L'ÉQUIPE

Mike Horn tire les leçons de ses dernières expéditions : « De l'exploration à l'intérieur de toi-même »

Le Sud-Africain Mike Horn. (S. Mantey /L'Équipe)
Le Sud-Africain Mike Horn. (S. Mantey /L'Équipe)

Le grand aventurier sud-africain, qui a enchaîné cet hiver une traversée homérique du pôle Nord et la découverte de son premier Dakar, nous a accordé un long entretien, pendant lequel il s'est confié sur les leçons qu'il a pu tirer de ses dernières expéditions.

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Souriant, déterminé et charismatique, le grand explorateur sud-africain, Mike Horn, a raconté à L'Équipe ses deux grandes expéditions de 2019, l'ascension du K2 (8 611 mètres) et sa traversée du pôle Nord de nuit pendant presque trois mois. Mais également sa participation, aussitôt sauvé de l'enfer de l'Arctique, au Dakar, qui a fait jaser.

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Sa traversée du pôle Nord

« Tu marches entre la vie et la mort, et entre les deux il n'y a que 3 cm... »

« Avec le recul, quelles images et quels sentiments vous reste-t-il de votre expédition de 87 jours au pôle Nord avec votre ami Borge Ousland ?
Je garde en tête que c'était vraiment une bagarre de rester vivant. J'ai en moi ces images de la nuit 24h/24, mais aussi de la glace très mince, les vents, les tempêtes, des brèches d'eau énormes... Malgré ça, chaque jour, il fallait sortir de sa tente, se confronter aux obstacles, se surpasser face à des choses que l'on ne contrôle plus. Cette expédition a vraiment été différente de celle de 2006 (sa première au pôle Nord de nuit).

Pourquoi a-t-elle été plus difficile ?
Aujourd'hui, il faut comprendre que la surface glacière change. On parle du réchauffement de notre planète et on le voit vraiment mieux là où il n'y a personne. La glace fond. Pourquoi ? Parce que le vrai hiver est plus court, l'été, lui, est plus long. En 2006, la glace au pôle Nord faisait 2,5 mètres d'épaisseur, là seulement 5 cm... Ça, c'est un énorme changement. Et quand il n'y a que 5 cm de glace, dès qu'il y a un peu de vent, elle dérive... C'est ça qui nous a causé des problèmes (les deux explorateurs ont été secourus dans la nuit du 7 au 8 décembre par un bateau brise-glace).

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Que vous êtes-vous justement dit au moment le plus critique ?
Je suis toujours un peu dans la merde, mais ce n'est que la profondeur qui varie. Quand on a commencé à dériver, on reculait plus qu'on avançait. Tu marches alors sur un tapis roulant, et tu te rends compte que tu n'as plus assez de nourriture. Quand ça devient critique, il faut avoir une attitude psychologique très forte. Tu ne dois pas lâcher. Quand tu as marché pendant onze jours et qu'au final, tu es au même endroit, tu dois avoir la tête qui suit. Physiquement, oui tu es fatigué, tu gèles. Tous les jours, tu perds du poids, mais ça, tu le sais. L'inconnu, c'est la glace. Une traversée du pôle, c'est beaucoup plus mental que physique.

Son récit en vidéo : « la neige, c'est comme du ciment mouillé »

Être deux, ça évite de devenir fou ?
Borge (Ousland), qui est un des plus grands explorateurs polaires, a été comme un appui. Il est absolument nécessaire de pouvoir compter sur certaines personnes et leurs capacités. Avec Borge, on a les mêmes intérêts, les mêmes buts, nous sommes comme deux frères. Notre lien s'est créé autour d'une vie qui est constamment en danger, c'est extrêmement fort.

N'est-ce pas plus, au final, du dépassement de soi que de l'exploration ?
En fait, c'est de l'exploration à l'intérieur de toi-même. Car aujourd'hui, on ne découvre plus rien de la Terre. Avec Google Maps ou Google Earth, on peut tout voir. Mais il y a toujours cette idée du dépassement de soi-même, de repousser ses limites, notamment en allant là où tu n'as jamais été. Sur la planète, il y a 8 milliards d'êtres humains, mais il n'y en a que deux qui étaient cet automne au pôle Nord. Soit cela veut dire que nous ne sommes pas conscients des risques, soit qu'on se permet, grâce à notre expérience, de rêver grand et de voir les choses un peu différemment. Et il y a cet inconnu qui nous attire. Marcher sur la glace en septembre, octobre, novembre et décembre, ça reste une exploration physique. C'est très émotionnel, tu vis près de la mort. Ce n'est pas comme un match de foot.

