DarkAcademia, CottageCore… Petit lexique des esthétiques qui cartonnent sur Instagram et TikTok

2021, année esthétique ? En tout cas, à coups d’images léchées publiées sur les réseaux sociaux les plus « visuels » comme TikTok et Instagram, toute une génération redouble d’inventivité pour définir de nouvelles esthétiques non dénuées d’une certaine charge politique. Décryptage de quelques-uns de ces univers et des sens multiples qu’ils peuvent parfois recouvrir.

DarkAcademia, CottageCore… Petit lexique des esthétiques qui cartonnent sur Instagram et TikTok
Détail d'une photo partagée sur le compte Instagram ©dark.academia.fashion

#DarkAcademia, #CottageCore, #VSCO… Sur Instagram ou TikTok, ces hashtags rencontrent depuis quelques mois un franc succès. Chacun a son propre univers graphique, sa palette de couleurs, et se traduit par la mise en avant de certaines activités et de styles vestimentaires bien distincts. Bienvenue dans le pendant « aesthetics » (« esthétique » en français) de ces réseaux, où les différentes sous-cultures adolescentes s’expriment en ligne à travers une imagerie soignée et éditée.

Parmi les esthétiques dominantes, on trouve le #CottageCore, 1,2 million de publications sur Instagram à l’heure où nous écrivons ces lignes, privilégié par un public féminin, qui mêle robes couleurs pastels et iconographie champêtre. Autre tendance particulièrement populaire auprès des adolescents : le #DarkAcademia, plus de 488 millions de vues sur TikTok. Selon Abigail, qui s’identifie à cette esthétique, « c’est un style basé sur les écoles privées britanniques du XIXe siècle et des universités comme Oxford ».

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Image partagée sur le compte Instagram @dxrkacademia

« Le vêtement, c’est un discours muet qu’on tient aux autres », rappelle Pascal Monfort, qui dirige le cabinet de conseil en prospective marketing REC. « Cela rappelle fortement les moodboards », ajoute-t-il en référence à ces « planches de tendances » utilisées notamment par les designers pour associer des textes à des images. 

Ces inspirations diverses, en se mélangeant, créent de nouveaux univers, piochant leurs références dans la pop culture et des époques allant notamment des années 1940 aux années 1990. « C’est une forme de reconstruction et de réinvention, avec une nostalgie où on enlève le négatif », explique Frédéric Godart, sociologue de la mode.

« Le Dark Academia, c’est romantiser les choses ordinaires de la vie. Cela a rendu ma vie plus excitante »
Holly, une étudiante anglaise qui tient un compte Instagram consacré à la tendance Dark Academia

Au-delà du style, ces tendances se combinent à certaines activités, valeurs et objets culturels (des livres et des films, notamment). « Le Dark Academia, c’est réellement l’amour de la connaissance, romantiser les choses ordinaires de la vie. Cela a rendu ma vie plus excitante », témoigne Holly, une étudiante anglaise qui tient un compte Instagram consacré à cette tendance.

Si l’image occupe une place centrale dans ces esthétiques, les univers sont souvent fantasmés : le CottageCore fait miroiter une vie agricole faite de bonheurs simples, tandis que le Dark Academia glorifie un univers fait d’accomplissements académiques dans l’atmosphère feutrée de bibliothèques boisées. Des univers dont le succès populaire ne va pas sans son lot de critiques. On leur reproche notamment leur manque de représentativité et un certain élitisme social. Une preuve de plus que les réseaux sociaux sont la chambre d’écho des débats politiques de notre temps.

« Les adolescents sont désormais les directeurs artistiques de leurs vies »
Pascal Monfort, directeur du cabinet de conseil en prospective marketing REC

Si les adolescents se sont toujours regroupés autour de certains codes esthétiques et de goûts culturels communs, les réseaux sociaux ont amorcé l’ère de l’hyper-individualisme. « Désormais, ils sont les directeurs artistiques de leurs vies, de leurs comptes », explique Pascal Monfort. Ces nouvelles esthétiques créent ainsi de nouveaux clans, mais virtuels. « Avant, l’émergence des sous-cultures avait une dimension sociale. C’est la première fois qu’on a d’emblée une communauté globale, directement en ligne », analyse Frédéric Godart. Pouvoir se créer une communauté basée sur nos affinités, hors du cercle social classique, avec un accès instantané à des gens comme nous, c’est extraordinaire », observe le sociologue.

