Compréhension par les chevaux de certains états mentaux des humains

Les animaux peuvent avoir certaines attentes de la part des humains dans certains contextes. Cette capacité peut nécessiter des aptitudes relativement complexes de la part des chevaux (le cheval sait que l’humain sait ou que l’humain peut faire quelque chose), aptitudes qui rentrent dans ce qu’on appelle la théorie de l’esprit. Cette fiche présente quelques articles scientifiques récents sur ces capacités cognitives. Elle ne prétend pas être exhaustive. Elle est en partie basée sur la thèse de Milena Trösch (IFCE-INRAE, direction par Léa Lansade) et ses textes dérivés (8,9).

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Par Marianne VIDAMENT - Léa LANSADE - | 30.03.2021 |
Niveau de technicité :
cognition
Sommaire

Quelques définitions au préalable

La cognition

La cognition (adjecif = cognitif) est la manière dont un individu perçoit et comprend le monde qui l’entoure. Cela comprend la perception et l’intelligence dans le langage courant.

La théorie de l’esprit

La théorie de l’esprit est l’ensemble des capacités cognitives complexes qui permettent de comprendre l’autre en se mettant à sa place. Elle comprend les éléments suivants : évaluer les perceptions et les connaissances de l'autre, comprendre les buts et les intentions de l'autre et comprendre les croyances même fausses de l'autre (2). C’est une compétence qui se développe assez tardivement chez l’enfant

La communication référentielle

À la fin de sa première année, l’enfant commence à utiliser des gestes pour attirer l’attention d’un partenaire social (en général, la mère) vers un objet hors de sa portée, en utilisant des signaux comportementaux comme le pointage, la présentation ou l’offrande. Si l’enfant et sa mère focalisent leur attention ensemble sur le même objet, c’est que le geste a été efficace. Ce phénomène s’appelle la « communication référentielle ». Chez les espèces qui ont cette capacité, elle est surtout utilisée pour prévenir d’un danger potentiel ou pour localiser une source de nourriture.

Les gestes référentiels sont modulés par le degré d’attention du destinataire. Cela montre la construction d’un plan d’action mental de la part de l’émetteur. Ce type de signaux flexibles et intentionnels est considéré comme un pré-requis à la lecture des états mentaux du destinataire. Cette communication référentielle existe chez l’homme, mais il a récemment été montré qu’elle existe chez certains animaux : les primates mais aussi les chiens, les dauphins, les corbeaux et les chevaux (3).

Comment les chevaux s’y prennent alors pour indiquer ce qu’ils veulent?

Attribution de connaissances et communication référentielle chez le cheval

Chez le cheval en liberté et sans apprentissage

Les 3 études présentées ici sont basées sur le même principe. Lors d’une première phase, le cheval assiste à une scène où de la nourriture est montrée puis est mise hors d’atteinte. Cette scène se déroule en présence d’humains qui ont pu voir la scène ou non. Dans une deuxième phase, le cheval est livré à lui-même (en liberté ou en longe lâche) et il s’agit d’observer les capacités du cheval à communiquer avec les humains présents afin d’obtenir cette nourriture et de voir si cette communication est différente suivant que le cheval a vu l’humain voir ou non la scène.

Étude italo-allemande (6)

Lors de la première phase, un humain inconnu (le destinataire) a montré au cheval deux seaux contenant de la nourriture et placés à l’extérieur d’une petite carrière, derrière deux portes. Puis dans la deuxième phase, cet humain a adopté différents états attentionnels vis-à-vis du cheval testé en liberté dans la carrière : soit de face dans la carrière, soit de face dans la carrière et avec d’autres personnes placées près des seaux de nourriture, soit de dos, soit de dos en s’éloignant de 100 m à l’extérieur de la carrière, soit de face en revenant vers la carrière.

Les 14 chevaux testés ont eu une alternance plus grande de regards entre le destinataire et la nourriture quand le destinataire était de face que dans les autres positions. Les chevaux ont aussi utilisé des mouvements de tête indicatifs vers les seaux (pointage : tête ou cou dirigés vers une des portes ou un des seaux, tête au-dessus d’une porte…) et non indicatifs (hocher ou secouer la tête). Ils ont aussi été capables d’une communication plus complexe, en passant d’une communication visuelle (regards, mouvements) vers le destinataire à une communication tactile (certains se sont rapprochés et ont touché le destinataire) et ils ont fait preuve de persévérance dans leur communication.

Étude japonaise (7)

Dans la première phase, un cheval, après avoir vu son soigneur lire un livre à l’extérieur du paddock sans le regarder puis repartir, voyait un assistant, accompagné ou non du soigneur, cette fois-ci attentif, venir lui présenter une carotte puis la mettre dans un seau à côté du paddock donc hors de portée du cheval. Lors d’une seconde phase, le soigneur se plaçait à côté du paddock en lisant un livre et en ne regardant pas le cheval et le comportement du cheval était analysé.

