Reconnaissance des êtres humains par les chevaux

Quand il me voit ou m’entend, mon cheval est-il capable de savoir qu’il s’agit de moi, est-ce qu’il me différencie des autres humains ? Quand il entend ma voix au fond de l’écurie, s’attend-il à me voir arriver ? Des chercheurs ont étudié les capacités du cheval à reconnaître les êtres humains par leur visage et leur voix.

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Sommaire

Reconnaissance de nos visages

Plusieurs expériences se sont penchées sur la capacité des chevaux à reconnaître les visages humains.

Expérience 1

Une première expérience a été réalisée par Sherril Stone et ses collègues [1].

Protocole

Le principe général était d’apprendre aux chevaux à distinguer deux photographies, avant de les mettre en présence d’humains qu’ils avaient vus ou non sur ces photographies. Tout d’abord, 11 chevaux sur 13 ont été entraînés avec succès à choisir une photographie montrant une personne plutôt qu’un paysage ou un objet.

Résultats

Quand ces chevaux ont été mis en présence de la personne qu’ils avaient vue en photo, ainsi que d’une personne inconnue, ils ont plus interagi avec la première.

Ainsi, il semble que ces chevaux aient reconnu le visage qu’ils avaient vu en photo et qu’ils avaient appris à choisir.

Expérience 2

Protocole

Dans un second temps, 6 chevaux ont été entraînés à choisir un certain visage lorsqu’on leur présentait deux photographies données d’humains. Les visages présentés étaient ceux d’une paire de sœurs jumelles d’une part et d’une paire de sœurs « fausses » jumelles d’autre part.

Résultats

Le succès de cet entraînement pour 5 chevaux a permis de montrer que :

Les chevaux sont bien capables de distinguer des visages humains en photo, même lorsqu’ils sont très semblables (sœurs jumelles).

Cependant, lorsque ces chevaux ont été mis en présence des personnes qu’ils avaient apprises à distinguer en photographie, ils n’ont pas plus (ni moins) interagi avec la personne dont le visage avait été associé à des récompenses à l’étape précédente.

Ainsi, on peut se demander s’ils faisaient bien le lien entre les photographies qu’ils avaient vues et les personnes avec qui ils pouvaient interagir.

Expérience 3

Une autre expérience, réalisée par Léa Lansade (éthologiste pour l’IFCE) et ses collègues [2], a permis de confirmer que les chevaux reconnaissent bien nos visages en photo, et qu’ils font le lien entre ces images et les personnes qu’elles représentent.

Protocole

Dans cette expérience, 11 chevaux interagissaient avec un grand écran tactile, qu’ils ont appris à toucher du bout de leur nez pour recevoir une récompense (une poignée de granulés). Deux visages leur étaient présentés sur l’écran, dont l’un était totalement inconnu, tandis que l’autre était connu. En effet, le premier était différent à chaque essai, alors que le second faisait partie d’un petit groupe de quatre visages choisis à l’avance, qui revenaient donc une fois sur quatre.

Résultats

reconnaissance de notre visage par les chevaux
Photographie d’une ponette Welsh touchant du bout du nez l’écran tactile, en choisissant parmi deux visages celui qu’elle a déjà vu plusieurs fois © C. Parias (INRAe)
Au début, les chevaux choisissaient au hasard, mais n’étant récompensés que lorsqu’ils touchaient le visage connu, ils ont rapidement appris à ne toucher à chaque essai que le visage qu’ils connaissaient (voir photo ci-contre).


Le fait que les chevaux aient appris cette tâche a permis de montrer qu’ils sont bien capables de distinguer les visages présentés en photographie.

Expérience 4

Protocole

Une fois cette tâche acquise, le jeu a légèrement changé : le visage connu (qui était auparavant celui d’une personne qu’elles n’avaient jamais vue en vrai, mais qui revenait souvent sur l’écran) a été remplacé par une photographie de leur soigneuse. Les chevaux la connaissaient dans la vraie vie mais ne l’avaient jamais vue en photographie.

Résultats

Les résultats ont montré qu’ils ont choisi plus souvent le visage de la soigneuse, ce qui prouve qu’ils étaient tout à fait capables de reconnaître son portrait en photographie.

