Prison de Luynes : treize détenus se préparent en vue du grand concours d'éloquence

Par Romain CANTENOT et MGRE

Hier matin, six des 13 candidats étaient présents pour l'atelier "prise de parole en public". Comme toujours, Bubu se lance sans texte ni notes, avec son art inné du stand-up.

Hier matin, six des 13 candidats étaient présents pour l'atelier "prise de parole en public". Comme toujours, Bubu se lance sans texte ni notes, avec son art inné du stand-up.

Photo serge mercier

Aix-en-Provence

Atelier d'écriture, cours de théâtre, yoga... treize détenus travaillent d'arrache-pied en vue du grand concours d'éloquence organisé par la prison de Luynes. L'art oratoire permet de valoriser leurs talents et retrouver confiance

"Barba non facit philosophum. - Plus fort, relance l'intervenant. - Barba non facit philosophum. - Encore ! - Barba ; non facit ; philosophum !", répète Ali, détachant chaque mot qu'il projette cette fois en tir tendu vers son auditoire. Pour sa prestation, le jeune homme au visage de marbre grec a choisi ce proverbe latin. "La barbe ne fait pas le philosophe", devenu dans le langage courant "l'habit ne fait pas le moine". Il s'y interroge sur le sens de l'uniforme, évoque Carlos Ghosn... le texte est abouti mais à sa première lecture, il s'était vite embrouillé. Le voilà sur la bonne impulsion. Ali sourit, il a envie de réussir, de dompter son trac. Bruno Palazzolo, le coach en prise de parole, lui fait faire l'exercice du flamant rose, debout sur une jambe : "Tu vois, quand tu fermes les yeux, tu te déstabilises. Lorsque tu butes, il faut s'ancrer dans le regard du public."

À deux semaines de se présenter devant le jury présidé par l'acteur Patrick Timsit, les 13 détenus inscrits au premier concours d'éloquence organisé dans la prison de Luynes poursuivent leur préparation intensive entamée il y a un mois déjà. Atelier d'écriture, cours de technique théâtrale, yoga... huit heures d'entraînement par semaine sans compter le travail en cellule pour écrire, apprendre, répéter. Le programme concocté par l'équipe de l'unité locale de l'Education nationale, qui a monté le projet de A à Z, est dense et les candidats y jettent leurs tripes.

Après cinq semaines d'entraînement intensif, Sami (à gauche) et Ali (à droite) continuent de travailler leur gestuelle, "l'équilibre du regard" et leurs déplacements sur scène sous le regard de l'intervenant, Bruno Palazzolo.
Après cinq semaines d'entraînement intensif, Sami (à gauche) et Ali (à droite) continuent de travailler leur gestuelle, "l'équilibre du regard" et leurs déplacements sur scène sous le regard de l'intervenant, Bruno Palazzolo. Photo serge mercier

"Ce qu'on apprend là nous redonne de la confiance"

Chacun a pu choisir son thème et tous sont vastes, profonds ou douloureux. La prison n'inspire guère la badinerie. À les voir bondir sur l'estrade, brandir leurs mots, on voit plutôt des hommes, au ban de la société pour un mois, un an ou dix, venus se reconstruire phrase par phrase. "On nous montre qu'on est capable de faire quelque chose, dit un autre Ali, silhouette longiligne, visage doux et longs cheveux, échoué récemment à la maison d'arrêt, ce qu'on apprend là nous servira, ça nous redonne de la confiance en soi." Lui vient juste de changer de sujet pour explorer plutôt le rapport contrarié entre le travail et la famille dont on devine qu'il a contribué à son infortune. Le jeune père est "percé au coeur" par Djamel, qui lui, s'imagine libre, enfin, au bout d'une trop longue peine. Le détenu tient à la main son texte qu'il "apprend lentement par petits bouts parce que ça (l') émeut trop à chaque fois."

