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L'œil des explorateurs avec Linda Bortoletto : «La vie est imprévisible»

Linda Bortoletto lors de son voyage au Tibet oriental en 2016, où elle a parcouru pendant plus de 3 mois 3500 kilomètres à vélo à plus de 4000 mètres d'altitude.
Linda Bortoletto lors de son voyage au Tibet oriental en 2016, où elle a parcouru pendant plus de 3 mois 3500 kilomètres à vélo à plus de 4000 mètres d'altitude. Photo presse

ENTRETIEN 4/7 - Épris de liberté, celle de penser comme de circuler, ces arpenteurs et témoins du monde profitent de la période actuelle pour imaginer l'exploration de demain. Des réflexions qu'ils partagent avec nous. Quatrième invitée de cette série, Linda Bortoletto, 38 ans, ex-officier de gendarmerie devenue écrivain et exploratrice.

LE FIGARO - Qu'est-ce qu'être explorateur aujourd'hui selon vous ? C'est défendre quelles valeurs ?
« C'est vivre une histoire d'amour avec l'Univers ! C'est se jeter contre lui, éprouver le désir d'en découvrir les replis, les mystères, se laisser guider par ce qu'il nous murmure. C'est admettre qu'il existe encore et toujours une part d'inconnu, avoir une curiosité à toute épreuve, et porter un regard émerveillé sur des terres méconnues, d'autres traditions, d'autres cultures, sur les mystères du visible et de l'invisible.
Enfin, c'est un aller et retour perpétuel entre soi et le monde, ce qui permet à l'exploration de devenir intérieure. En cela, l'exploration est sans fin. C'est défendre les véritables richesses de la vie : la beauté et la diversité.

Où et quand est survenu le déclic qui a lancé votre carrière d'exploratrice ?
Le déclic, je l'ai eu lors de la mort de mon père. C'était il y a 10 ans. J'avais 28 ans et j'étais engagée dans une carrière d'officier dans la gendarmerie. Ce jour-là, mes repères se sont effondrés et mes œillères sont tombées. Face à la mort, j'ai vu la vie telle qu'elle était : fragile. Le temps nous était compté, à tous. Notre devoir était de ne pas laisser filer nos rêves, de nous accrocher à nos désirs et de marcher sur nos propres chemins.
Je me suis alors ouverte à ce que j'étouffais depuis des années : mon désir d'ailleurs, d'aventure, d'inconnu. Un désir d'absolu. Un désir de vie. J'ai tout quitté. Et je me suis lancée. J'ai alors cessé ma carrière toute tracée d'officier pour vivre l'impossible et mener des expéditions qui me ressemblent : au-delà de toutes frontières.

Exploratrice, la nouvelle vie de Linda Bortoletto Pierre-Anthony Allard

Au Kamtchatka, j'ai vécu 6 mois avec des nomades éleveurs de rennes. Un voyage entre nature sauvage et chamanisme. En Alaska, j'ai parcouru 1200 kilomètres à bicyclette à l'aube de l'hiver. Au Zanskar, j'ai vécu un an avec des nonnes bouddhistes à 4500 mètres d'altitude, où je me forme à la méditation et au bouddhisme. Au Kirghizistan, j'ai alterné 800 kilomètres de course à pied et 800 kilomètres de vélo. Une aventure sportive à la rencontre des nomades.
Au Tibet oriental, j'ai parcouru pendant plus de 3 mois 3500 kilomètres à vélo à plus de 4000 mètres d'altitude, à la source du bouddhisme tibétain.
En France, un été j'ai couru 35 marathons en 2 mois pour transmettre un message : « osons ! » Enfin, plus récemment en Israël, j'ai traversé le pays pendant plus de 2 mois à pied sur plus de 1 000 kilomètres. Une quête spirituelle le long du « Chemin des Anges ».

