Avant d’affronter la justice pénale suite à sa mise en examen, Anne Lauvergeon a d’ores et déjà dû affronter le fisc. "Atomic Anne" s’est vu notifier un redressement concernant les avantages en nature qu'Areva lui a accordé pendant l’année suivant son départ, c’est-à-dire entre mi-2011 et mi-2012 : mise à disposition d’un véhicule, paiement du salaire d’un chauffeur et d’une secrétaire. Ces avantages (en incluant aussi un garde du corps) se chiffraient à 635.262 euros, selon les comptes d’Areva.

Le fisc a découvert ces avantages lors d’un contrôle fiscal d’Areva. Il a considéré que le groupe d'énergie n’avait confié à Anne Lauvergeon aucune mission justifiant ces dépenses, hormis un poste purement honorifique de présidente d’honneur du directoire. Bercy a donc conclu qu’elle avait bénéficié de “rémunérations et avantages occultes”, et l’a redressée pour cela, lui infligeant une pénalité de 40% pour “manquement délibéré”.

L'ancienne patronne d'Areva a contesté ce redressement en justice. Elle a argué avoir effectivement travaillé pour Areva durant l’année suivant son départ. Elle a fourni des extraits de son agenda, ainsi que des attestations de sa secrétaire et de l’ancien président du conseil de surveillance d’Areva, qui a certifié qu’elle avait “plaidé auprès des grands clients d’Areva pour un choix de continuité, et travaillé à l’aplanissement de certaines difficultés avec les pays producteurs”. Elle a estimé que cette activité effective mais non rémunérée “justifiait la mise à disposition d’une secrétaire et d’un véhicule avec chauffeur”. Elle ajoutait n’avoir jamais été informée par Areva que ces avantages étaient imposables...

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Mais elle a été déboutée par la justice. Dans un premier temps, en octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a jugé que “la réalité des actions réalisées par Mme Lauvergeon n’est pas justifiée”.

Une position confirmée en juin 2021 par la cour administrative d’appel de Paris, pour qui le fisc “était fondé à considérer que les sommes n’ont pas été engagées dans l’intérêt de la société Areva”. Pour la cour, les extraits de l’agenda sont “dépourvus de force probante”, et les attestations “peu circonstanciées”, la secrétaire “n’apportant pas de précisions sur la nature exacte et la quotité du travail qu’elle aurait fourni à la demande de Mme Lauvergeon, au bénéfice d’Areva”.

Le tribunal comme la cour ont validé les pénalités de 40%, car “Mme Lauvergeon ne pouvait ignorer le caractère honorifique du titre de présidente d’honneur du directoire d’Areva, et, par suite, du caractère imposable des avantages en nature qui lui ont été octroyés”.

Mais Atomic Anne n'a pas lâché l'affaire, et s'est pourvue devant le Conseil d'Etat, qui a rejeté son pourvoi ce mardi 21 juin.

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Pour mémoire, Areva a aussi versé à Anne Lauvergeon lors de son départ 1,5 million d’euros d’indemnités de départ de clause de non concurrence.

Anne Lauvergeon déclarant ses revenus en commun avec son mari Olivier Fric, le fisc a simultanément redressé son époux. Précisément, les revenus qu’Olivier Fric a encaissés entre 2005 et 2012 via quatre sociétés immatriculées aux îles Vierges britanniques : Wildmore Trading SA, Deltanor Financial Ltd (dont il détenait 100%), Amlon Ltd et International trade and finance group Ltd (dont il détenait 50%). Ces sociétés avaient notamment acheté des actions Uramin juste avant l’annonce du rachat par Areva, pour les revendre juste après, réalisant une plus-value de 295.796 euros. Olivier Fric a aussi fait transiter par Amlon Ltd et ITFG Ltd une rémunération reçue pour les conseils fournis lors de la vente de la société kazakh Kuat Amlon Munai.

Olivier Fric n’ayant pas déclaré en France les revenus encaissés via ces quatre sociétés off shore, le fisc a considéré qu’il “exerçait de manière habituelle une activité occulte d'intermédiaire", et redressé les revenus ainsi encaissés, avec des pénalités de 80% pour “activité occulte”.

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Pour se défendre, Olivier Fric a argué dans un premier temps qu’il n’était pas résident fiscal en France, mais en Suisse depuis 2003. Il a expliqué être salarié de la société Vigici SA basée à Lausanne, et avoir déjà payé des impôts au fisc helvète sur les salaires versés par cette société. Il a ajouté que les fonds contestés n’ont fait que transiter par les sociétés off shore pour atterrir finalement chez Vigici SA, et donc que le fisc français voulait imposer deux fois les mêmes sommes. Il a enfin assuré ne pas avoir été impliqué personnellement dans la gestion des sociétés offshore Amlon Limited et ITFG Ltd, et que certaines opérations auraient été réalisées à son insu.