Dans les deux cas, les 8 chevaux ont plus sollicité leurs soigneurs dans la 2ème phase par rapport à la 1ère phase pour qu’ils les aident à obtenir la nourriture, en les touchant et en les regardant. Cependant, l’intensité de leurs sollicitations a été différente : étonnamment, les chevaux ont plus sollicité leurs soigneurs quand ceux-ci n’avait pas vu le seau se faire remplir.

Étude française IFCE-INRAE (11)

Dans une première phase, le cheval, tenu en main dans un manège, voyait un assistant remplir un seau de nourriture puis le fermer avec un couvercle, entre deux personnes inconnues placées à la même distance du seau. L’une avait vu la scène, l’autre tournait le dos à cette scène Puis, lors de la deuxième phase, l’assistant étant parti, les deux personnes inconnues se tournaient face au cheval et celui-ci était lâché et observé pendant 2 minutes (voir photos).

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Schéma du dispositif de l’étude Trösch et al. (2019). Le cheval a vu la nourriture être cachée dans le seau avec le couvercle bleu par l’assistant en jaune, et a vu qu’une des deux autres personnes en bleu l’a vu aussi. Puis les deux personnes en bleu se tournent vers lui : comment va-t-il solliciter ces deux personnes ?
      


Les 15 chevaux de propriétaires testés, ne pouvant accéder à la nourriture, se sont tournés vers les humains : ils ont regardé et touché deux fois plus la personne qui avait vu la scène que celle qui était de dos.

Les résultats de ces trois études montrent que les chevaux ont bien remarqué la différence d’attention des personnes avant, pendant et après la cache de nourriture, qu’ils ont retenu cette information et qu’ils ont adapté leur comportement en conséquence. Ils ont utilisé regards et contacts pour manipuler l’attention des humains afin d’obtenir la ressource hors d’atteinte.

Chez le cheval au box et sans apprentissage

Dans les deux études présentées ci-dessous, le dispositif est proche. Dans une première phase, un humain propose de la nourriture au cheval, puis, dans une deuxième phase, la nourriture est là, mais inaccessible : soit elle est inatteignable comme précédemment (tâche impossible) soit celle-ci est cachée dans une boîte que le cheval peut ouvrir lui-même, mais il faut qu’il comprenne comment (tâche possible, mais demandant une certaine persévérance).

Comment les chevaux se trouvant dans un petit espace ont réagi à ces situations en présence des humains qui, eux, avaient accès à cette nourriture ?

Étude italienne (1)

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Dispositif de l’étude © Alterisio (2018)
Une table était installée devant la porte ouverte du box (voir figure). Dans la première phase : deux personnes (une familière et une non) étaient de chaque côté de la table en position neutre, puis de la nourriture était déposée sur la table à la portée du cheval et il pouvait la manger (condition possible). Dans la deuxième phase, la nourriture était déposée sur la table trop loin du cheval, les 2 personnes restant au même endroit (condition impossible).

Deux séries de chevaux de centres équestres ont été testés : 30 chevaux tout d’abord, puis 18 ensuite, avec quelques étapes en plus, notamment l’absence d’humains dans la condition impossible. Les comportements suivants ont été relevés : position des oreilles, contacts avec la table (et les personnes) et comportements de frustration (mouvements de tête répétés, mâchouillements dans le vide, grattage du sol, oreilles en arrière…).

Globalement, les comportements n’ont pas été différents vis-à-vis du soigneur ou de la personne non familière.

Lors de la condition impossible et en présence des humains, les chevaux ont beaucoup plus touché la table, ont montré plus de comportements de frustration, ont eu beaucoup plus d’attitudes d’attention mesurées avec la position des oreilles : soit les deux oreilles dans la même direction, soit une oreille vers la table et une oreille vers une des personnes ou à l’endroit où était la personne maintenant absente. Ce dernier comportement a été le comportement le plus rapidement et le plus fréquemment exprimé dans la condition impossible et en présence des humains. Les auteurs concluent que ce comportement pourrait être un geste de communication référentielle des chevaux demandant de l’aide pour atteindre la nourriture.
Étude française (Université de Rennes) (5)

Des chevaux de centre équestre ont été testés lors d’une tâche assez simple : l’ouverture du couvercle d’une boîte en bois où ils savaient que se trouvait de la nourriture en présence d’un humain non familier. Dans la première phase, dans un box, un humain non familier montrait au cheval l’ouverture du couvercle et la nourriture dans la boîte ouverte. Puis le couvercle était fermé. Dans la deuxième phase, le cheval était mis en liberté avec la boîte pendant 3 min en présence de cet humain en position neutre. S’il ne réussissait pas, la session était recommencée 2 fois après une présentation de la nourriture.