Cela a permis de conclure que les chevaux sont capables de faire un lien entre des photographies de visages et les personnes qu’elles représentent.

Expérience 5

Protocole

Enfin, une dernière version du jeu a été soumise aux chevaux : le visage de leur soigneur a été remplacé par celui d’un ancien soigneur, qu’ils n’avaient pas vu depuis 6 mois.

Résultats
Une fois de plus, les chevaux ont montré qu’ils reconnaissaient ce visage, ce qui démontre une capacité époustouflante à se souvenir des visages humains !

Expérience 6

Mais les chercheurs ne se sont pas arrêtés là. En effet, dans une expérience complémentaire [3], ils ont voulu essayer de comprendre sur quels éléments se basent les chevaux pour reconnaître les visages. Est-ce qu’ils se fient à des éléments comme la couleur des cheveux, la forme de la coiffure ou encore la couleur des yeux ?

Protocole

reconnaissance de notre visage par les chevaux
Représentation schématique de la seconde partie de l’expérience : les chevaux devaient choisir sur l’écran tactile entre un visage connu et un visage nouveau, les deux visages étant modifiés avec par exemple des lunettes de soleil, une perruque ou présentés de profil © P. Jardat
Pour tester ces hypothèses, ils ont recommencé l’expérience précédente, mais cette fois-ci en présentant les visages différemment : de profil, en noir et blanc, avec les yeux cachés par des lunettes de soleil, ou portant une perruque qui modifiait leur coiffure (voir image ci-contre).


Résultats

Une fois de plus, les chevaux ont montré des capacités inattendues, en reconnaissant bien les visages connus même s’ils étaient présentés différemment !

Ainsi, les chercheurs ont pu conclure que les chevaux, de manière similaire aux humains, utilisent probablement un processus holistique pour reconnaître nos visages. Cela signifie qu’ils n’utilisent pas des éléments particuliers comme les yeux ou les cheveux, mais reconnaissent plutôt chaque visage comme un ensemble.

Expérience 7

Protocole

Un dernier test a été effectué avec ces chevaux qui avaient appris à reconnaître quatre photographies de visages en particulier. Deux personnes leur ont été présentées « en vrai » dans un box : l’une qu’ils n’avaient jamais vue ni en vrai ni en photo, et l’autre qu’ils n’avaient jamais vue en vraie non plus mais dont la photographie faisait partie des quatre visages « connus » qu’ils avaient appris à toucher pour recevoir de la nourriture.

Résultats

Face à ce choix, les chevaux sont allés toucher plus fréquemment la personne dont le visage était « connu ».

Cela a permis de montrer que les chevaux ont fait le lien entre les visages qu’ils ont appris à reconnaître en photo et la personne que ces photographies représentaient.

Reconnaissance de nos voix

En plus de reconnaître nos visages, les chevaux sont-ils capables de reconnaître nos voix ? Serenella d’Ingeo et ses collègues [4], de l'université de Rennes et de Milan, se sont intéressés à la question.

Protocole

reconnaissance de notre voix par les chevaux
Un cheval se dirige vers le haut-parleur diffusant la voix qu’il a associée à un événement positif (image extraite d’une vidéo associée à la publication [4])
Dans un premier temps, 21 chevaux ont rencontré séparément deux personnes inconnues, portant chacune un haut-parleur et un seau. Le haut-parleur diffusait une voix lisant un texte sur un ton neutre, et le cheval pouvait manger dans le seau qui contenait soit de la nourriture, soit de la nourriture imbibée de vinaigre. Chaque cheval entendait donc une certaine voix neutre (que nous appellerons « voix P ») en même temps qu’il vivait une expérience positive (nourriture), et il entendait une autre voix neutre (que nous appellerons « voix N ») pendant qu’il vivait une expérience négative (nourriture imbibée de vinaigre).

Après avoir répété ces deux rencontres pendant 7 jours, un test a été effectué. Les deux voix qu’ils avaient entendues précédemment leur ont été diffusées, sans que les personnes qui portaient les haut-parleurs soient présentes (voir photo ci-contre).