Mais le sulfureux intermédiaire n’a pas convaincu le fisc. Bercy a relevé que, sur la période 2005 à 2012, il possédait en France cinq comptes bancaires, une résidence secondaire, une voiture, des lignes de téléphones mobile et fixe..., et que son épouse Anne Lauvergeon et leurs enfants résidaient à Paris (même si le bail de leur appartement parisien était au nom de son épouse).

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Olivier Fric s’est aussi tourné vers la justice, avec plus ou moins de succès. Sur sa résidence, le tribunal administratif a jugé que “M. Fric n’apporte aucune pièce de nature à justifier” qu’il est résident fiscal suisse. Olivier Fric a donc abandonné cet argument en appel.

En revanche, Olivier Fric a convaincu les juges de diminuer le montant de la douloureuse en retirant une partie des revenus de ses sociétés off shore. Dans un premier temps, le tribunal administratif a notamment retiré 250 000 dollars (soit 192 389 euros) versés en 2005 sur le compte de la société Wildmore Ltd, Olivier Fric arguant qu’il s’agissait de capitaux versés pour créer la société.

La cour administrative d’appel de Paris vient de lui donner raison sur la plus-value de 295.796 euros réalisée sur la revente des actions Uramin. Ces actions avaient été achetées et revendues par la société off shore Amlon Ltd, détenue à 50/50 par Olivier Fric et son associé Franck Hanse. Selon une enquête de Tracfin, la plus-value avait ensuite été transférée sur un compte au Liechtenstein détenu par ITFG Ltd, autre société off shore détenue à 50/50 par Olivier Fric et Franck Hanse, pour atterrir enfin dans deux sociétés suisses, Vigici SA et Aramis Trust. Mais Oliver Fric assurait n’avoir finalement jamais encaissé sa part sur cette plus-value. Il ajoutait que l’aller-retour sur les actions Uramin avait été réalisé par Franck Hanse, qui l’avait reconnu lors de l’enquête pénale. Pour la cour d’appel, le fisc “n’établit pas que la cession de titres Uramin aurait été réalisée par M. Fric, ni que M. Fric aurait appréhendé 50% de cette somme, l'administration fiscale se bornant à relever que M. Fric l’aurait admis au cours de la procédure”.

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La cour a aussi retiré 178.359 euros de revenus supplémentaires versés sur les comptes bancaires d’Amlon ltd et ITFG Ltd, car le fisc “n’établit pas que M. Fric aurait personnellement réalisé la prestation d'intermédiation”. Olivier Fric arguait que ces sommes, provenant d’une fiduciaire baptisée Docteur Zoller, n’ont fait que transiter par Amlon ltd et ITFG Ltd, et étaient destinées à Vigici SA.

Dernière (petite) satisfaction : la justice a aussi ordonné à l’Etat de rembourser au couple ses frais de justice, à hauteur de 1.000 euros en première instance, et 1.500 euros en appel. Mais cela n'a pas satisfait Olivier Fric, qui s'est aussi pourvu devant le Conseil d'Etat, là encore en vain.

Pour mémoire, Areva avait racheté en 2007 une petite société minière, Uramin, pour 1,8 milliard d’euros, un prix qui s’avéra largement surévalué. Dans cette affaire, Anne Lauvergeon a été mise en examen pour “présentation et publication de comptes inexacts”, “diffusion d’informations trompeuses”, et “entrave” aux missions des commissaires aux comptes. Pour sa part, Olivier Fric a été mis en examen pour “délit d’initié” et “blanchiment” concernant l’achat d’actions Uramin juste avant l’annonce du rachat par Areva. En 2016, Olivier Fric avait assuré à Capital “n’avoir bénéficié en aucun cas d'une information privilégiée. Les cours des matières premières, et notamment de l'uranium, étaient alors florissants. Uramin, dont les actions flambaient à la Bourse de Toronto, était une société bien connue du marché”. La note de Tracfin de 2015 affirmait aussi qu’Olivier Fric serait “détenteur à titre personnel de comptes bancaires à l’étranger qu’il n’a déclaré à l’administration fiscale que depuis 2013”.

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Interrogé en novembre sur le redressement fiscal, l’avocat d’Olivier Fric, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, n’avait pas souhaité faire de commentaires.

NB: cet article est la mise à jour d'un article paru le 30 novembre 2011.