C'est votre moteur ?
C'est ça qui m'excite ! Quand je me réveille le matin, même si je suis fatigué, même si mes doigts sont gelés, même si je dois pisser dans une bouteille, même si je dois chier dans un sac, je vais trouver ça excitant. Tous les jours, tu vas où tu n'as jamais été, tu vois des choses que tu n'as jamais vues. Cela fait souvent peur aux gens alors que moi, c'est justement ça qui me motive.

Vous avez dit un jour que ''l'inconnu était la plus belle des choses''. Confirmez-vous que c'est toujours le cas ?
(Il nous tape sur le genou avec sa main) Mais putain, ce n'est que ça ! On ne peut pas toujours partir dans des endroits connus. Sinon, notre vie devient monotone. Il faut changer, mais pas juste changer pour changer. On doit avoir une base, une vie très solide, avec des valeurs humaines. Et il faut se préparer, s'entraîner. Mes trente ans d'exploration, ça n'a été que ça. Quand tu reviens d'une expédition, tu vois les gens qui râlent, qui ont peur... Tu te dis : ''Mais pourquoi ?'' Les gens devraient tous aller au pôle Nord pour vivre quelque chose qu'ils n'ont jamais vécu, pour trouver quelque chose à l'intérieur d'eux, qui leur dit : ''Tu peux le faire''. D'autant que, quand tu fais quelque chose que tu n'as jamais fait, ça te donne de la confiance en toi.

Vous êtes-vous dit, à un moment, que vous n'alliez pas y arriver ?
On savait très bien que nous n'avions plus assez de nourriture. Nous étions coincés à un endroit, et les bateaux ne pouvaient pas venir. C'est un stress ajouté à la difficulté de nuit 24h/24 et de la glace qui casse et qui dérive. Même à deux, tu es seul, vraiment seul. Je me suis senti moins seul avec 50 jours de nourriture qu'à 20 km du bateau, mais sans nourriture. C'est là ou l'expression ''marche ou crève'' prend vraiment tout son sens. Dans les autres explorations, je me suis souvent retrouvé dans ce type de situation. C'était le cas par exemple en Amazonie (1997). Mais tu as toujours une chance de chasser, de choper un crocodile ou un singe pour te nourrir. Là, il n'y avait rien. Et quand la glace casse et que tu tombes dans l'eau, tu es mort. Tu marches entre la vie et la mort, et entre les deux il n'y a que 3 cm...

Son ascension inachevée du K2

« C'est d'autant plus rageant que tout s'annonçait bien »

Avant le pôle Nord, vous avez tenté l'ascension du K2 en juillet, le plus difficile sommet de l'Himalaya, et pour la 3e fois. Avec votre guide Fred Roux, vous avez failli réussir mais vous avez dû renoncer à quelques centaines de mètres du sommet. Il vous nargue ce K2, non ?
Ah, ça oui ! Il me nargue. C'est incroyable. Et j'avoue que c'est chiant mon pauvre ami.

Cette troisième tentative ratée de peu (après 2013 et 2015) fut-elle une très grosse frustration ?
Quand on a débuté l'expédition au pôle Nord (ils avaient quitté l'Alaska par voilier le 25 août), j'y pensais encore beaucoup. C'est d'autant plus rageant que tout s'annonçait bien. Nous étions les premiers, personne n'avait fait la trace devant nous. Je veux arriver au sommet moi-même, sans oxygène, ni accroché à une corde, ni en suivant une trace faite pour moi. Je suis têtu. Alors que j'étais à 200 mètres du sommet, les autres (il parle d'autres expéditions, dont certaines commerciales), qui étaient dans nos traces, sont restés dans leurs tentes, ils nous regardaient. À minuit, nous sommes arrivés au passage Bottleneck (la route la plus utilisée vers le sommet du K2), les mains et les pieds gelés, les vents étaient trop forts, il faisait -50 °C... Je me dis qu'on va peut-être arriver au sommet. Mais je suis alors bien conscient que si nous poursuivons, on y restera, on ne rentrera jamais, on est morts...

