La centrale nucléaire de Chooz, dans les Ardennes, le 10 mai 2017

La centrale nucléaire de Chooz, dans les Ardennes, le 10 mai 2017

afp.com/FRANCOIS LO PRESTI

Deux arrêts qui tombent au pire moment. Alors que l'approvisionnement électrique s'annonçait déjà tendu pour l'hiver, EDF a annoncé mercredi soir l'interruption volontaire des deux tranches nucléaires à Chooz. Une "mesure de précaution", s'est empressé d'expliquer l'électricien, alors que des défauts ont été détectés à proximité de soudures des tuyauteries du circuit d'injection de sécurité. Circuit qui permet de refroidir le réacteur en cas d'accident. A Civaux, EDF a également décidé de prolonger l'arrêt de deux réacteurs. Une décision que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), deux gendarmes du secteur, ont tout deux jugés satisfaisante.

Publicité

Conséquence immédiate, le cours de l'électricien s'est effondré jeudi à la Bourse, la cotation ayant été suspendue après une baisse de 16% environ. Sur les marchés de gros, le prix de l'électricité a au contraire explosé, les traders prenant évidemment acte du fait que la production nucléaire de ces 4 tranches sera finalement indisponible pour plusieurs semaines. Et ce, bien que EDF n'ait chiffré qu'une perte de 1TWh lié à ces arrêts - sur une production annuelle de 355 TWh environ. Pour ne rien arranger, l'IRSN a ajouté que des contrôles sur d'autres réacteurs nucléaires français "pourraient s'avérer nécessaires" pour s'assurer qu'ils "ne sont pas affectés par les mêmes défauts."

LIRE AUSSI : Xavier Piechaczyk (RTE) : "Arrêtons d'opposer les énergies renouvelables et le nucléaire"

RTE de son côté, va devoir ressortir la calculette. Il y a quelques semaines, le gestionnaire du réseau de transport de l'électricité soulignait la situation de "vigilance particulière" que lui inspirait le réseau électrique cet hiver. Aucun risque de black-out à l'entendre. Mais une vague de froid et des conditions défavorables sur le parc de production en janvier et février pouvaient mettre le réseau sous tension. Et plus précisément, en cas de "températures inférieures aux normales de saison de l'ordre de 4 à 6 °C", explique RTE. Avec ces 4 tranches nucléaires en moins, on peut s'imaginer sans peine que ses prévisions seront d'autant plus alarmistes.

Certains dispositifs dits "hors-marché" comme l'interruption temporaire de la consommation d'industriels ou encore l'appel à des gestes citoyens ne sont pas à exclure. En tout état de cause, l'arrêt de ces tranches relance le débat sur la disponibilité du parc nucléaire français. Sans compter les arrêts de Chooz et Civaux, près d'un tiers du parc nucléaire était à l'arrêt fin novembre. La ministre de l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, avait suggéré de "relever notre niveau d'exigence pour la disponibilité du parc", estimant que qu'il fallait "collectivement faire mieux".

Une disponibilité faible

Depuis le début de la décennie 2020, les arrêts de réacteurs liés aux visites décennales (nécessaires pour prolonger de dix ans la durée d'exploitation) sont très nombreux. Rien qu'en 2021, sept visites décennales étaient programmées, dont cinq sont toujours en cours. Sept autres se dérouleront en 2022. "En comparaison, le nombre moyen de visites décennales démarrant dans l'année était inférieur à cinq par an entre 2016 et 2019", explique le gestionnaire du réseau. Le Covid, qui a mis le bazar dans la programmation des maintenances d'EDF, lesquelles sont d'ordinaires programmées l'été pour avoir les réacteurs sous la main pendant l'hiver, n'arrange rien. Tout comme les arrêts fortuits et imprévisibles, à l'image de Chooz et Civaux. Résultat, EDF ne produira que 345 TWh à 365 TWh cette année, selon ses prévisions. En élargissant le spectre aux deux dernières décennies, cette baisse de disponibilité est tout sauf un cas isolé.