La diversité de ces nouvelles esthétiques est telle qu’elles ont déjà leur encyclopédie en ligne. Pour autant, sont-elles faites pour durer ?  « Ce sont des sous-cultures qui sont peut-être en train d’émerger, mais virtuelles », souligne Frédéric Godart. Pour Holly, la popularité de ces esthétiques est directement liée aux différents confinements qui ont rythmé l’année 2020 : « Les gens avaient le temps de se découvrir et de se réinventer ». D’autant que la dimension virtuelle de ces communautés leur permet de se renouveler, voire de tout changer du jour au lendemain. « On peut totalement vider son compte et le recréer avec une toute nouvelle esthétique. Ces pages sont un peu le reflet de ce qu’était la chambre d’ado pré-Internet : on pouvait recommencer et tout réaménager », détaille Pascal Monfort.

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Image partagée sur le compte Instagram ©cottagecoredream

Pour y voir plus clair dans ces nouvelles esthétiques – et leur éventuelle portée politique – Usbek & Rica vous propose un petit lexique de 5 hashtags « aesthetics » parmi les plus populaires sur TikTok et Instagram.

> Dark Academia

Éclairage tamisé de bibliothèques anglaises, vieux livres reliés, pluie tambourinant à la fenêtre… À la Dark Academia, on aime apprendre, lire, étudier pendant de longues heures, discuter philosophie et littérature au coin du feu. Côté références, on cite les ouvrages des sœurs Brontë ou d’Albert Camus, le film Le Cercle des Poètes Disparus (1990) ou le plus récent Portrait de la Jeune fille en feu (2019), de Céline Sciamma. Côté vestiaire, l’inspiration provient des uniformes des collèges anglais, le plus souvent dans des tons bruns ou gris.

> Cottage Core

Une tarte tout juste sortie du four sur une table en bois ornée de fleurs fraîches, le tout dans un paysage champêtre : le CottageCore, c’est la romantisation d’une vie à la campagne façon La Petite Maison dans la Prairie. Ici, on prône le retour à la nature et au bonheur des choses simples : un quotidien fait de broderie, de jardinage et de cuisine. Éminemment politique, le Cottage Core regroupe une communauté LGBTQ+ importante… tout étant parfois confondu avec les communautés de Tradwives, ces femmes prônant un retour (conservateur) aux valeurs familiales d’antan.

> VSCO

Nommée d’après l’application de photo et de retouche d’images du même nom, la tendance VSCO est souvent caricaturée sous la forme d’une jeune fille écolo, vivant au bord de la mer, armée d’un Polaroïd, d’une gourde réutilisable et d’une paire de crocs. Derrière cette esthétique se cache un mélange entre l’apologie d’une nouvelle génération sensible à l’écologie et la critique de goûts dits « basiques », rendant la VSCO Girl – parce que c’est souvent une fille – autant jalousée que dénigrée.

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Image partagée sur le compte Instagram @vscogirlz.inspo

> Baddie/Bad Bitch

Rihanna, Cardi B, Megan Thee Stallion : ces chanteuses sont l’incarnation des Bad Bitches, des femmes indépendantes, confidentes et dures en affaires. Cette esthétique se déploie en rose fuchsia, avec diamants et champagne. Si elle pleure parfois, la « Baddie » éponge ses larmes à coup de dollars : elle n’a besoin de personne, et surtout pas des hommes. Associée au luxe, aux grandes marques et aux ongles taillés, la « Bad Bitch » est une réappropriation du terme bitch (salope, en français) et du sexisme à l’encontre des femmes ayant des goûts de luxe, souvent accusées d’être cupides et manipulatrices.

> E-Boy/E-Girl

Diminutif d’« electronic boy » (ou girl) en référence à l’amour des jeux vidéo et de la culture anime/manga. Les « E-people » ne sont pas sans rappeler la tendance emo du début des années 2000 : cheveux colorés, tatouages, bracelets à clous et jeans déchirés. Sauf que le terme est aussi révélateur du cyberharcèlement et du sexisme (parfois mortel) présent sur Internet : utilisé par des gamers accusant des femmes d’utiliser leur sexualité pour attirer l’attention, le terme « E-Girl » a été réapproprié par toute une communauté de jeunes filles.

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Image partagée sur le compte Instagram @e_girloutfit.

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