L’Autorité de la concurrence sanctionne à hauteur de 79 millions d’euros une entente entre les quatre principaux distributeurs de produits chimiques présents en France.

L’Autorité de la concurrence publie aujourd’hui une décision par laquelle elle sanctionne à hauteur de 79 millions d’euros une entente entre Brenntag, Caldic Est, Univar et Solvadis. Cette entente a consisté, pour ces distributeurs de produits chimiques, à restreindre la  concurrence en se répartissant les clients et en se coordonnant sur les prix. Les pratiques en cause ont été relevées en Bourgogne, Rhône-Alpes, dans le Nord et l’Ouest de la France et ont été appréhendées par l’Autorité dans leur globalité dans la mesure où elles relèvent d’une seule et même stratégie. Les entreprises en cause totalisent plus de 80 % du marché de la distribution de commodités chimiques en France. De très nombreuses entreprises (industriels, PME) ont été victimes, en aval, de ces pratiques : à l’exception de l’Île-de-France et du Sud-Ouest, c’est la majorité des bassins industriels français qui ont été touchés.

Solvadis a bénéficié, au titre de la clémence, d’une immunité de sanction. Elle encourait une amende de 13 millions d’euros. Elle a été la première à informer l’Autorité de la concurrence de l’existence de l’entente.

A l’origine de l’affaire, une demande de clémence

L’Autorité de la concurrence (à l’époque le Conseil de la concurrence) a été informée de l’existence de ce cartel par la société Solvadis, qui a sollicité le bénéfice de la procédure de clémence. Les groupes Brenntag et Univar ont ensuite déposé successivement des demandes de clémence.

La procédure de clémence permet, sous certaines conditions, à une entreprise qui porte à la connaissance de l’Autorité de la concurrence une entente à laquelle elle a participé d’être exonérée de sanction totalement ou partiellement, en fonction notamment de son rang d’arrivée à l’Autorité, de la valeur ajoutée des informations transmises ainsi que de sa pleine coopération avec l’Autorité pour établir l’existence de l’infraction (en savoir plus sur la procédure de clémence).
Pour mémoire, depuis l’instauration de la procédure en droit français en 2001, l’Autorité a reçu 61 demandes de clémence et rendu 7 décisions1.

Le secteur de la distribution des commodités chimiques

La décision prononcée par l’Autorité de la concurrence concerne le secteur de la distribution des produits ou, plus précisément, de commodités chimiques.

Les commodités chimiques, produites par les grands groupes de chimie (Exxon, Shell, BP, Solvay, Rhodia, BASF…) sont les matières premières de base issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie telles que les solvants, les alcools, les acides, les éthers, la javel, la soude… 
Elles sont utilisées dans de très nombreux secteurs : industrie chimique, agro-alimentaire, automobile, blanchisseries hospitalières et privées, traitement des eaux, armement, industrie du béton, industrie de la désinfection et du nettoyage, fabrication de peinture, industries mécanique et aéronautique, industrie textile, etc. Les commodités sont vendues soit directement par les producteurs pour les grands volumes ou commercialisées par des intermédiaires, comme les distributeurs, pour les petits volumes. Les pratiques en cause concernent les distributeurs comme l’illustre le schéma ci-dessous.


 

Un contexte réglementaire et économique particulier

Les commodités chimiques sont des produits qui peuvent être dangereux (parfois inflammables, toxiques ou explosifs). À ce titre, elles sont soumises à une réglementation stricte, connue sous le nom de directive « Seveso ». Cette dernière vise à garantir la sécurité tant des produits que des populations et de l’environnement en encadrant leur qualité, leurs conditions de stockage et de transport. Elle oblige par conséquent les fournisseurs et distributeurs à investir dans les installations accueillant ces produits.

Ce contexte combiné à une vive concurrence par les prix a impacté les résultats des distributeurs, qui ont alors décidé d’arrêter une stratégie commune visant à pacifier le marché en stoppant la « guerre des prix », qui avait été initiée par Brenntag, et à restaurer leurs marges.
Un participant à l’entente a résumé la situation ainsi  (paragraphes 74 à 88 de la décision) :

« la société Brenntag venait de racheter la société Orchidis et s’est mise à pratiquer des prix très bas sur les commodités chimiques en espérant affaiblir les structures locales en vue d’éventuels rachats sur la zone Rhône-Alpes. Notamment afin de résister à la pression de la compétition, les structures Favre et Vaissière ont fusionné en 1995. Toutes les sociétés locales ont été contraintes d’entrer dans cette guerre des prix mais cette stratégie affaiblissait les différentes structures. Brenntag avait également des résultats en forte baisse sur la région. Selon moi, M. Z… qui connaissait les différents dirigeants des sites locaux et pour redresser les résultats de Brenntag, a pris l’initiative de réunir tous les interlocuteurs sur la région en vue d’une entente sur la minérale et pour l’application des frais techniques. Très vite, ont été évoqués les solvants, une entente sur les prix et les répartitions de volumes ont été mis en place (…) Progressivement nous avons remonté les prix afin de redresser les marges »

 

Coordination sur les prix et partage des clients

Les ententes ont été mises en place entre 1998 et mi-2005 dans les quatre zones géographiques où les sites de stockage des distributeurs de commodités concernés généraient les résultats les plus faibles : Bourgogne, Rhône-Alpes, Ouest et Nord.

Les représentants des sociétés Solvadis, Brenntag et Univar et Caldic, présents selon les zones, se réunissaient secrètement et de façon régulière dans des hôtels ou des restaurants ou échangeaient par téléphone, parfois sur des lignes dédiées afin d’éviter toute trace de ces communications, pour se répartir la clientèle et se coordonner sur les prix.