Des souvenirs, des rêves, des convictions

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Photo serge mercier

Ici s'arrête la loi virile qui régit la vie carcérale. L'émotion trouve à s'exprimer, des réflexions deviennent des manifestes, les idées bouillonnent, élevées et généreuses, les souvenirs remontent et les candidats s'encouragent, encore habités par le rêve d'un monde plus doux derrière les murs. Bubu, lui, n'a jamais écrit une ligne. Il a l'air de débarquer avec sa bouille de bon papy mais c'est pour mieux vous surprendre avec sa science innée du stand-up. De la raclée familiale reçue il y a 40 ans, après son premier vol, il déroule sa vision crue de la société présente, gangrenée par la frustration. Kadim, qui prépare aussi son CAP, condamne méthodiquement, chiffres à l'appui, les inégalités entre les hommes et les femmes à partir d'une histoire d'enfance. Ils avaient huit ans quand il a vu une amie sauver un de ses copains de la noyade. "J'aimerais avoir le coeur assez vaillant pour accomplir cet acte héroïque", dit-il. Et puis il y a Sami qui avait "complètement décroché dès la 5e" et a découvert Rousseau, Céline et Camus en détention. Le voilà dissertant sur la loi et la foi, sautant de Kant à Nietzsche pour conclure sur Paul Claudel. À l'aise comme un conférencier, il varie les tons, évolue à son aise entre les repères placés au sol et interpelle ses camarades comme s'il s'agissait déjà du jury. Sûr d'avoir trouvé, enfin, le droit à la parole devant le directeur de la prison, venu exceptionnellement assister à l'atelier. "Quel sera le prix pour le gagnant ?", ose l'un avec un aplomb retrouvé. "Votre liberté", répond le haut fonctionnaire qui file sous les applaudissements.

La signature de la convention a eu lieu dans les jardins de l'UEAJ, chemin de la Rapinerie à Aix-en-Provence.
La signature de la convention a eu lieu dans les jardins de l'UEAJ, chemin de la Rapinerie à Aix-en-Provence. Photo Cyril Sollier

Les jeunes mineurs délinquants se mettent au vert

La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l'association de réinsertion la Régie du Pays d'Aix ont signé, hier, une convention pour que de jeunes mineurs délinquants, condamnés à des mesures de réparation pénale, se forment à des travaux d'entretien d'espaces verts.

Cette qualification mise en place dans les prochaines semaines, comprendra du maraîchage biologique de fruits et de légumes, et de la valorisation des déchets.

"Cela concernera seize jeunes, essentiellement des garçons de 16 à 25 ans, sous mandat judiciaire, hors du circuit scolaire et sans diplôme", explique Loukhame Khiter, psychologue clinicien à Aix-en-Provence, particulièrement impliqué dans le dispositif.

L'idée paraît simple sur le papier. Mais demande une mutualisation des compétences de tous les partenaires concernés.

Chaque année, une quinzaine de mineurs sont accueillis dans les locaux de la PJJ. Un lieu, où ces jeunes, souvent issus de milieux défavorisés, en rupture avec la société, posent les bases de leur avenir, après un passé difficile.

Pour les 16-25 ans sous mandat judiciaire et sans diplôme

Encadrés par des éducateurs, ils seront confrontés à des situations professionnelles réelles dans les jardins de l'Unité éducative d'activités de jour (UEAJ), un immense verger d'environ 10 000 m², chemin de la Rapinerie à Aix-en-Provence.

" On travaille à la remise dans le droit commun, que ce soit en milieu ouvert, en détention ou dans des foyers. Certains d'entre eux, qui font l'objet d'une décision de justice, reprennent peu à peu le chemin de l'emploi. Nous sommes là pour éviter toute forme de stigmatisation et de discrimination : les bêtises sont faites pour être réparées. Le jardin, le développement durable sont autant de supports qui plaisent bien à ceux que nous suivons", plaide Vérane Isnard, directrice de l'établissement de placement éducatif et d'insertion (EPEI) d'Aix-en-Provence.

À l'issue de cette formation, ils se verront offrir des contrats à durée indéterminée intérimaire (CDII) d'une durée de quatre mois à deux ans " avec à la clé des certifications vers des métiers de paysagiste, de jardinier ou de pépiniériste ", poursuit la jeune femme.

La signature de la convention vient compléter un arsenal déjà existant en faveur de l'insertion de ces jeunes : chantiers éducatifs et d'insertion, stages de citoyenneté, ateliers artistiques et d'aide de retour à l'emploi.

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