Afrique

Guinée : Au pays Toma, les morts ne sont pas morts

Ils auraient juste changé d’état, ou migrer dans «le village de Dieu»

Esma Ben Said  | 10.10.2017 - Mıse À Jour : 11.10.2017
Guinée : Au pays Toma, les morts ne sont pas morts Photo d'archives

Guinea

AA/Conakry/Boussouriou Bah

Figurant parmi les quatre régions naturelles du pays, la Guinée Forestière est considérée comme une zone de mœurs. Composée de plusieurs groupes ethniques, cette région est dotée d’un dénominateur commun, la forêt sacrée.

«Cette forêt sacrée est considérée comme une école, une retraite qui devait durer sept ans, au cours de laquelle les initiés doivent apprendre toutes les réalités relatives à cette communauté, à savoir la vertu des plantes, la chasse, la culture des champs et tout ce qui pouvait permettre à l’homme de s’affranchir, au terme de sept années de retraites en brousse.

A cette occasion, on apprend à déchiffrer les graffs qu’on peut appeler des écritures, relevant de la communauté Toma qui permettaient aux initiés de communiquer entre eux. Aussi, on apprenait comment garder les secrets contre vent et marrée», révèle Serge Seba Guilao, consultant en développement communautaire, au cours d’un entretien accordé à Anadolu.

La forêt sacrée doit ses origines à la communauté Toma (une ethnie du Sud de la Guinée). Cette communauté est considérée comme dépositaire de la plus grande partie de la population forestière. «C’est cette communauté qui avait la réputation de garder les secrets. Or, la forêt sacrée repose sur des secrets. Cette communauté a eu le plus grand espace culturel jusque-là inexploré. Il y a eu des tentatives pour découvrir la profondeur de la culture Toma qui ont été entreprises par les Français. Malgré ces initiatives des Français, certaines valeurs culturelles Toma sont restées jusque-là inexplorées», explique cet originaire du pays des Toma.

L’une des caractéristiques du pays, c’est l’inexistence de cimetières pour les morts. «Pour la communauté Toma, les morts ne sont pas morts. Les morts ne font que changer d’état sur le plan physiologique et anatomique. Ou bien, ils ont juste changé de milieu. Pour cette communauté, celui qui est censé être mort ne l’est pas, il a juste changé d’état», indique notre interlocuteur. C’est pourquoi, justifie-t-il, «quand une personne aurait vécu pleinement dans le milieu Toma, de l’enfance jusqu’à la vieillesse, il aura participé à toutes les activités de la communauté, il aura joué tout son rôle dans sa classe d’âge depuis sa jeunesse jusqu’à l’ère de la sagesse. Quand la mort survient, cet homme est considéré comme celui qui a rempli pleinement son devoir au milieu des siens».

Voyage dans l'autre monde

En haute banlieue de Conakry, Anadolu a rencontré le vieux Zézé Guilavogui, qui prépare son «voyage à l’autre monde». «Je compte rentrer bientôt au village pour attendre mes derniers jours dans ce monde», nous confie le vieil homme. En famille, on apprend que la disparition d’un tel sage de la communauté sera bien célébrée au pays Toma.

Serge Seba Guilao nous apprend que la mort d’un tel sage ne sera pas pleurée au pays Toma. «Sa mort sera plutôt célébrée comme une vive participation à la vie collective. C’est pourquoi les danses folkloriques et les réjouissances sont organisées. Le fait d’avoir vécu de la jeunesse jusqu’à la vieillesse et qu’il soit mort de façon naturelle, chez les Tomas cette personne ne doit pas être pleurée, on doit plutôt être fier de son changement de milieu. Il doit juste quitter ceux qui sont appelés «les vivants» pour rejoindre les ancêtres qui, pour les Tomas sont «vivants» dans un autre village qu’on appelle «le village de Dieu».

Pourquoi ne pas enterrer les «morts» dans des cimetières? Pour le consultant en développement communautaire, «on ne souhaite pas qu’il se sépare de ses frères et sœurs, il est parmi eux. C’est pourquoi, on souhaite le garder dans le voisinage pour qu’il veille sur les réalités au quotidien de la famille. D’où l’idée de ne pas choisir un site approprié (cimetière). Car c’est une façon de nous dissocier des ‘’morts’’ alors qu’ils sont encore avec nous. C’est une façon de leur permettre de vivre dans le milieu familial».

Toutefois, clarifie-t-il, «lorsque c’est un enfant ou un jeune qui est mort, ce n’est pas la même donne, ils ne sont pas enterrés dans le milieu familial. Même chose pour les personnes mortes accidentellement qu’on considère comme une tragédie».

Lors de l’enterrement, explique Serge, «les Toma procèdent par étape. Une première étape consiste à égorger un ou deux coqs pour dire que ce coq permettra à celui qui va quitter ce monde de traverser la rivière qui nous sépare des ‘’morts’’. C’est ce que nous appelons ‘’le saut sur la rivière’’ qui sépare les ‘’morts’’ des ‘’vivants’’. Apres, on procède à l’enterrement proprement dit. Ensuite, on procède à l’égorgement d’autres coqs pour dire : «toi qui a traversé la rivière, nous souhaitons que tu passes un message à nos ancêtres pour dire que nous continuons à implorer leur protection».

Chaque année, souligne-t-il, «après les récoltes, une période est consacrée à des offrandes pour les morts pour remercier les ancêtres et les aïeux pour la réussite champêtre qu’on appelle le «don aux morts».

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