela se traduit par une grande fatigabilité, par un besoin de se ressourcer régulièrement, sans forcément s’en rendre compte, et sans même s’autoriser à le faire car, paradoxalement, les ultrasensibles sont « tout le temps en train d’essayer » résume Charlotte Wils. Ce n’est pas un hasard par ailleurs si ces personnes sont plus sujettes au burn out.

Leur sentiment de légitimité est souvent mis à mal, elles n’ont pas spécialement confiance en elles et ont besoin d’être encouragées, rassurées, valorisées, afin de contrebalancer avec un fort sentiment d’imposture. Dans la même logique de fonctionnement, les ultrasensibles se retrouvent rapidement submergés, non par désorganisation ou par moindres capacités, mais parce qu’ils ne savent pas hiérarchiser ni prioriser, considérant toutes les tâches sur le même plan d’importance. « C’est terrible, constate Charlotte Wils, les salariés doués d’une ultrasensibilité sont souvent à ramasser à la petite cuillère, car mal traités dans leur environnement professionnel comme personnel. Or, ces mêmes salariés ont un énorme potentiel quand l’environnement leur correspond ».

Un relationnel parfois compliqué avec les collègues

Autre aspect difficile à gérer pour les ultrasensibles au travail : les relations entre collègues. « Le relationnel peut être rendu très compliqué puisqu’ils sont toujours dans le ressenti. On ne peut pas cacher grand-chose à un ultrasensible ! Et parce que leur émotionnel et leur intuition surréagissent, la moindre petite chose va devenir centrale et être sujette à surinterprétation ». En d’autres termes, ces salariés prennent tout de plein fouet, sans pouvoir prendre de recul, mais sans pour autant être dans la communication et l’expression de ce qu’ils ressentent.

Les hypersensibles sont dans la recherche permanente d’harmonie, en faisant ce que les autres font, en essayant d’adhérer à leurs idées, à leurs pensées ou en imitant leurs manières d’être et de faire même s’ils ne sont pas en accord au fond d’eux-mêmes. Ils vont chercher à s’adapter aux autres en répondant à leurs besoins et leurs attentes, et donc en s’effaçant, en faisant passer les collègues au premier plan dans le but de leur faire plaisir, d’être acceptés et estimés.

Une stratégie qui a ses limites et peut déboucher sur des périodes compliquées, pour la personne ultrasensible comme pour l’équipe, qui bien souvent se retrouve impuissante face à ce comportement. D’ailleurs, le besoin de s’isoler que ressentent les salariés à la sensibilité hors norme est fréquent, surtout quand ils évoluent en open space. « Quand on souffre d’hypersensibilité dans un environnement qui ne l’accepte pas et qu’on ne la maîtrise pas nous-même, on donnerait tout pour se mettre en retrait, par instinct de protection, parce que le travail en équipe nous épuise ».

« Être hypersensible n’est pas une imperfection, n’est pas une faiblesse, n’est pas une fragilité, n’est pas une impression et n’est certainement pas une psychopathologie… C’est pour moi une singularité précieuse »

Des salariés hors du commun quand on veut bien les comprendre

Sentiment d’être toujours en décalage, jamais à sa place, sentiment de solitude, d’imposture en cas de réussite, sens de la justice, besoin de se forger une protection… autant de caractéristiques qui cohabitent cependant avec une grande empathie, une curiosité et une vélocité d’esprit hors norme, une grande intuition, une capacité de résilience et un besoin inconditionnel de cohérence. « Le salarié hypersensible, quand il connait sa force et son talent, est un salarié précieux pour une entreprise ! ».

En effet, à l’opposé des clichés de personnes tristes et dépressives qui collent souvent à la peau des hypersensibles, ce sont des personnes qui débordent d’énergie et remontent vite la pente ! « Peut-être un peu mélancoliques, avoue Charlotte Wils, mais pleines d’énergie ». L’hypersensibilité cognitive a ceci de reconnaissable qu’elle pousse les personnes concernées à pouvoir faire plusieurs choses en même temps, souvent parce qu’elles en ont besoin. « Leur fonctionnement cognitif en arborescence a besoin d’être alimenté en permanence, il leur faut toujours du grain à moudre. Elles ont plusieurs cordes à leur arc, un potentiel multiple, ce qui est largement compatible avec des postes à responsabilité ». Mais parce qu’il est impossible et inutile de faire des généralités, chez les ultrasensibles comme pour l’ensemble des salariés, il y a des tempéraments de leaders comme d’exécutants.

Leur grande conscience professionnelle fait d’elles des personnes fiables, des collègues fidèles sur qui on peut compter, « mais pour cela, il faut avoir leur confiance et leur faire confiance. C’est à ce moment-là qu’ils pourront déployer toute leur énergie, même si je dois avouer que je rencontre énormément de personnes ultrasensibles qui témoignent leur déception à ce sujet ».