En juillet 2019, Mike Horn était proche de réussir l'ascension du K2, le sommet le plus difficile de l'Himalaya. Le Sud-Africain a échoué de très peu. (Instagram@mikehornexplorer)
En juillet 2019, Mike Horn était proche de réussir l'ascension du K2, le sommet le plus difficile de l'Himalaya. Le Sud-Africain a échoué de très peu. (Instagram@mikehornexplorer)

C'est alors que vous faites demi-tour...
On est à 8 000 m d'altitude et, un peu plus bas, les autres des expéditions commerciales sont dans leurs tentes. On est gelés, ça fait plus de 24 h que l'on est dans cette zone de mort. On n'a pas bu, pas mangé. On frappe à la porte d'une des tentes, juste pour entrer et se réchauffer un peu les mains et les pieds. Et on me répond quoi ? ''Tu n'es pas le bienvenu, fous le camp !'' Ça, ça m'a arraché le coeur. D'autant que notre tente s'est envolée dans la tempête. Là, on était dans la merde.

Allez-vous retenter le K2 ?
Oui, mais il faut que je change mon fusil d'épaule. Il faut y aller peut-être l'hiver, sur l'arête qui n'a jamais été faite, l'arrête Nord.

Pensez-vous que le K2 est possible à escalader en hiver ?
Oui (il rigole). Mais nous ne sommes pas encore prêts pour cette année. Il faut déjà que nous ayons l'autorisation pour y aller par la face nord, qui est côté chinois (l'autre face est côté Pakistan). Cette arête est splendide.

C'est votre nouvelle obsession ?
Je pense surtout qu'il faut continuer de rêver. La montagne, c'est vraiment devenu une passion. Mais c'est quelque chose de dur.

Son premier Dakar

« C'était un rêve de gosse, ce fut une découverte extraordinaire »

À peine revenu de votre expédition au pôle Nord, vous avez directement enchaîné, le 5 janvier, avec le Dakar, en Arabie saoudite, autant dire un monde d'écart. Comment avez-vous fait pour changer aussi facilement ?
Je m'intéresse depuis toujours au sport automobile. Le Dakar, c'était un rêve de gosse. Quand Cyril Despres m'a proposé de faire équipe avec lui, je me suis dit : ''Tu vas passer de - 40 °C à + 40 °C, wouah !'' C'était la meilleure récupération que je pouvais faire. Sauf que, pendant que je dérivais au pôle Nord, le Dakar, pour moi, s'éloignait. Il a donc été une motivation de continuer à me battre, c'est devenu comme une lumière, un objectif. Après quatre mois sans soleil, je suis arrivé à Djeddah (au départ de la course), j'ai vu le soleil se lever pour la première fois depuis des mois. Et, une heure plus tard, j'étais dans un buggy avec un des meilleurs conducteurs de rallye-raid pour partir dans une aventure que je n'avais pas encore vécue. Ce fut une découverte extraordinaire.

Cyril Despres et Mike Horn ont formé une équipe lors du dernier Dakar. (B. Papon /L'Équipe)
Cyril Despres et Mike Horn ont formé une équipe lors du dernier Dakar. (B. Papon /L'Équipe)

Pour avoir participé à ce Dakar, vous avez essuyé pas mal de critiques...
(Il coupe) Je n'ai même pas regardé ! Je ne suis pas là pour justifier ce que je fais ou pour demander qu'on me laisse tranquille. Les gens ont raison, un petit peu. Mais je n'ai jamais été un militant écolo, ni un environnementaliste. Je suis un explorateur. Je communique juste des choses que je vois, je partage avec les gens.

Mais comprenez-vous que cette ambivalence puisse choquer certaines personnes ?
Ah oui, je respecte à 100 % leur point de vue. Je veux bien les écouter, mais eux doivent aller un peu plus loin dans leurs recherches d'informations. Par exemple, avec nos trois cylindres et nos 200 litres d'essence, nous avons consommé beaucoup moins qu'eux, qui vont au boulot tous les jours avec leur voiture... Mais tu ne peux pas rentrer dans ce système de justification. Je ne veux pas arrêter les Dakar, je veux les changer. Là, nous sommes sur un projet d'hydrogène, afin d'avoir la première voiture hydrogène sur un Dakar. Pour continuer à vivre sur cette planète, il faut changer les méthodes. Interdire bêtement et simplement n'est pas la solution.