Comme exploratrice, comment appréhendez-vous finalement le terrain, ses contraintes, les changements, et notamment les dangers ?
J'appréhende le terrain comme un livre que je m'apprête à ouvrir, avec son lot de surprises, de rebondissements, d'enseignements. Il faut prendre le temps de s'y plonger et en apprécier chaque instant, chaque relief, chaque nuance. Concernant les contraintes, les risques, inhérents à l'exploration, je m'y prépare en amont, mentalement et physiquement. Ceci étant, il y a toujours une part d'inconnu - et c'est précisément le charme de l'exploration - qui nécessite alors deux postures de la volonté : s'adapter et accepter.
Il est essentiel d'avoir conscience que quoi qu’il en soit, la vie est imprévisible. D'où l'importance de l'acceptation, de prendre de la hauteur en cas de problème pour analyser les choses avec un autre regard, plus posé, plus sage. Au fil des années, j'ai également aiguisé un merveilleux outil qui me guide face au grand inconnu : mon intuition. C'est essentiel de s'y fier, voire vital dans certaines situations.

En mode confiné et dégradé, quels sont vos conseils d'exploratrice pour bien et mieux vivre le changement ?
Bien entendu, plusieurs conseils me viennent en tête, comme organiser et planifier ses journées, afin de gérer au mieux vie professionnelle, vie scolaire, et vie personnelle dans un espace restreint. Maintenir le mouvement du corps, que ce soit par des séances de musculation, de cardio, de danse, ou de yoga, afin de se défouler, mais aussi de libérer son esprit des angoisses, du trop-plein d'informations, et d'éprouver du plaisir, de la joie, un élément essentiel pour continuer de vivre !
Mais mon meilleur conseil serait probablement de lâcher prise et d'accepter. Accepter l'incertitude, la contrainte, le risque. Accepter que cette épreuve porte un sens en elle-même et puisse ainsi devenir une opportunité, celle d'observer ses choix, sa vie, de se demander ce que peut-être nous souhaitons changer.
La méditation est ma meilleure alliée pour cela, la méditation sur le souffle, sur l'amour et la compassion, la méditation de pleine conscience. Elle permet de faire le vide en soi, d'accéder à davantage de calme, de clarté, et de libérer de l'espace intérieur. Or, puisque notre espace extérieur se rétrécit soudainement, n'est-il pas temps de se tourner vers notre espace intérieur ? C'est pour moi la plus belle des explorations.

Au Kamtchatka, elle a vécu 6 mois avec des nomades éleveurs de rennes. Un voyage entre nature sauvage et chamanisme. Photo presse

Dans cette période de repli, quels sont vos livres ou films de référence en lien avec le monde de l'aventure, que nous conseillez-vous pour nous évader ?
Côté livre, je vous conseille Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov. Ce récit envoûtant prend place sur une île au bout du bout du monde, l'île polaire de Kolgouev. C'est autant une aventure extérieure qu'intérieure, une réflexion pleine de poésie sur la liberté, sur le temps, l'espace, sur l'amour, sur l'humanité. Dans ce récit, le réel se mêle à l'imaginaire, au rêve. Une magnifique évasion qui m'a accompagnée lors de ma toute première aventure, au Kamchatka.

Côté film, c'est Sept ans au Tibet, de Jean-Jacques Annaud, une référence dans le registre de l'aventure. Tout d'abord, il y a la beauté des paysages, puisqu'il prend place au Tibet, au cœur de l'Himalaya. Ensuite, il y a l'histoire de cet alpiniste autrichien égocentré, qui peu à peu, au contact du jeune Dalaï-lama, va apprendre à ouvrir son cœur, son âme. Et enfin, ce film nous révèle le triste refrain de l'humanité : le désir de conquête, de contrôle, à travers l'invasion du Tibet par la Chine

À lire et à voir

Le chemin des anges – Ma traversée d'Israël à pied de Linda Bortoletto, éditions Payot, collection Voyageurs, 240 pages – 18 €.

Là où je continuerai d'être de Linda Bortoletto, Le Passeur éditeur, 286 pages, 9,75 €.

La conférence de Linda Bortoletto, « Beyond les aventuriers »

L'œil des explorateurs avec Linda Bortoletto : «La vie est imprévisible»

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