Des soft skills plébiscitées dans les RH, les métiers créatifs, l’aide à la personne

Toujours grâce à leurs capacités cognitives au-dessus de la moyenne, ce sont ces mêmes salariés qui ont une véritable vision à plus ou moins long terme. Il y a ainsi des secteurs et des domaines d’activité dans lesquels ils s’illustrent particulièrement : la créativité, la création de produits, la recherche et développement, l’accompagnement et l’aide à la personne, etc… « On les compare souvent à des guerriers ou des guérisseurs ».

Bizarrement, alors que l’on pourrait penser que les ressources humaines sont un autre domaine dans lequel les personnes ultrasensibles feraient d’excellentes responsables, Charlotte Wils est catégorique : « il n’en est rien ! ». Selon elle, les RH sont le symbole d’une certaine désillusion concernant les salariés un peu différents. Contrairement au mot « humain » qui le compose, l’univers des RH est à l’opposé de ce que l’on y projette. « Il serait grand temps que les hyper et ultrasensibles investissent ce milieu. Cela rabattrait bien des cartes ! ». Charlotte Wils invite aussi à déconstruire les préjugés entourant ces personnalités : « Il y a encore une connotation trop grande autour de ce sujet. Les hypersensibles sont considérés comme des personnes fragiles, compliquées à manager, à intégrer… ».

Laisser aux hypersensibles le temps de tester la confiance de leurs collègues

Les ultrasensibles ont leur part de travail à fournir pour valoriser leurs capacités. « C’est un juste milieu à trouver entre se protéger et s’assumer en tant que tel pour mettre à profit ses différences », conseille Charlotte Wils, même s’il n’y a pas de règles puisque « la situation est différente pour chacun, selon son mode de vie, l’état dans lequel on se trouve et la manière dont on vit son hypersensibilité ».

Pour mieux vivre sa sensibilité au quotidien et en faire un véritable talent, Charlotte Wils n’est toutefois pas avare de conseils pratiques, à commencer par garder ses distances pour se protéger. « Il faut absolument cloisonner sa vie professionnelle et sa vie personnelle, surtout au début, pour ne pas donner aux autres des éléments qui pourraient se retourner contre vous. Cette distance est fondamentale, surtout aujourd’hui dans un contexte de révolution managériale où il n’y a plus de hiérarchie, où les codes relationnels avec les collègues et les chefs sont rebattus, et où l’on a davantage tendance à se laisser aller à la confidence ». Il ne s’agit pas d’être associable ! Les hypersensibles en seraient incapables. Charlotte Wils leur conseille seulement d’attendre et d’éviter de se confier trop vite afin de s’assurer de l’intention de leurs collègues.

Par ailleurs, les ultrasensibles ont beaucoup d’intuition mais ne l’exploitent pas forcément. « Ils ont les bons messages mais ne s’écoutent pas, préférant se fier à l’avis et l’opinion des autres » remarque la coach. « Ils sont toujours tournés vers l’extérieur, voulant faire plaisir à autrui, dans une stratégie de protection ».

Il faut aussi leur laisser du champ, pour qu’ils puissent exprimer leur propre opinion sans chercher à être d’accord à tout prix avec autrui. Pour Charlotte Wils, une des bases pour vivre en harmonie avec sa sensibilité, est de savoir « rester dans ses baskets, arrêter de chercher ce que l’autre veut, et se replacer à l’intérieur de soi. En effet, le désir d’être aimé est très fort chez ces personnes, et ce dès l’école, mais ce sentiment n’a pas sa place dans le monde du travail ».

Journées plus courtes, télétravail, espaces neutres… 

Bon à savoir : les hypersensibles ont des difficultés à s’accommoder de conditions de travail où les lumières et la musique sont agressives, où la foule vampirise l’énergie… « Ces environnements de travail sont néfastes pour les hypersensibles qui ont les 5 sens en alerte en permanente et finissent par exploser ».

Par ailleurs, ce sont des salariés très efficaces mais sur des durées plus courtes que les journées normales. « Il est essentiel que les chefs d’entreprises et les managers avancent et mûrissent sur ce sujet. La flexibilité dans l’organisation du temps de travail comme dans les espaces où l’on choisit de travailler (chez soi, au bureau, dans un coworking…), est une condition sine qua non pour collaborer ». Ce qui rejoint l’un des premiers conseils du livre : pour réussir à s’épanouir au travail et concilier son hypersensibilité avec sa vie pro, il est important de travailler dans une entreprise dont on partage les valeurs et l’intention.

Devenir son propre patron : la voie idéale

Peut-on être heureux au travail quand on est ultrasensible ? Faire rentrer un rond dans un carré fonctionne un temps et pour certains, mais pas pour tous. La situation idéale est, pour beaucoup, de monter leur propre entreprise. « De nombreuses personnes que j’ai pu croiser et accompagner se reconvertissent dans l’écologie, le yoga, le journalisme, l’écriture… Elles le font en activité principale ou en plus de leur travail. Car le côté financier n’est pas à occulter. Quand on ne peut quitter son poste, peu importe les raisons, il s’agit alors de se découvrir ou renouer avec une passion pour se recentrer en-dehors du boulot ».

