Aranyak (La Forêt), de Bibhutibushan Bandopadhyay

La paix de la forêt

En fin d'année 2020 je n'avais pas la tête à lire ! Aussi grande lectrice que je sois, j'avais un mal terrible à me fondre dans les romans accumulés sur ma table de chevet. C'est alors que j'ai ouvert ce livre, traduit du bengali et publié par une maison d'édition exquise que je découvrais : les éditions Banyan. Ah! quel paix de l'âme que se fondre dans ce texte. Je l'ai savouré, en le gardant à mes côtés aussi longtemps que possible. Je l'ai lu lentement, des semaines durant. Et j'ai tout comme vécu en compagnie de ce jeune narrateur citadin qui part dans les forêts de l'Inde, situées au pied de l'Himalaya, et qui découvre un monde énigmatique, riche et modeste à la fois. Il apprendra à écouter, regarder, accueillir en lui la geste de la nature et le détachement des personnages coutumiers de la frugalité. Voyage vers le détachement, le récit nous apprend que cela va de pair avec l'attachement aux hommes qui ne sont pas encore dénaturés.

Le roman s'ouvre sur la vie insouciante d'un jeune diplômé résident de Calcutta et originaire du Bengale. Il cherche du travail, a du mal à boucler ses fins de mois. Il est cinéphile, érudit, raffiné. Au comble du désespoir il croise un ami qu'il a connu étudiant. Le garçon est issu d'une famille de zamindars (propriétaires terriens) aisé et l'enjoint à accepter de travailler pour eux. Notre jeune Styacharan s'embarque alors pour la région reculée du Bihar. Il se surprend à aimer, très vite, cette nouvelle vie à mille lieues de ses habitudes urbaines. Il sera gagné par le charme des hommes et des femmes qui mènent une existence simple et humble là-bas. Et progressivement il vivra l'exaltation secrète des promenades en forêt, de jour, de nuit. Mais bien-sûr, il réalisera aussi que sa fonction exige de lui, précisément, qu'il participe à détruire cet environnement jusqu'alors préservé de toute intervention humaine.

Le récit cadre est vite résumé. Mais la beauté du livre réside dans la multitude d'histoires qui l'habitent. Chaque personnage rencontré est à lui seul un monde de magie et de surprises. Chaque instant passé dans la forêt sauvage invite esprits et croyances légendaires à battre dans le cœur du narrateur, et par là-même, du lecteur. La nature elle-même se donne à lire à chaque page. Toutes ces plantes, ces fleurs et ces arbres que nous ne connaissons pas nous fascineront. Tout est nommé dans la langue d'origine, et un glossaire en fin de roman nous aide à percer quelques mystères. Mais en réalité les mots sont en soi un voyage, par leur musicalité, par leur mystère. Étrangement la joie de vivre est partout présente, alors que les hommes et les femmes qui peuplent le récit n'ont pour ainsi dire rien qui leur permette de subvenir à leur existence. Pensez-vous qu'ils mangent du riz ? Mais non, le riz est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Éleveur de buffle, danseur sur la place publique, brahmane enseignant, rajpoute ou roi d'une civilisation déchue, tous savent se satisfaire, au quotidien, des fruits maigres de leur quotidien. Le narrateur s'en ébahit. Et nous, habitants de cet occident gâté de surconsommation, comment réagissons-nous en les regardant vivre heureux de si peu ?...

Je vous disais au début de cet article que j'avais été dépaysée par ce livre, le seul que mon esprit fatigué a accepté d'ingurgiter, au moment où il m'est arrivé miraculeusement entre les mains. Car la manière d'écrire, ici, est bien loin de tout ce que nous connaissons. Le monde des lettres actuel nous offre une certaine forme de récit. Un mode de description qu'un auteur occidental ne s'autoriserait pas aujourd'hui est adopté dans ce roman, pour notre plus grand bonheur. Ralentissons, observons, racontons notre vie autrement. Et pour ce faire, lisons peut-être autrement. C'est cela que j'ai pu faire avec ce livre foisonnant mais patient, riche mais bien simple d'abord. L'érudition est là. L'Histoire et la légende sont là. La sociologie, la politique, la religion, les tendances de notre monde. Tout est là. Invisible pour celui qui ne sait y regarder de près ! Je lisais le livre avec un regard enfantin. Puis une longue journée durant je méditais ce que je venais de lire. Je cherchais à mieux percer toutes les informations qui y étaient instillées. Depuis plusieurs décennies je m'intéresse à l'Inde et à la pensée Indienne. Alors je parvenais à lire au-delà des mots. Tout en sachant que certaines de mes amies qui connaissent ce pays de l'intérieur liraient mille fois plus loin que moi.
Oui. Le texte est d'une grande force en cela. Chaque lecteur s'y trouvera bien et en recevra un souffle apaisant et bienfaiteur. Certains récolteront des connaissances plus pointues que d'autre, sur cette culture de l'Inde multiple et si ancienne que nous n'aurons jamais fini d'explorer.

Notons que Bibhuti Bushan Bandyapadhyay est un grand nom de la littérature indienne contemporaine. Il est par ailleurs l'auteur du roman Le monde d'Apu qui a été adapté au cinéma, et remporté bien des prix nationaux et internationaux.

ARANYAK (LA FÔRET)
Bibhutibushan Bandopadhyay
Traduit du bengali par Jyoti Garin

éd. Banyan 2020 (v.o. 2015)

Les photographies mettant en scène la couverture du livre sont conçues et réalisées par l'artiste photographe Muriel Larie © pour Kimamori.

L'image du personnage porteur de bois est issu de ce site.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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