  • La répartition de clientèle

Les clients étaient distingués selon qu’ils mettaient ou non régulièrement en concurrence les distributeurs. Les premiers faisaient l’objet d’une répartition organisée sous forme de « tours » visant à allouer alternativement les clients entre les participants aux ententes. Ce système reposait sur des offres de couverture présentant comme mieux-disante la proposition d’un distributeur désigné par les membres de l’entente comme devant emporter le marché. La seconde catégorie de clientèle moins sensible aux prix et plus fidèle aux distributeurs faisait l’objet d’un pacte de non agression selon lequel chaque distributeur s’abstenait de démarcher activement ces clients. Cela se traduisait par un gel des portefeuilles de clients de chacun.
 Les pièces ou déclarations indiquent par exemple (voir paragraphes 124 à 386 de la décision) :

- « prendre » le client
- « Q+F signifie que Brenntag ne doit pas concurrencer Quarréchim et Vaissière-Favre [Univar] qui se partagent le client. Brenntag doit donc couvrir ses concurrents »
- « Couvrir »
- « couverture Caldic 2002 », « 100 % Caldic »
- « [i]l s’agit des clients qui étaient soit partagés soit réservés. Les lettres “B” et “C” désignent le distributeur qui devait livrer le client »

  • La coordination tarifaire

Les prix proposés aux clients des distributeurs étaient également arrêtés en commun. Les documents ou déclarations des parties font état de « tarif cartel » ou « tarifs communs ». Les membres de l’entente ont par exemple déclaré (voir paragraphes 124 à 386 de la décision) :

- « Il s’agissait de discuter des prix, de fixer des prix planchers pour la vente de lessive de soude et de se répartir les clients. »
- « Nous nous mettions d’accord sur le niveau de prix à appliquer en fonction du conditionnement et du lieu où le produit était livré. » 
- « J’échangeais par téléphone le prix de vente à pratiquer en accord avec les concurrents pour garder un volume d’affaires chez ces clients. »
 

  • La mise en place d’une surveillance

La mise en œuvre de l’entente était surveillée de près afin de s’assurer qu’aucun participant ne dérogeait aux règles définies. Des vérifications auprès des clients pouvaient être réalisées ainsi que des rappels aux règles du mode de fonctionnement de l’entente. En voici quelques illustrations (voir paragraphes 124 à 386 de la décision) :

- « Brenntag a appelé M. Q… car RPC-Clément [Solvadis] nous avait pris une commande en pratiquant des prix très bas chez Heineken. Nous voulions savoir ce qui se passait »
- « le 6/1/99 Cartonnerie de Gravelines, 85 au lieu de 90, -> Appel U… »

 

Une collusion de grande ampleur qui a impliqué les principaux distributeurs de commodités chimiques et impacté la quasi-totalité de leurs clients, notamment des PME

Les nombreux éléments et déclarations recueillis ont permis d’établir l’entente dans au moins 4 zones géographiques couvrant une très grande partie du territoire français (34 départements). A l’exception de l’Île-de-France et du Sud-Ouest, c’est la grande majorité des grands bassins industriels français qui ont été touchés par les pratiques. De grands groupes industriels (Thomson, Seb, Saint-Gobain…) mais aussi de nombreuses PME, comme des blanchisseries, ainsi que des collectivités hospitalières (CHU de Dijon, par exemple) ont ainsi été victimes de l’entente en payant plus cher leur approvisionnement en matières premières. 

Un cartel constitue l’une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où il confisque, au profit des auteurs de 1’infraction, le bénéfice que les entreprises en aval de la chaîne de valeur et les consommateurs – en l’espèce les clients industriels ou les PME-PMI, voire des collectivités publiques, acheteurs de commodités chimiques – sont en droit d’attendre d’un fonctionnement concurrentiel normal. Cette pratique est d’autant plus grave en l’espèce qu’elle a concerné simultanément plusieurs paramètres clés du jeu concurrentiel (prix, clients).

Les sanctions prononcées

L’Autorité a fixé le montant des sanctions en tenant compte, notamment, du rang d’arrivée et des éléments apportés par les demandeurs de clémence.

A ce titre, elle a accordé l’immunité totale à Solvadis, 1ère entreprise à s’être auto-dénoncée et à avoir révélé le cartel (elle encourait une sanction de 13 millions d’euros). GEA Group, qui n’était pas partie à la demande de clémence, a en revanche été sanctionnée en tant que société mère de Solvadis au moment des faits.

Brenntag et Univar, 2ème et 3ème demandeur de clémence, ont vu leur sanction réduite  respectivement de 25 % et 20 % au titre de la clémence.

Concernant Brenntag, l’Autorité a aussi pris en considération sa place centrale dans le cartel : pivot de l’entente, elle en a été l’instigatrice dans trois régions et en exerçait la surveillance.

Les sanctions prononcées :

Solvadis 0 €
GEA Group (société mère de Solvadis au moment des faits) 9 405 279 €
Brenntag, solidairement avec DBML, sa société mère au moment des faits 47 802 789 €
DBML 5 311 422 €
Univar 15 180 461 €
Caldic Est 1 335 036 €
Total 79 034 987 €


1Les décisions concernent des secteurs très variés : farines (12-D-09), lessives (11-D-17), négoce de produits sidérurgiques acier (08-D-32), production de contreplaqué (08-D-12), déménagements (07-D-48), fabrication des portes (06-D-09) et aujourd’hui distribution de commodités chimiques.

Contact(s)

Virginie Guin
Virginie Guin
Directrice de la communication
Yannick Le Dorze
Yannick Le Dorze
Adjoint à la directrice de la communication
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