Assemblée Numérique 2022 : Les communs numériques, une ambition renouvelée pour l’Europe

Lors de l’Assemblée Numérique 2022, nous avons assisté avec intérêt à la plénière du 22 juin intitulée « Les communs numériques, une ambition renouvelée pour l’Europe » et aux interventions des membres du panel issus de secteurs différents (numérique, universitaire et politique) représentant la diversité des enjeux autour des communs.

Ainsi, nous avons pu entendre :

Nous vous partageons les notes prises lors de ce temps fort qui a été l’occasion de présenter le rapport sur les communs numériques : un levier essentiel pour la souveraineté européenne, 24 juin 2022, un important jalon pour le soutien aux communs numériques à l’échelle européenne.

Contexte de l’événement

Co-organisée dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, l’assemblée numérique des 21 et 22 juin 2022, a réuni une grande diversité de parties prenantes pour échanger sur les questions liées à la souveraineté et à l’autonomie de l’Union européenne.

Cette conférence hybride fut l’occasion de discuter des sujets majeurs de la décennie numérique, à savoir l’investissement pour les compétences numériques en Europe, la protection des mineurs sur internet, le métavers et web3, le soutien au secteur numérique ukrainien, la chaîne de valeur numérique, les communs numériques, ainsi que la double transition numérique et écologique.

Qu’est-ce qu’un commun ?

Une définition des « communs numériques » est proposée en introduction et revient sur les enjeux et les perspectives des communs:

« Les communs numériques sont des ressources numériques non rivales et non exclusives. Ils offrent à la communauté qui y participe un accès libre et facile à l’information. »

Des questions subsistent néanmoins quant à leur implémentation et ont été abordées au cours de cette plénière :

  • Comment développer davantage de biens communs numériques en Europe ?
  • Comment accélérer leur développement ?

Des enjeux d’indépendance et de sécurité

Au sein d’une structure organisée en commun numérique, l’approche ouverte a un impact sur le mode de fonctionnement et signifie davantage de responsabilisation pour les personnes impliquées dans le projet. Par exemple, dans le cadre d’une activité de service, il pourra y avoir une plus grande réactivité pour trouver des solutions aux problèmes de fonctionnement lorsque ceux-ci sont remontés, car la communauté peut s’en emparer pour proposer des améliorations.

Il existe également de bonnes pratiques en matière de sécurité déployées dans le cadre des communs numériques pour le traitement de bugs informatiques.

Souvent méconnus, il faut savoir que derrière les logiciels que nous utilisons quotidiennement, il existe des millions de développeurs qui contribuent à l’écriture et l’amélioration de programmes et logiciels complexes. Il y a eu une très grande évolution, car autrefois les codes sources étaient des objets secrets et privés. Aujourd’hui, des logiciels essentiels, mêmes propriétaires, sont basés sur des composants partagés sous licence libre. Ainsi aucune entreprise ni nation ne peut seule, reconstruire l’infrastructure numérique qui est le résultat d’un travail collectif non coordonné.

Divers besoins sont identifiés par les intervenants pour que cette évolution puisse continuer tout en restant soutenable et sûre :

  1. Reconnaître que le logiciel est un objet prioritaire. un processus déjà amorcé aux États-Unis avec l’executive Order on Ensuring Responsible Development of Digital Assets, il s’agit de l’importance d’améliorer la qualité des logiciels.
  2. Identifier les logiciels critiques ou clés pour concentrer les financements nécessaires à l’amélioration de leur qualité, par exemple dans la lignée du projet pilote FOSSEPS.
  3. Se doter des instruments nécessaires à l’exploration et l’analyse de la galaxie mondiale du développement du logiciel. par exemple Software Heritage collecte tous les codes sources du monde.

Exemple inspirant : Le projet OpenSatCom de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) a pour ambition d’évaluer la pertinence des modèles économiques et organisationnels de l’Open Source pour le secteur des télécommunications satellitaires et d’initier des contributions stratégiques à certains projets Open Source clefs du domaine.