Sur les 46 chevaux testés, la moitié ont réussi à ouvrir la boîte sans aide. Les comportements vis-à-vis de l’humain les plus fréquents ont été les regards et l’exploration proche (olfactive ou tactile). Plus les chevaux ont exploré ou regardé l’homme, plus ils ont eu des comportements inefficaces d’exploration de la boîte, plus ils ont mis du temps à ouvrir la boîte, moins ils ont fait de coups de nez efficaces sous le couvercle permettant l’ouverture de la boîte, plus ils ont eu des comportements de frustration et des comportements redirigés vers leur mangeoire.

Les auteurs concluent que, sans doute, les chevaux qui n’ont pas réussi attendaient une action de la part de l’homme présent, ce qui les a empêchés de trouver eux-mêmes la bonne solution, ce qui a entraîné les signes de frustration. Ce comportement de moindre efficacité pour résoudre une tâche a été décrit chez les chiens qui regardent beaucoup leur propriétaire.

Compréhension des intentions et communication référentielle

Les animaux sociaux peuvent largement bénéficier du fait de pouvoir comprendre, à leur manière, les intentions qui se cachent derrière le comportement des animaux qui les entourent. Mais la capacité de comprendre les intentions des autres a été très peu explorée chez les animaux en dehors des primates, des chiens et des perroquets.

Étude française (IFCE-INRAE) (10)

Il a été comparé 3 situations similaires qui aboutissaient au même résultat (le cheval ne recevait pas une carotte que l’humain non familier lui présentait de la même façon, avec une expression faciale neutre) mais qui différaient dans l’intention. Pour cela, le cheval a été testé dans un box dont le haut de la porte était fermé par une plaque de plexiglass avec un trou permettant de donner une carotte. Lors de la première phase, un humain non familier lui montrait, puis lui donnait une carotte. Lors de la deuxième phase, la carotte était sur la table à la vue du cheval. Puis, soit l’humain ne voulait pas la donner (il la montrait, allait jusqu’au trou mais la reposait sur la table) soit il ne pouvait pas la donner (il la montrait, allait jusqu’au trou mais, celui-ci étant fermé, il la reposait sur la table) soit il ne pouvait pas la donner car, après l’avoir montrée, il l’avait faite tomber et la remettait sur la table.

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Dans l’étude de Trösch et al. (2020), le cheval voyait la carotte puis soit l’humain ne voulait pas la donner, soit il ne pouvait pas la donner (vitre), soit il la faisait tomber. Comment les chevaux ont-ils réagi à ces différentes intentions ? © Pixabay
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© Pixabay


Les 21 chevaux de propriétaires ont réagi différemment entre les 3 situations : ils ont regardé l’homme et ont touché le plexiglass plus longtemps dans les situations où l’homme ne pouvait pas leur donner, et surtout dans le cas de l’homme maladroit. Ils ont beaucoup moins réagi face à la situation où l’homme ne voulait pas leur donner. Dans ce dernier cas, ils abandonnaient rapidement les deux comportements de regard et de toucher.

Ces résultats suggèrent que les chevaux sont capables de prendre en compte ce qu’ils comprennent des gestes de l’humain, et sans doute des intentions qu’il y a derrière, et qu’ils adaptent leur comportement en conséquence.

Ce qu’il faut retenir

D’après ces études, le cheval peut prendre en compte certains états mentaux de l’être humain (connaissances et intentions) et adapter son comportement en conséquence. Ceci est le signe de capacités cognitives élevées.

Il semble utiliser de la communication référentielle pour communiquer avec les humains.

Les scientifiques pensent que les capacités d’interagir se développent d’abord entre les chevaux, lors des nombreuses interactions avec leurs congénères, avec des signaux de plus en plus subtiles, puis avec les humains où, alors, les chevaux pourraient développer des signaux peut-être plus marqués.

Scientifiquement, il n’a été étudié qu’un nombre limité de situations de connaissances et d’intentions des humains appréhendées par les chevaux et qui concernent, pour le moment, uniquement l’accès à de la nourriture. On peut cependant faire l’hypothèse que ces facultés sont utilisées par les chevaux dans de nombreuses autres situations.
En savoir plus sur nos auteurs
  • Marianne VIDAMENT Docteur vétérinaire - ingénieure de projets & développement « Éthologie » et « Médiation équine » IFCE
  • Léa LANSADE Ingénieure de recherche en éthologie IFCE-INRAE

Bibliographie

Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr
Date d'édition : 10 05 2024

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