Comment construire une politique européenne de l'alimentation?

5ème édition du Think Tank Food&Planet en partenariat avec :

Le 7 juillet 2022, le Think Tank Food&Planet s’est réuni au coeur du « ventre de Paris », le marché international de Rungis pour une conférence sur le thème de la souveraineté alimentaire européenne.

En présence de :

  • Stéphane Travert, Ancien Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Députée de la Manche
  • Stéphane Layani, Président du Marché international de Rungis
  • Irène Tolleret, députée européenne
  • Fabienne Boroni, Directrice RSE et communication du groupe Savencia
  • Quitterie Daire-Gonzalez, Directrice des affaires publiques de Syngenta
  • Louis Orenga, Directeur d’Aprifel

Replay de la conférence

Article de compte-rendu

Article de compte-rendu de la session publié dans le Journal du Dimanche du 24 Juillet 2022

Retranscription de l’article

Tirer les leçons des crises pour construire une politique européenne de l’alimentation

Les crises que nous rencontrons ont révélé les dysfonctionnements de nos systèmes alimentaires et la fragilité de notre autonomie.
Le Think Tank Food and Planet a réuni des experts, industriels et les députés Stéphane Travert et Irène Tolleret, le 7 juillet dernier à Rungis ” ventre de Paris”, pour tirer des leçons des crises actuelles et proposer des solutions durables proposant des prix justes, une territorialité des cultures et une révision de la politique européenne.

Stéphane Travert, ancien Ministre de l’agriculture et de l’alimentation rappelle l’enjeu : “Les crises nous obligent à repenser notre souveraineté alimentaire au niveau national et européen. 1,2 milliards d’euros ont été mis sur la table pour reconquérir la souveraineté alimentaire en France. Nous devons produire pour être en capacité d’exporter vers les pays en risque de connaître des crises alimentaires qui peuvent aussi se transformer en crise démocratique.” Au coeur de cette reconquête : le revenu des agriculteurs, “ le premier maillon sur lequel nous devons travailler” selon l’ancien ministre.

Fabienne Boroni, directrice RSE et communication du groupe Savencia, nous rappelle la Loi EGalim 2 qui vise à revaloriser la rémunération des agriculteurs. Savencia est d’ailleurs le fromager national qui a le mieux rémunéré le lait en 2021.

Ces propos sont partagés par Quitterie Daire-Gonzalez, Directrice des affaires publiques de Syngenta : “ Nous devons atteindre 3 objectifs non-négociables pour renforcer notre sécurité alimentaire : des agriculteurs vivant décemment de leur métier, une vision pragmatique des enjeux agricoles au niveau européen et la protection de l’environnement. ”

Pour atteindre ces objectifs, une meilleure compétitivité et le recours à l’innovation sont indispensables, mais des freins réglementaires persistent : « Tout le monde parle du 21ème siècle mais 80 % des règles ont été établies au 20ème siècle ” rappelle Louis Orenga, Directeur d’Aprifel qui souhaite que les règles de concurrence soient repensées et homogénéisées au niveau européen afin de garantir une souveraineté alimentaire pérenne.

Irène Tolleret, députée européenne approuve : “La bonne échelle est celle européenne” et met en garde contre les règles internes de certains pays, qui peuvent “créer des distorsions de concurrence qui ne sont pas tenables pour les agriculteurs.”

Pour Quitterie Daire-Gonzalez, “L’innovation est essentielle pour répondre aux besoins des agriculteurs, créer de la valeur et répondre aux attentes des citoyens en matière de sécurité alimentaire et de protection de l’environnement. Nous avons les capacités d’innover, il faut maintenant libérer l’innovation”.

La députée Irène Tolleret préconise également un “Codex Planetarius” international sur les normes de production, de transformation et de distribution afin d’avoir des règles communes face aux risques géopolitiques et climatiques émergents. Renforcer le niveau international est nécessaire.

Adapter le plan stratégique à la réalité.

La situation en Ukraine nous rappelle que “ Le risque géopolitique doit absolument être pris en compte dans les politiques européennes alimentaires. ” Pour autant Louis Orenga précise que “ la souveraineté alimentaire ce n’est pas de produire nous-mêmes à 100% mais c’est maîtriser notre capacité à alimenter les français. ” Stéphane Layani, Président du Marché de Rungis, ajoute “ Il ne faut pas confondre souveraineté alimentaire avec autarcie ou autonomie. ” Selon lui, “ Le marché de Rungis peut apporter une solution dans la refonte de l’agriculture française. En revalorisant le rôle des marchés, nous pourrons sauver l’agriculture française et la souveraineté alimentaire.”

Le constat de Stéphane Travert est clair : “ Nous ne pouvons plus déléguer notre alimentation comme nous l’avons fait pour les médicaments.” Il est important de re-territorialiser certaines productions telles que les légumineuses pour contrebalancer la dépendance extérieure française aux protéines végétales.
D’autant plus que selon Fabienne Boroni, “l’alimentation de demain sera plus flexitarienne, nous devons évoluer pour aller vers un équilibre 50 % protéines animales et 50 % protéines végétales. ” Selon elle, “ les produits laitiers restent cependant essentiels par leur richesse nutritionnelle, leur origine locale, le rôle de l’élevage pour stocker du carbone dans les prairies.”
Il est également nécessaire de susciter des vocations : en 2030 ce sera 1 chef d’exploitation sur 2 qui partira à la retraite et pour Stéphane Travert la question est de savoir “ Comment nous faisons le pari de l’investissement et de la jeunesse dans l’installation, dans la transmission des exploitations pour répondre à la question de souveraineté alimentaire en France mais aussi au niveau européen. ”

Re-territorialiser contribue aux attentes des concitoyens et des consommateurs, mais selon Stéphane Travert “ nous nous retrouvons avec des injonctions contradictoires. Sommes-nous prêts à payer le juste prix de l’alimentation que nous souhaitons? ” Aujourd’hui les postes de dépenses des foyers ont complètement changés “ Il y
a quelques années, l’alimentation arrivait en 1er dans l’ordre des dépenses, aujourd’hui la partie loisirs vient bien souvent en 1er, puis les charges fixes, puis l’alimentation. ”

Fabienne Boroni rappelle également que “les produits alimentaires ont connu des années de déflation : -6% entre 2013 et 2020. Nous devons aujourd’hui nous adapter à une période différente, en sachant qu’une alimentation de qualité a un juste prix. ” De son côté, Louis Orenga déplore qu’en absence d’harmonisation de clauses environnementales de tous les États membres il y ait une obligation d’information collective des consommateurs lorsque des décisions sont prises et ne concernent qu’un État membre.

Pour conclure, Stéphane Layani l’affirme, “repenser l’organisation alimentaire de notre pays devient une nécessité ”. Avec 1,5 million de personnes en plus en Ile-de-France d’ici 2035, le défi est de taille. C’est pourquoi, sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre, Jean Castex, un nouveau marché va être construit à proximité du “ Triangle de Gonesse ” (Val d’Oise-95) dont une partie devra être destinée à la production agricole, ce qui permettra de répondre à la demande grandissante des franciliens de consommer local. “Nous produirons sur place : quoi de mieux pour faire du circuit court que de produire, transformer et distribuer nos produits sur place.” nous explique Stéphane Layani. Ce projet de 1,4 milliard d’euros devrait voir le jour à partir de 2026.

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