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Vins de Bordeaux : qui sont les nouveaux faiseurs de goûts ?

Jean-Christophe Marmara

Sur les deux rives du Bordelais, Thomas Duclos et Axel Marchal renouvellent le conseil en œnologie auprès des grands crus.

Pour parler de son métier d’œnologue-consultant, Thomas Duclos aime se comparer à «du poil à gratter». C’est-à-dire, celui «qui pose les questions», mais il est aussi celui qui «fait travailler les gens ensemble, qui fédère». D’ailleurs, il avoue un faible pour le terme «coach œnologique». Nous sommes loin des années d’après-guerre où l’œnologue était appelé à la rescousse pour résoudre des problèmes, palier à des soucis techniques, trouver des solutions pour des raisins pas mûrs dans les temps. «Il y a encore 25 ou 30 ans, certains pieds produisaient, d’autres ne produisaient pas ou débourraient à différentes périodes. Vous aviez une hétérogénéité de la vendange et pouviez être amené à pousser dans les maturités pour correspondre à ce qui était considéré comme un bon vin. Tout l’enjeu était d’avoir des raisins mûrs».

Faire mûrir les raisins n’est plus la question. Le réchauffement climatique est passé par là, comme la viticulture de précision. D’ailleurs, Thomas Duclos est trop jeune pour avoir connu cette époque. À 40 ans, associé au laboratoire Œnoteam, il exerce depuis quinze ans. Son travail n’a jamais consisté à jouer avec des maturations compliquées pour faire des vins «loyaux et marchands» comme il était demandé à l’ancienne génération. «Grâce au niveau de connaissance, aux façons de travailler, les vignobles sont tenus de manière millimétrée par des gens ultra-compétents. On est dans une autre dimension», explique celui qui considère le bagage technique du consultant comme un «postulat de départ». Mais en aucun cas une compétence suffisante. Style des vins, marketing, gestion des hommes, il intervient quasiment au jour le jour et à tous les niveaux dans les propriétés viticoles qui lui font confiance. Son job : «transmettre une émulation». Figure montante et très demandée, le Libournais d’origine veille sur de nombreux crus prestigieux, en particulier sur la rive droite (Canon, Troplong Mondot, Franc Mayne, Beau-Séjour Bécot mais aussi Château Giscours à Margaux) où il privilégie cette «vision viticole globale et transversale», ce positionnement en équipe. Le rôle de voix suprême, très peu pour lui. «C’est en réunissant tout le monde, maître chai, chef de culture, directeur technique et, propriétaire, si c’est une personne physique, qu’on est meilleur».

Anaka

Même génération, même vent en poupe, Axel Marchal se voit plutôt en «architecte». Quelqu’un «qui rend possible les projets d’un producteur en lui apportant une aide technique pour l’élaboration de ses vins au plus près de leur terroir» tout en évitant de sortir de «son champ de compétences». Communication ? Marketing ? Ni son rôle ni de son ressort. «Ça tournerait vite au café du commerce», conclut ce professeur des universités en œnologie à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV), tout aussi brillant chercheur que dégustateur et cavalier, d’où son appétit pour la «justesse».

Axel Marchal a d’abord suivi des études de biologie et de chimie à l’École normale supérieure à Paris avant de suivre par curiosité une formation en œnologie en quatrième année à l’ENS. La rencontre avec Denis Dubourdieu est déterminante. Il lui fait entrevoir que «la connaissance des phénomènes moléculaires impliqués dans l’élaboration des vins pouvait être associée à une vision esthétique et même y contribuer». Nous sommes en 2006. Le «pape du blanc» devient son mentor. Le normalien a trouvé auprès de lui la manière de concilier son «intérêt très vif pour la chimie et (sa) passion pour le vin». Axel Marchal s’inscrit dans son équipe de conseil depuis 2016. Mais aussi dans l’héritage d’Émile Peynaud (1912-2004), considéré comme le père de l’œnologie moderne. Vinification des rouges, fermentation alcoolique et malolactique, ses travaux ont profité aux domaines qu’il conseillait. De même pour Axel Marchal qui voit l’œnologie comme un «cercle» : observation empirique, recherche et interprétation, retour au conseil, application puis enseignement. Les «faits toujours étayés par une connaissance scientifique». Cela n’empêche pas l’émotion. «L’intérêt à maîtriser une technique est de permettre l’expression des sentiments» , disait Picasso, cité par Axel Marchal. Non qu’il se prenne pour un artiste,«quoiqu’on dise le vinificateur n’en est pas un». Mais, la dégustation est forcément une «activité sensible». Et, en ce sens, comme la musique, la poésie ou la peinture, elle évolue avec le temps. Tels les grands terroirs qui le fascinent pour leur «capacité à affirmer dans la durée une âme commune» tout en continuant à évoluer. Tout l’enjeu du métier d’œnologue consiste donc à «relier l’impression sensorielle éprouvée en buvant un verre de vin avec le lieu qui l’a vu naître, exprimer le reflet de leur origine, leur style,ans en écraser l’âme». Le tout en osmose avec les propriétaires. «Il faut déguster ensemble, voir si on a une approche commune. Si on ne fait pas les mêmes constats sur les vins, on ne peut pas travailler ensemble».

Michaël Boudot

Dans cette optique, il accompagne de nombreux vignobles sur la rive gauche, ceux de Philippe Castéja (Batailley, Trotte Vieille, Beau-Site, Lynch-Moussas, etc.), Taillan, Haut-Batailley, Yquem, Lafaurie-Peyraguey. D’autres sur la rive d’en face, Château Ferran, Château des Annereaux et L’Hêtre, de Fiona et Maxime Thienpont. Accompagnement «vertueux», c’est-à-dire sans se prêter à l’incarnation des propriétés tel qu’il était souvent demandé aux consultants stars. Ainsi Michel Rolland, auquel Thomas Duclos et Axel Marchal aimeraient qu’on érige une statue, tant il a fait pour Bordeaux. «Écuries», «signatures», ce temps est dépassé. Pour Thomas Duclot et Axel Marchal, la discrétion est de mise. «Faire du vin n’est en rien une performance, explique le premier. Il fut un temps où c’était la course à l’échalote pour du bois neuf, il fallait trier, pousser de plus en plus. Grâce à une ouverture sur d’autres régions, le “plus en plus”a cédé la place à l’esthétisme, l’équilibre. Le goût du vin est redevenu plus important que la façon de le faire. On revient à son essence. Le vin est d’abord une boisson désaltérante que l’on prend plaisir à boire».

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