Se structurer en commun numérique

Pour les collectifs qui font le choix de se constituer en “commun numérique”, il est convenu que faire le choix d’être sous licence libre, c’est d’abord faire le choix de pouvoir mobiliser une communauté. In fine, cela permet d’être aidé par une communauté pour développer des compétences numériques (tests, tutoriels, certificats), avoir une certaine exigence du fait d’être visible sur la place publique, d’être plus fort en matière de sécurité, et plus largement de construire en commun et d’aller au-delà du cadre strictement national.

PIX est une plateforme qui développe des compétences numériques par le biais de formations certifiantes. Elle travaille avec l’UNESCO, partie prenante essentielle des communs à l’échelle mondiale.

Une révolution des standards ouverts

L’Europe a joué un rôle majeur dans cette révolution numérique, qui incarne en réalité une révolution des standards ouverts. Cependant, cette révolution est aujourd’hui menacée par des monopoles ou des acteurs malveillants, ce qui fait naître un besoin accru de souveraineté et d’autonomie stratégique pour les États.

Face à ce constat, les communs représentent un moyen d’encapaciter les citoyens, mais aussi

« Un moyen de porter une vision de liberté individuelle articulée à une souveraineté démocratique des États qui ne soit pas rivale de celle des autres. »

Henri Verdier

Si l’Union européenne se pose sur un socle commun par l’utilisation de logiciels libres, de codes sources ouverts, de plateformes Open Source, et de données ouvertes, elle est plus autonome et démocratique, mais elle permet également à d’autres de bénéficier de ces mêmes libertés au-delà de ses frontières.

Les communs, une partie intégrante d’une stratégie de souveraineté numérique

Faisant suite à la conférence « Construire la souveraineté numérique de l’Europe » de février 2022, un groupe de travail informel constitué de 18 États membres a auditionné la plupart des grands communs mondiaux. Les conclusions de leur rapport sur les communs numériques préconisent que l’Europe doit avoir une stratégie active et un engagement réel en soutien des communs numériques, qui comporte un volet financier, mais aussi tout un pan culturel, car il faut savoir utiliser et contribuer aux communs, en comprendre les logiques profondes, et travailler avec des écosystèmes sans les déstabiliser afin de pouvoir pleinement en tirer partie.

Pour œuvrer ensemble au niveau européen, il a été annoncé qu’une fondation européenne pour les communs verra prochainement le jour afin de promouvoir et pérenniser les communs en s’appuyant sur les logiciels libres, les données ouvertes, l’interopérabilité, parmi d’autres facteurs clés.

Durabilité et communs numériques

L’approche des communs permet la création d’activités qui auront un impact sur le marché. Afin d’assurer l’avenir des communs numériques, il faut aller au-delà d’un modèle classique de création de valeur financière, pour s’ouvrir à d’autres types de bénéfices générés, par exemple la valeur sociale.

La Fondation Mozilla est un organisme à but non lucratif œuvrant pour le bien commun.

Le développement logiciel est une activité distribuée par nature, qui inclut des personnes réparties à travers le monde. Il faut assurer l’intégrité du système, la traçabilité des composants, la capacité à assurer la maintenance des logiciels. On ne peut pas faire ce travail en tant qu’individu ou société, c’est pour cela que nous parlons de communs.

L’infrastructure de base doit être accessible pour tout un chacun. Il faut donc mettre sur pied une opération au niveau mondial. Software Heritage, par exemple, est une archive de 118 millions de codes sources, avec un programme en miroir qui permet à chaque pays d’obtenir une copie complète des données normalisées et avec une infrastructure partagée.

La création de prix nationaux pour les logiciels libres permet une reconnaissance effective des équipes derrière les codes sources et plus de visibilité. À l’échelle de la France, il existe plusieurs initiatives issues du deuxième Plan national pour la science ouverte, telles le Prix du logiciel libre en recherche, qui vise à mettre en lumière les projets et les équipes qui contribuent à la construction de ces biens communs.