Son regard sur le covid-19

« Avec ce virus, on vit avec la peur de mourir, mais on ne vit pas, on devient spectateur de notre vie »

Face à l'urgence climatique, si demain vous étiez élu président d'un grand État comme les États-Unis ou la Chine, quelles seraient vos premières mesures pour faire changer les choses ?
J'ai eu l'opportunité, il y a trois semaines (courant février), de parler avec Emmanuel Macron, sur le climat. Ce n'est pas que politiquement qu'il faut agir. Chacun doit faire des choses, à son niveau, comme ne pas hésiter à boycotter certains produits, notamment ceux qui contiennent des pesticides. Les gouvernements doivent interdire ces produits à l'importation. Si déjà on fait ça, ça va faire beaucoup de bien. Je pense que si, aujourd'hui, j'étais président de la Chine, j'arrêterais immédiatement toutes ces pratiques qui détruisent notre nature. L'idée serait de mettre en place des mesures humaines, comme la conservation des forêts, la manière de pêcher, de couper du bois... Avec ça, on aurait une base plus solide.

La pandémie de covid-19, cela vous inquiète comme tout le monde (*) ? 
Je pense qu'il ne faut pas être naïf. Il faut écouter ce qui se dit, mais il ne faut pas exagérer. Des fois, l'exagération, ça se vend mieux que la réalité. Les gens veulent toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Non, il est comme il est. Sincèrement, moi s'il le faut, je peux mourir plus tôt. Si quelqu'un arrive et demande : ''Qui a plus de 50 ans et veut bien laisser sa place à un jeune ?'' Je réponds présent, j'ai fait ma vie.

Vous n'avez toutefois pas encore vécu vos 30 000 jours (82 ans)...
C'est vrai, mais j'ai vécu plus d'émotion et d'expérience que mes 30 000 jours. Quand ma femme est décédée (en 2015, d'un cancer du sein), elle n'avait pas vécu ses 30 000 jours. Je lui disais : ''Mais tu ne peux pas mourir maintenant''. Elle m'a répondu : ''Mike, j'ai déjà eu deux vies avec toi. Et toi, tu as la chance, ou la malchance, de continuer à vivre. Ma vie a été super.'' Ça, ça m'a ouvert les yeux.

À quel point ?
En gros, elle m'a dit : ''Je vais là où c'est mieux, bonne chance pour toi''. Ça fait réfléchir ça, non ? Je ne suis pas suicidaire, je suis survivaliste. Je vis avec la peur autour de moi, je n'ai pas peur de mourir, j'ai plutôt peur de ne pas vivre. Avec ce virus, on vit avec la peur de mourir, mais on ne vit pas, on devient spectateur de notre vie. Il faut continuer à vivre. Arrêtons de construire des murs, musclons-nous plutôt et confrontons nos problèmes. Ça a toujours été ma philosophie dans la vie. »

(*) L'interview a été réalisée mi-mars. Depuis, plus de 300 000 personnes sont mortes dans le monde à cause de la pandémie de Covid-19.

Toujours en quête d'aventures
Depuis trente ans, Mike Horn enchaîne les expéditions les plus folles à un rythme effréné. Après avoir l'an passé tenté l'ascension du K2 et la traversée du pôle Nord, il a commencé 2020 avec le Dakar, comme copilote de Cyril Despres (abandon, 7e étape). Une année commencée tambour battant, mais sous le feu des critiques. S'il doit encore honorer quelques rendez-vous médiatiques, l'explorateur sud-africain, installé en Suisse depuis 1990, va bientôt reprendre la direction du Groenland. « Pour voir à nouveau le soleil, les baleines, la vie en Arctique, nous a-t-il confié. Aussi parce que l'expérience que j'ai vécue fin 2019 était un peu dure. J'ai envie de voir cette beauté, mais différemment. » Il compte y retourner cette fois au mois de mai, « quand, dit-il, il fait jour toute la journée, quand la glace casse, quand les ours quittent leur confinement pour aller chasser. »

Il a ensuite prévu d'encadrer des jeunes, avec des programmes éducatifs sur le thème de « La conservation de notre planète ». Quand on lui demande si un jour il arrêtera, il répond : « Pas tout de suite », même s'il conçoit vouloir quand même « diminuer un peu l'activité ». « Ce goût du risque, il est sucré. On en devient addict, c'est triste mais c'est vrai. Je suis addict à la vie, c'est bien. »

Jamais rassasié, lui qui a exploré notre planète en long, en large et en travers assure qu'il lui reste encore une zone d'ombre : les fonds marins. Avant de conclure : « Il y a toujours l'espace mais je suis trop vieux (rires)... »D.Mi.
publié le 20 mai 2020 à 18h46 mis à jour le 21 mai 2020 à 10h01
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