En d’autres termes, il n’est pas question pour les hypersensibles d’arrêter de travailler. « Ils ont besoin de sens dans leur vie, le travail en est constitutif. Ce ne sont pas seulement des contemplatifs de la nature ! Aussi contradictoire que cela puisse paraître, et parce que ce sont des êtres bourrés de contradictions, le rapport au travail est compliqué pour eux, mais ils ne peuvent pas s’en passer » conclut Charlotte Wils qui regrette néanmoins que le monde de l’entreprise ne mette pas en place des coachs pour accompagner ces salariés qui, pour le moment, doivent investir sur leurs deniers personnels pour trouver des solutions et avancer dans l’acceptation et la compréhension de leur sensibilité innée.

Sujets liés : Vie d'équipeManagement
  • Nee,

    Devenue prof indépendante dans le supérieur, je peux maintenant déployer toute ma créativité et mon potentiel humain et pédagogue sans limites tels que les collègues et supérieurs qui parasitaient mes ressources. Sexisme, « coups de pression », jugement…
    Je ne me considère pas comme hyper/ultrasensible. Dans un monde malade, les esprits sains vont chez le psychologue 😉

  • Sami,

    Je suis entièrement d’accord. J’en suis. Après 2 masters, j’ai le sentiment de ne pas être à ma place. Beaucoup de peur face au milieu du travail. 3 années d’errances… j’entre dans la 4e… Je ne sais pas comment en sortir ou n’ai pas assez de courage ou d’energie pour en sortir.
    J’aimerai avoir une vie simple mais je n’y arrive pas.

  • lina,

    Hypersensible…Après un parcours scolaire hétéroclyte, tantôt brillant, tantot médiocre, je me sens inapte au monde du travail… A la fois trop proche et trop loin de ses collègues. Contamment stimulée par les bruits, les lumières et les états d’âme alentours. Un brouhaa constant dans ma tête, le sentiment d’être jugée en permanence. Des relations difficiles dans l’équipe du fait de la fausseté de certains collègues… De grandes difficultés de concentration lorsque je ne suis pas intéressée, de grandes capacités de travail lorque je suis passionnée… des doutes constamment, sur à peu prêt tout, introvertie, maladroite, éponge émotionnelle… vaila mon quotidien d’hypersensible

  • Benjy Compson,

    Perso je ne trouve pas du tout que l’environnement du monde du travail s’ouvre aux profils hypersensibles. je dirais même que sa double obsession « techno » et productive participe activement à les museler. On peut le regretter, mais le nier serait une forme de déni ou de niaiserie, au choix.

  • Perrine Leroux,

    Merci pour cet article bluffant de justesse. C’est la première fois que je suis touchée par un portrait dans lequel je me suis complètement retrouvée…

  • Ernandez,

    Je trouve que cette définition est conforme, néanmoins je ne pense pas que le manque de confiance soit juste.
    Je dirais par une citation « pot de terre contre pot de fer »
    En effet, grâce à l’intuition, et l’âge, le retrait contre les agents »toxiques »est la seule solution.
    La santé est la plus grande richesse

  • MARGHERITI Marie,

    Je me reconnais beaucoup dans cette description et je suis heureuse de constater qu’il existe d’autres personnes qui ressentent ce que je ressens depuis si longtemps au travail. Merci pour ce sujet si bien analysé et expliqué.

  • MROVCAK,

    bonjour,

    j’ai adore cet article !!!j’en ai bu les mots!!Tant de vérité.
    L’hypersensible a cette chance de voir (Ressentir) au delà des miroirs , ce qui peut aussi le rendre encore plus méfiant. Son effet caméléon est peut être un des piliers pour se fondre dans la masse en essayant de s’intégrer au groupe???
    Je pense cependant que nos fonctionnement Rh aujourdhui, sont encore trop ancrés dans un fonctionnement ‘Cerveau gauche’ pour comprendre et accepter ce genre de personnalités atypiques?!
    Merci pour cette lecture.

  • Marion,

    Merci pour cet article.
    Le sentiment de ne jamais réussir à s’adapter aux autres mais chercher à être accepté, le sentiment d’être en décalage constant avec ses collègues et avoir pourtant une importance immense en les aidant, les accompagnant, les formant. Être isolé socialement par timidité mais complètement intégré dans le fonctionnement de l’entreprise. Toutes ces contradictions nous font parfois perdre pieds. Mais notre résilience, endurance a l’effort, force de travail sont souvent appréciées. Jetés sur un poste à responsabilité nous ne sommes pourtant pas si convaincus de nos compétences et tombons dans le piège du syndrome de l’imposteur. Le travail en équipe nous stimule et nous épuise à la fois, les ressentis, humeurs diverses nous arrivant de plein fouet de manière explicite ou implicite. Notre humanité, altruisme mêlé à notre perfectionnisme et niveau d’expertise dans notre métier font de nous de très bons pédagogues.

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