Chanter faux : est-ce une fatalité ?

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Chanter faux : est-ce une fatalité ?

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Catherine Frot incarne Marguerite, dans un film éponyme de Xavier Giannoli
Catherine Frot incarne Marguerite, dans un film éponyme de Xavier Giannoli

Que les adeptes de la stratégie du playback, qui n’osent pas ou plus chanter en public de peur d’être grossièrement qualifiés de casseroles se rassurent : chanter faux n’est ni le signe d’une mauvaise audition, ni une fatalité.

C’est grave, docteur ?

Pas du tout. « Tout le monde est capable de chanter juste », affirme même Erkki Bianco, phoniatre et ancien laryngologue de l’Ecole d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris. Et son explication débute par la correction d’une erreur bien trop répandue : « On se dit toujours que c’est un problème d’oreille mais c’est totalement faux, c’est un problème de proprioception ».

Proprioception ? Simplement la conscience de notre corps et de ses mécanismes. Ainsi, à moins de souffrir d’une pathologie auditive bien particulière, une personne chante faux parce que, tout simplement, elle ne connaît pas les bons gestes vocaux.

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L'origine du mal

Chacun utilise quotidiennement ses cordes vocales, ne serait-ce que pour parler. Là où le chant complique l’exercice, c’est qu’il nécessite de connaître quelle sensation musculaire associer à chaque hauteur de son.

Pour ceux qui ont pu explorer et assimiler ces sensations dès le plus jeune âge, le geste vocal se fait alors inconsciemment. Pour les autres, il va falloir l’apprendre et commencer par rompre avec une idée tenace, le fameux « je ne peux pas ».

Des neurobiologistes de l'Université de Zurich ont découvert comment les oiseaux sont capables d'entendre leur propre chant et de le comparer à celui de leur «maître»
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C'est pas seulement ma voix qui chante

Quand certains trouvent le courage de se lancer, ils peuvent se trouver bien déçus par leurs premières vocalises… Mais ce n’est souvent que l’effet du stress : une trop forte pression s’exerce sur les cordes vocales ce qui crée un décalage entre ce qu’ils veulent chanter et ce qu’ils chantent réellement.

Même chez les personnes les moins timides, un simple manque d’exercice peut suffire à leur laisser échapper quelques fausses notes. Ainsi, un bon musicien instrumentiste peut tout à fait rencontrer des difficultés à chanter, parce qu’il n’a jamais vraiment eu à mobiliser son appareil vocal, hormis en cours de solfège.

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« Presque tout le monde chante facilement Frère Jacques... Mais Joyeux Anniversaire paraît toujours plus compliqué », observe le Dr Bianco. Car les apprentis chanteurs s’imaginent en effet à tort, qu’un écart entre deux notes nécessite un grand effort, alors que le geste vocal à effectuer est, lui, tout petit…

La France, mauvaise élève

« La France est un des pays où l’on chante le plus mal ». Et en effet, les écoliers français chantent trop peu souvent, comparé notamment à leurs voisins allemands ou britanniques. Et lorsqu’on leur demande de chanter, c’est trop souvent dans un contexte de notation ou de contrainte, qui inhibe progressivement leurs capacités vocales.

Il faut dire que le français, langue plate et sans accentuation, ne nous aide pas. A l’inverse, le chant est chose plus naturelle pour les populations aux langues tonales. En chinois, par exemple, la prononciation des syllabes inclut déjà une hauteur de son : mâ et mà n’ont pas la même signification, et il faut ainsi presque chanter pour se faire comprendre.

Le premier ton chinois est proche de la hauteur du La
Le premier ton chinois est proche de la hauteur du La

Être un chanteur

Cela peut sembler paradoxal, mais le Dr Bianco est formel : « Pour entendre, il faut déjà avoir fait ». Chanter juste nécessite donc d’abord et avant tout une expérimentation physique : produire de bons comme de mauvais sons pour retenir le geste vocal qui leur correspond. Ainsi, une personne souffrant d'une dégradation de son audition peut continuer à chanter juste, parce qu'elle conserve les bons mécanismes physiologiques.

Vient ensuite l’écoute. Il peut évidemment être utile de s’imprégner de musique lorsque l’on veut améliorer son chant, bien que le résultat dépende de ce à quoi on prête attention. Si c’est la justesse que l’on vise, écouter est un bon exercice d’identification et de différenciation : cette note était-elle plus aigüe ou plus grave que la précédente ?

Gene Kelly au piano
Gene Kelly au piano

Le syndrome Jenkins

S’inspirer du grand répertoire et des plus belles voix, pourquoi pas, mais la démarche reste vaine tant qu’on ne sait pas s’écouter soi-même. C’est ce qu’illustre parfaitement le cas de la soprano américaine Florence Foster Jenkins, casserole notoire, que l’on connaît à l’écran sous les traits de Catherine Frot (dans Marguerite) et de Meryl Streep.

Madame Jenkins écoutait beaucoup de musique, ne manquait guère de confiance en elle, et chantait pourtant terriblement faux. Pire encore : elle ne semblait pas du tout s’en rendre compte. Selon le Dr Bianco, la première explication possible de son mal est simple : « E_lle a commencé tard et, surtout, elle ne s’écoutait pas chanter_ ».

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Ne jamais dire jamais

Avec plus ou moins de facilité, chacun est donc capable de s’entraîner pour chanter juste, le plus tôt étant le mieux. Reste évidemment par la suite à développer son oreille musicale et d’autres qualités vocales, comme l’expressivité. A moins que justement, la musique ne provoque en nous aucune émotion particulière.

C’est ce qu’on appelle l’amusie : ne pas différencier la musique des autres bruits. Dans ce cas-là, il s’agit d’une pathologie neurologique, le cerveau n’interprète pas correctement les sons. Mais même face à un tel handicap, il nous faut rester optimiste : non seulement l’amusie ne touche qu’une part infime de la population, mais de récentes recherches ont montré qu’il est possible d’en guérir.

Che Guevara aurait souffert d'amusie
Che Guevara aurait souffert d'amusie
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