La baisse de disponibilité du parc nucléaire français

Le Kd, ou "coefficient de disponibilité", correspond au nombre d'heures pendant lesquelles le réacteur est disponible par an rapporté au nombre total d'heure dans une année. Le Ku, ou "coefficient d'utilisation", est l'énergie produite rapportée à l'énergie disponible.

© / EDF

Mais y a-t-il une spécificité française en la matière ? Les chiffres semblent l'accréditer. Le World Nuclear Industry Status Report ou encore la World Nuclear Association, qui compilent des données sur le facteur de disponibilité des différents pays nucléarisés, notent tous deux que la France est un des pays avec le plus faible niveau de performance dans le monde. Aux États-Unis, l'indicateur de disponiblité de l'énergie nucléaire s'affichait pour l'année 2020 à un niveau de 93,7% (contre 71,9% en France selon EDF). La moyenne mondiale, elle, tourne autour de 80% en 2020.

La production, qui plafonnait à 429 TWh selon EDF en 2005, s'est elle affaissée à 379 TWh en 2019. Derrière cette baisse qui semble abyssale, un élément structurel majeur est quand même à relever. "Nous avons une part prépondérante de nucléaire dans le mix électrique. Or lorsque la consommation d'électricité est faible, comme en été, on fait baisser la production du nucléaire. Les capacités ne sont pas utilisées à leur maximum, cela dégrade le facteur de charge", indique Julien Teddé, directeur général d'Opéra Energie.

Loin des standards mondiaux

Du coup, comment expliquer la baisse de disponibilité du parc nucléaire français. Après tout, EDF affichait un coefficient de 83,6% en 2005. Plus élevé que les standards mondiaux de l'époque. Ces derniers sont désormais très lointains. Entre les 429TWh produits cette année-là et les 350 environ qui seront produits cette année, c'est 80 TWh qui ont disparu de la circulation (un peu moins, si l'on enlève les 10TWh des deux réacteurs de Fessenheim).

"Vu les prix actuels de l'énergie, on aurait bien besoin de cette électricité bon marché", souligne un fournisseur alternatif. "Il y a un vrai sujet d'organisation des plannings de maintenance des réacteurs et des visites décennales chez EDF", tacle cette même source. Ce dernier prend pour exemple la fermeture pendant vingt-trois mois (quasiment deux ans) du réacteur de Flamanville 2, entre janvier 2019 et décembre 2020.

LIRE AUSSI : Energie nucléaire : des petits réacteurs à tout faire

"La critique d'EDF, c'est un exercice un peu sévère et facile", tranche Nicolas Goldberg de Colombus Consulting. L'expert rappelle notamment que depuis 2011 et dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, l'Autorité de sûreté nucléaire a elle aussi multiplié les contrôles pour aligner le parc nucléaire sur les nouveaux standards de sûreté. "La mise en place de ces normes prend. Cela joue sur le facteur de disponibilité. Mais c'est nécessaire vu les enjeux de sûreté. Personne ne s'en plaindra".

Un problème de performance ?

La construction du parc nucléaire, par grosse vague, implique également que les révisions décennales tombent simultanément ou presque. "Il y a des années où nous avons mis en service huit tranches nucléaires. Mécaniquement, elles arrivent toutes à leur visite décennale de 40 ans en même temps. Or un arrêt de ce type dure six mois en moyenne. Quand vous en avez un sur le parc, tout va bien, quand vous en avez huit, cela commence à se voir sur la disponibilité", note encore Nicolas Goldberg.

Pas responsable, EDF ? Pour l'expert, il y a quand même "un sujet d'anticipation" propre à l'électricien. "Il est vrai que la programmation des visites décennales a un peu tardé. On a l'impression que les choses sont faites souvent dans l'urgence, sans préparation". Avec un Etat actionnaire incapable de dresser une stratégie énergétique cohérente durant les 20 dernières années sur la fermeture (ou pas) des réacteurs nucléaires, EDF n'a cela dit pas été aidé. Alors que Jean-Bernard Lévy - PDG de l'électricien - la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili se rencontrent ce vendredi matin, nul doute que le sujet sera à l'ordre du jour.

Publicité