"La Guerre" d'Otto Dix (triptyque,1929-1932)

Otto Dix : La Guerre / Wikipédia
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Dans cet Enfer sur terre, ce jour dernier sans Jugement, sans Dieu et sans Salut, Otto Dix se remémore quelques chefs d'oeuvres et joue l'art contre la barbarie.

Avec
  • Vincent Corpet Artiste peintre
  • Maria Stavrinaki Maître de conférences à l'université Paris I-Panthéon-Sorbonne où elle enseigne l'histoire de l'art contemporain

« Der Krieg » ou « La Guerre », célèbre triptyque d’Otto Dix réalisé entre 1929 et 1932, est conservé à Dresde, en Allemagne. Il est reprend la forme du « retable », constitué d’un panneau central carré de 204x204 cm, de deux panneaux latéraux de 204x102 cm et d’une prédelle, sous le panneau central, de 60x204 cm

Retour à l’animalité

Otto Dix, qui fut mitrailleur sur le front pendant la guerre de 14-18, rapporte des combats des images d’une violence inédite. Témoin direct de la guerre, il l’a dessinée sur ses carnets. C’est l’expérience, selon lui, du « retour à l’animalité ».

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Il a réalisé environ 600 dessins, gouaches et aquarelles qui sont comme des notes prises sur le vif ou à l’occasion d’un souvenir qui ressurgit. En ont découlé également des toiles d’envergure comme La Tranchée en 1918, ou des eaux fortes rassemblées dans un album intitulé La Guerre en 1924.

Il réalisa aussi de nombreuses toiles qui représentent le monde « cauchemardesque » des mutilés de la guerre. Mais c’est avec son chef d’œuvre, le triptyque de La Guerre réalisé entre 1929 et 1932, que le thème du désastre, inspiré de Goya, semble prendre tout son sens. Exposée une seule fois à Berlin en 1938, l’œuvre sera considérée comme appartenant à « l’art dégénéré » par les nazis, puis ensuite cachée pour éviter sa destruction…

59 min

La barbarie et l'art

« C’est que la guerre est quelque chose de bestial. La faim, les poux, la boue, ces bruits déments. C’est que c’est tout autre chose. Tenez, avant mes premiers tableaux, j’avais l’impression que tout un aspect de la réalité n’avait pas été encore peint. L’aspect hideux. La guerre est une chose horrible, et pourtant sublime. Il me fallait y être à tout prix. Il faut avoir vu l’homme dans cet état déchaîné pour le connaître un peu. » Entretien avec Otto Dix, 1941.

Quatre scènes sont réparties sur les quatre panneaux, toutes décrivant la guerre, depuis la montée au front et son retour, à gauche, l’horreur du champ de bataille au centre, le sauvetage d’un blessé à droite et les cadavres sur la prédelle qui souligne l’ensemble. Les héros célébrés par Dix pour faire face à l’horreur ce ne sont pas ces soldats sans visages qui montent ou reviennent du front, éventrés, devenus squelettes ou transformés en matière gluante, cervelle, viande gangrenée, donc les viscosités sont soigneusement reproduites par l’artiste. Les héros que célèbre Dix, ce sont les artistes. Ce qu’il oppose à la barbarie par ce prodigieux tryptique, ce sont les grands peintres du Moyen-Age et la Renaissance (Bosch, Altdorfer, Holbein, Grunewald…) auxquels les allusions sont nombreuses. Dans cet enfer sur terre, ce jour dernier, sans Dieu et sans Salut, Otto Dix fait la somme des œuvres et donne à l’artiste seul le pouvoir de sauver l’homme. Achevé trois ans avant Guernica, le tryptique de la guerre est l’autre tableau le plus absolu sur ce sujet.

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