Interview

Julien Fragnon : «Dans ses discours, Macron a clairement la volonté de dramatiser pour mobiliser»

Le chercheur en science politique Julien Fragnon décrypte la rhétorique guerrière du Président, qui vise, selon lui à empêcher les critiques et les divisions politiques.
par Laure Bretton
publié le 27 mars 2020 à 20h41

Mobiliser les Français face à l'épidémie ou réaffirmer une autorité mise à mal et s'inscrire dans l'histoire ? Depuis quinze jours, Emmanuel Macron emprunte un registre martial dans ses allocutions sur le coronavirus. Une rhétorique qui vise, politiquement, à «réduire les critiques», selon Julien Fragnon, docteur et enseignant en science politique à Sciences-Po Lyon, chercheur associé à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire et au laboratoire Triangle.$

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Le mot «guerre» utilisé par Macron vous semble-t-il approprié à la période que nous vivons ?

Pour le savoir, il faudra analyser ce que le terme de guerre provoque chez les Français à long terme. Or, on voit déjà monter çà et là une forme de décalage entre les effets recherchés par Emmanuel Macron et la réception de son discours. Ce qui est sûr, c’est que ce que nous vivons est sans précédent dans nos sociétés et qu’il y a donc une volonté pour le Président de décrire la situation en faisant référence au symbolique de la guerre. Plusieurs aspects de la situation actuelle peuvent y correspondre : la réduction des libertés individuelles ou la mobilisation des armées.

Politiquement et historiquement, mobiliser l’armée face à cet «ennemi invisible», c’est une première ?

Invoquer la guerre, rendre l’armée visible dans la riposte sanitaire, c’est surtout espérer une mobilisation nationale, des Français et des forces politiques. Il y a, par ce terme qui écrase tout, la volonté de marquer une rupture et l’entrée dans une situation exceptionnelle, mais aussi celle de réduire les critiques.

Si nous sommes en guerre, les divisions sont interdites, en résumé ?

C'est l'effet recherché et on peut d'ailleurs noter que dans son discours de Mulhouse, le chef de l'Etat a fustigé «les facteurs de division» et les «doutes». Ses allocutions ont une visée : l'unité nationale. Il espère que, en ces temps de «guerre sanitaire», il y ait une forme de mise entre parenthèses des concurrences politiques ordinaires. Il y a très clairement la volonté de dramatiser pour mobiliser. Mercredi soir, il a parlé des médecins «tombés» pendant l'épidémie de Covid-19, comme au champ d'honneur.

Parler de crise ou d’épidémie ne suffisait pas ?

L’exécutif a besoin de marquer les esprits. Mais ce registre a aussi des effets négatifs pour le pouvoir. Certains disent : «OK, c’est la guerre, mais alors passons en économie de guerre, réquisitionnons officiellement les entreprises.» Ce que le gouvernement ne peut ou ne veut pas faire. Par ailleurs, envoyer l’armée au secours des Français, c’est le dernier recours dans l’imaginaire collectif : il n’y a rien au dessus. Si nous n’en sommes qu’au début de l’épidémie, le pouvoir ne pourra pas plus dramatiser sa communication.

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Emmanuel Macron, François Hollande ou Nicolas Sarkozy sont des présidents qui n’ont pas connu la guerre, contrairement à de Gaulle, Mitterrand ou Chirac. Leurs références peuvent-elles trouver un écho chez les Français ?

Les présidents qui ont connu la guerre utilisaient sûrement le terme avec plus de prudence ! Mais les Français d’aujourd’hui n’ont pas non plus connu la guerre, donc chacun se fabrique ses propres représentations et à l’heure actuelle, pour tous, elles sont produites plus par la fiction (comme des films ou des romans sur la guerre et plus particulièrement sur l’expérience des guerres mondiales). Concernant Emmanuel Macron, ce n’est pas neuf, ce recours au registre militaire : souvenez-vous la descente des Champs-Elysées en command car après la présidentielle ou des fastes du premier défilé du 14 juillet de son quinquennat. Cela correspond à son image à lui de la présidence : il est le chef des armées, par la Constitution, et par les images.

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