Digitalisation, télétravail, e-learning : depuis maintenant un an, la crise sanitaire a contraint les entreprises à accélérer les évolutions touchant l’organisation du travail, le management des équipes et la communication interne. Si elles ont d’abord été engagées dans l’urgence, ces évolutions pourraient finalement s’inscrire dans la durée. La crise est donc peut-être en train de façonner un nouveau monde du travail.

Des organisations et des modes de fonctionnement à repenser

« Le monde après le coronavirus sera le même, en un peu pire. » Cette affirmation de Michel Houellebecq a provoqué de nombreuses réactions l’année dernière. Déprimant pour certains, lucide et visionnaire pour d’autres, l’écrivain suscite un intérêt d’autant plus légitime que, d’Extension du domaine de la lutte à Sérotonine, chacun de ses romans dessine un portait sans concession de notre société. Si le pessimisme qu’il exprime rend compte des incertitudes de l’avenir, il met surtout en évidence des constats qui s’imposent. Parmi ces constats, il est clair que les modes de fonctionnement auxquels se réfèrent encore beaucoup d’entreprises sont à repenser.

Des salariés désabusés par des organisations remaniées en permanence, des orientations stratégiques comprises par des cercles de plus en plus restreints autour des dirigeants, des cadres tiraillés entre des objectifs inatteignables et des injonctions contradictoires, des processus budgétaires devenus routiniers et contraignants, des circuits de validation jalonnés de réunions interminables, des équipes projets dont la bonne volonté est vite découragée, des communiqués et des notes de service qui ne font qu’annoncer ce que tous les employés savent déjà…
Le constat est affligeant : la multiplication des normes, des certifications, des chartes, des process a tellement bureaucratisé les entreprises que le monde du travail s’est déconnecté des aspirations profondes de la société. Dans Les Échos, la journaliste Muriel Jasor constate ainsi que « la bureaucratie sévit aussi en majesté en entreprise, où se multiplient quantité d’indicateurs et comités de pilotage, reportings, visas hiérarchiques, procédures de contrôle, organisations matricielles et réunions de coordination ». Son confrère David Barroux ajoute que « les organisations s’étoffent inutilement en recrutant des experts » qui ne font que créer de la complexification « ne serait-ce qu’inconsciemment pour prouver qu’ils servent à quelque chose ».

Il est d’ores et déjà évident que la crise sanitaire va s’accompagner d’une crise économique d’une ampleur exceptionnelle et forcément inquiétante. Dans de nombreux secteurs d’activité, les entreprises vont devoir se restructurer et peut-être même fusionner pour s’en sortir. Mais de cette crise, vont aussi émerger de nouvelles façons de diriger, de manager et de communiquer. Enfin !

Simplification, solidarité, dialogue, humanité : les mots-clés de l’entreprise de demain

Une première tendance apparaît dans les projets de réorganisation annoncés par certains grands groupes : la simplification. De plus en plus de dirigeants prennent conscience du fait que, pour réussir, leurs entreprises doivent gagner en réactivité, en agilité, en créativité et, finalement, en simplicité. L’effort de simplification concerne tout particulièrement les sièges et leurs équipes centrales.
David Barroux l’affirme sans détour : « le siège va devenir souvent plus petit et plus modeste, déjà parce qu’il accueillera moins de monde ». Il ajoute que cette simplification des structures va s’accompagner d’une décentralisation des responsabilités parce que « le siège ne doit plus tout décider » et qu’il a « plus vocation à être un concentré d’expertise, venant en appui des marchés locaux, qu’une direction qui impose en étant éloigné d’un terrain qu’elle connaît mal ».

La décentralisation ne peut se faire sans un allègement des contrôles et des audits. Franck Brillet, Inspecteur Général de l’Éducation Nationale, et Aline Scouarnec, professeure à l’université de Caen, prédisent qu’à travers de nouvelles méthodes de management, « on abandonne clairement l’idée d’un suivi au jour le jour et on adopte des pratiques privilégiant le management responsable et par la confiance ». L’allègement des contrôles peut favoriser des évolutions très positives en valorisant la créativité, en libérant les forces de proposition, en facilitant la circulation des informations et la diffusion des bonnes pratiques.

Les périodes de transformation nécessitent de multiplier les efforts de communication et de dialogue. Celle qui commence actuellement ne fera pas exception. La multiplication des outils de communication à distance n’est d’ailleurs pas possible sans la négociation d’accords collectifs qui en définissent les modalités.
Pour l’avocat Jacques Brouillet, « nous avons là une exceptionnelle occasion de rénover et développer un dialogue social constructif ». D’évidence, le télétravail est le sujet de négociation prioritaire. Jacques Brouillet observe qu’il « s’est développé de façon parfois anarchique » et qu’il « devra être mieux encadré notamment avec les partenaires sociaux ». La négociation sociale a donc de l’avenir.

Depuis plusieurs décennies, la mondialisation a contribué à un accroissement des inégalités, à un éclatement de la classe moyenne, à une polarisation du marché du travail entre les personnes diplômées et a contrario celles qui sont appelées à exercer des métiers peu qualifiés. La crise sanitaire permet de s’interroger sur la pertinence de certains préjugés hiérarchiques puisque notre pays n’aurait pu faire face à la gravité de la situation si ses aides-soignantes, ses manutentionnaires, ses caissières et ses éboueurs n’avaient pas consenti à continuer à travailler normalement, malgré les risques inhérents à la pandémie.
Ces corps de métiers ont montré une humilité et un courage qui peuvent servir d’exemple à bon nombre de cadres supérieurs. En plus du dépassement des préjugés, la crise invite à remettre les ressources humaines au cœur des préoccupations managériales. Président du cabinet LP3 Leadership, David Fiorucci affirme opportunément : « bien que les technologies, l’informatique, la robotique ont pris de plus en plus d’importance, il n’en reste pas moins que l’être humain et ses relations demeurent au centre de l’organisation et de la performance ».

En conséquence, par-delà les contraintes immédiates de restructuration, la qualité de vie au travail, la coopération entre les équipes, la gestion des relations sociales, des carrières et des talents sont des conditions de plus en plus essentielles pour réussir. L’entreprise de demain sera plus humaine ou elle ne sera plus.