Résultats

Le comportement des chevaux a été observé, et un électro-encéphalogramme enregistrait les signaux électriques provenant de leur cerveau. Ainsi, les expérimentateurs ont vu que les chevaux regardaient plus souvent avec l'œil gauche lorsqu’ils entendaient la voix négative. Ils avaient plus souvent les oreilles en avant pendant la diffusion de la voix positive et en arrière pendant la diffusion de la voix négative. Enfin, les signaux électriques provenant de leurs cerveaux étaient différents pendant la diffusion de la voix positive, comparée à la voix négative.

Les chercheurs ont pu conclure que les chevaux étaient capables de différencier les voix humaines, et qu’ils avaient associé chaque voix à l’émotion ressentie pendant qu’ils l’entendaient. C’est pourquoi ils ont réagi différemment en entendant plus tard et dans un autre contexte ces deux voix.

Reconnaissance intermodale

Les chevaux reconnaissent donc nos visages et distinguent nos voix. Sont-ils aussi capables d’associer, pour chaque personne, sa voix à son visage ? La voix et le visage sont perçus respectivement par l’ouïe et la vision, deux modalités sensorielles différentes, c’est pourquoi on appelle la capacité à associer ces deux caractéristiques la « reconnaissance intermodale » (ou « reconnaissance cross-modale »). Deux études ont été publiées à ce sujet.

Expérience 1

Protocole

La première expérience a été menée par Jessica Frances Lampe et Andre Jeffrey [5]. Une personne (connue du cheval) interagissait avec un cheval : elle marchait vers lui, le caressait, puis s’en allait, tout en restant silencieuse. Ensuite, une voix (celle de l’expérimentateur, ou une autre voix) était diffusée.

Résultats

En réponse à cette voix, les chevaux ont regardé plus rapidement, plus souvent et pendant plus longtemps dans la direction du haut-parleur lorsque la voix n’était pas celle de la personne qu’ils venaient de voir.

Cela montre qu’ils savaient si la voix qu’ils avaient entendue était bien celle de la personne qu’ils avaient vue, ou si elle ne correspondait pas à cette personne.

Expérience 2

Protocole

Dans la seconde expérience, menée par Leanne Proops et Karen Mccomb [6], un cheval était placé face à deux personnes, l’une se trouvant à droite de son champs de vision et l’autre à gauche. Au milieu de ces deux personnes, un haut-parleur diffusait la voix d’une de ces deux personnes.

Résultats

Les chevaux ont regardé plus rapidement, plus souvent et pendant plus longtemps la personne dont la voix était diffusée, montrant qu’ils savaient à quelle personne correspondait cette voix.

Ainsi, dans ces deux expériences, les chevaux ont réagi différemment lorsque la voix qu’ils entendaient correspondaient à ce qu’ils voyaient, que lorsque ces deux stimuli ne se correspondaient pas. On peut en déduire que les chevaux savent faire la différence, pour une personne donnée, entre sa voix et celle de quelqu’un d’autre. Autrement dit, les chevaux possèdent une représentation mentale intermodale (associant deux modalités sensorielles) des personnes, représentation dans laquelle ils associent notamment notre voix et notre image.

Ce qu’il faut retenir

Après apprentissage ou contacts prolongés, les chevaux savent bien reconnaître les humains et les distinguer entre eux. En particulier, ils savent reconnaître des visages, même en photographies, et pour eux ces photographies sont bien une représentation de personnes réelles.

Ils ont aussi une excellente mémoire à long terme de nos visages : ils peuvent nous reconnaître sur photos plusieurs mois après nous avoir vus.

Ils sont aussi capables de nous reconnaître même si nous cachons une partie de notre visage sous des grosses lunettes ou des perruques par exemple.

Ils peuvent également distinguer nos voix, et ils associent pour chaque personne la voix qu’ils entendent à l’image qu’ils voient.
En savoir plus sur nos auteurs
  • Plotine JARDAT Doctorante en cognition équine - équipe « Cognition, Éthologie, Bien-être » de l'UMR PRC du centre INRAE Val de Loire (Nouzilly, 37)
  • Marianne VIDAMENT Docteur vétérinaire - ingénieure de projets & développement « Éthologie » et « Médiation équine » IFCE
  • Léa LANSADE Ingénieure de recherche en éthologie IFCE-INRAE

Bibliographie

Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 09 05 2024

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