Saules aveugles, femme endormie

Saules aveugles, femme endormie

Pierre Földes
France-Luxembourg-Canada-Pays-Bas / 2021
D'après des nouvelles du recueil Saules aveugles, femme endormie de Haruki Murakami.

Un chat perdu, une grenouille géante volubile et un tsunami aident un attaché commercial sans ambition, sa femme frustrée et un comptable schizophrène à sauver Tokyo d'un tremblement de terre, et à redonner un sens à leurs vies.

« Ce qui est visible pour tout le monde n'est peut-être pas le plus important », entend-on à un moment dans le film « Saules aveugles, femme endormie ». Ce qui reviendrait à parler « des choses cachées derrière les choses » pour faire allusion à une célèbre réplique signée Jacques Prévert. Si l'on se réfère d'ailleurs au célèbre poète et dialoguiste, on peut recenser aussi dans le premier long métrage d'animation de Pierre Földes tout un inventaire fantaisiste et inattendu: une très grande grenouille (Frog !), un chat perdu qui a le nom du beau-frère de son propriétaire (Watanabé), une boîte mystérieuse à transporter, un lombric géant prénommé Worm bien sûr, et des saules au pollen maléfique.

Alors qu'il adapte quelques nouvelles de l'écrivain japonais Haruki Murakami, il est étonnant de voir les points communs des personnages principaux, Komura et Katagiri, avec des récits développés auparavant dans les formes courtes du cinéaste : « Vivre avec toi c'est vivre comme avec une bulle d'air » donnera Kyoko à Komura comme explication à son départ nous donnant à penser que rien n'allait plus comme avant entre eux. Quant à Katagiri, il se lancera dans un douloureux monologue sur son existence, sa difficulté de vivre, de s'accepter, qui fait beaucoup penser à l'intranquillité et à la fatigue d'un des premiers personnages tout aussi rigide vu dans un court métrage de Földes, Mikrodramas.

C'est néanmoins l'univers de Murakami, cette tonalité étrange et surnaturelle, qui va contaminer le long métrage et lui donner son identité. Le cinéaste choisit six nouvelles parmi trois recueils différents de l'écrivain japonais. Le travail d'adaptation est admirable, tant il n'illustre pas bien sûr les nouvelles scolairement les unes après les autres, mais qu'il élague les histoires, réduit le nombre de personnages et enchevêtre les destins de ses héros réduits à quatre principaux et invente un récit où chacun est un peu le miroir de l'autre.

Au cœur du film se trouvent la remise en question existentielle, la prise de conscience la plus intime, celle qui vous fait changer de voie dans la vie. Bien que très dialogué, Saules aveugles, femme endormie est un film introspectif, empli de réflexions, de silences et de voix intérieures. C'est aussi un film composé de multiples digressions, toujours traduites en images, qu'elles soient sur le mode du flash-back ou de la rêverie et du cauchemar, nourrissant l'impression tenace d'inquiétante étrangeté.

Bernard Payen
(Extrait du texte écrit pour la revue Blink Blank, n°6, Automne 2022)