Les enjeux géopolitiques des communs

Au-delà d’une simple différence économique ou géographique, il existe une tension de fond de nature philosophique entre la recapture et les communs [1]. Cette dialectique s’accompagne d’une conversation mondiale et l’Europe s’appuie sur une vision partagée avec d’autres acteurs tels le Berkman Klein Center de Harvard, Creative Commons, ou encore la Mozilla Foundation.

[1] Cette paraphrase des propos d’Henri Verdier emploie la terminologie de l’essai emblématique et controversé de G. Hardin « The Tragedy of the Commons », publié dans le revue Science en 1968.

Le côté pragmatique du développement est l’un des facteurs de réussite des logiciels libres et Open Source, puisque des personnes peuvent s’en servir et y contribuer à travers le monde.

Pour un champ comme celui de l’éducation, les communs sont une voie qui permet d’aller potentiellement plus loin dans l’intégration européenne autrement que par l’interétatique, qui reste néanmoins important démocratiquement. Lorsqu’on travaille dans une logique de communs, non seulement on met à disposition ce que l’on fait, mais on crée également une communauté transnationale et horizontale.

Pour assurer l’avenir de ces communs, les diverses discussions soulignent la nécessité de règles de bonne conduite pour travailler pour le bien commun et au service d’outils durables.

Un socle européen commun

Afin de pouvoir rendre des comptes aux citoyens européens, garantir l’accès à une infrastructure pérenne et sécuriser, le devoir des gouvernements est d’assoir le service public sur des ressources pérennes, à gouvernance ouverte et transparente. L’idée est de permettre à terme la création d’un socle européen du e-gouvernement et son partage.

Vue de loin, l’Union européenne est vite perçue comme un continent très à cheval sur les normes et les réglementations. Afin de renverser la connotation négative parfois associée à cet attachement aux régulations, parfois appelé the regulation burden, les communs numériques apportent une vraie dimension de coopération internationale et d’aide au développement qui passe par le partage de ressources créées. Il s’agit de bâtir une structure fiable pour aider à la continuité de l’action publique et de sa visibilité.

Le programme de recherche pluridisciplinaire « EnCommuns » (2018-2020) mené par L’Agence Française du Développement constitue une référence sur la thématique des communs.

Une proposition forte, qui va dans le sens des préconisations faites dans le rapport remis par le groupe de travail, concerne la création d’un guichet unique (one-stop-shop) pour que différents types d’acteurs puissent se repérer et s’orienter en matière de création de communs numériques.

Une initiative collective impulsée par la mission Société Numérique de l’ANCT et de la MedNum, La Boîte à Outils des Communs Numériques a pour objectif de répondre aux principales questions qui entourent l’émergence et la pérennisation de communs numériques.

La Base du numérique d’intérêt général regroupe les ressources des professionnels du numérique d’intérêt général dont l’inclusion et la médiation numériques.

Un autre point qui ressort également des échanges concerne le suivi des modèles de pérennisation viables pour des projets soutenus par des fonds européens. Par exemple, le nombre de projets financés sous le Digital Education Action Plan ayant abouti à des projets de communs reste incertain.

Il est relevé que le choix de logiciel libre n’étant jamais anodin, le financement et la normalisation ont une certaine importance pour la constitution technique des communs.

De l’ouverture aux communs

Si autrefois l’ouverture était jugée trop souvent radicale et incomprise, on assiste aujourd’hui à un véritable changement culturel.

Ce moment structurant pour le futur des communs numériques à l’échelle européenne nous donne l’occasion de partager des ressources et des outils avec lesquels nous travaillons au quotidien au sein du cabinet, qu’ils aient été mentionnés ou non lors de l’Assemblée Numérique.

Ce billet est basé sur les notes prises lors de l’événement paraphrasant les propos des intervenants. Toutes les citations directes ont est indiquées et attribuées. Ce texte a été rédigé et édité collectivement par plusieurs membres de l’équipe d’inno³ : Romane Leban-Mathieu, Maya Anderson-Gonzalez, Vincent Bachelet et Benjamin Jean.

Ressources associées

Ressources complémentaires

Sélection de références citées