« Soit je fais une grosse plus-value et c’est top ! Soit je perds ma mise et je l’aurais un peu en travers de la gorge, mais il y a plus grave », confie Jérémy, gendarme de 35 ans qui a placé 7 500 € en bourse depuis septembre 2020. Selon une étude de l’Autorité des marchés financiers (AMF), il est l’un des 410 000 investisseurs parti à l’assaut de la Bourse pendant la crise du Covid.

Des nouveaux venus beaucoup plus jeunes

« Je les appelle les investisseurs Covid, explique Rayad Iroud, un passionné de finance qui gère un groupe Facebook de 4 000 personnes où sont distillés des conseils pour les débutants. Ce sont de jeunes épargnants, souvent la trentaine, qui n’avaient jamais investi. Ce sont souvent des cadres, mais plutôtcadres moyens. Ils sont éduqués, ils ont fait des études mais pas dans la finance. Ils comprennent bien le problème des faibles taux des outils d’épargne classique et voient les effets d’aubaine sur des actions de “bon père de famille” qui ont plongé avec le Covid. »

L’AMF avait déjà noté lors de la première vague que l’âge médian des investisseurs avait chuté d’une dizaine d’années. «Ils sont toujours là un an après », poursuit Rayad Iroud.

Investir utile alors que les taux sont bridés

« Il y a aussi un vrai aspect “adrénaline”,explique Fabrice Riva, professeur en finance à l’université Paris-Dauphine. Les stades sont fermés, beaucoup de personnes qui étaient actives sur les sites de paris sportifs ne le sont plus. Il faut ajouter à cela le fait qu’il n’a jamais été aussi facile d’investir en Bourse : beaucoup d’applications permettent une véritable “gamification” [assimilable à un jeu vidéo, NDLR] du processus. »

« Les gens sont aussi motivés par un désir d’investir de manière utile », complète Rayad Iroud. L’argument revient souvent dans les échanges avec les jeunes boursicoteurs interrogés. « Le fait que l’Europe souhaite verdir ses activités influence mes choix, confie Fabien François, un informaticien âgé de 30 ans. Je cible des entreprises innovantes, ce qui permet aussi de soutenir l’industrie française et européenne. J’investis dans la construction verte, les énergies renouvelables, la valorisation du plastique… »

« Le niveau d’éducation financière est assez bas »

Comme lui, les nouveaux investisseurs ne sont généralement pas des initiés. L’apprentissage se fait sur le tas. « Je n’avais aucune connaissance de la Bourse mais Google est mon ami », lâche Jérémy qui, comme beaucoup, est allé se former sur Internet. « C’est dommage que le système éducatif ne nous apprenne pas à maîtriser l’argent », regrette le gendarme.

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« Le niveau moyen d’éducation financière est assez bas, ce qui conduit à des opinions biaisées, met en garde le professeur Riva. Il ne faut pas croire qu’on ne peut pas perdre. Sur le long terme, les marchés, c’est un jeu à somme nulle : ce que gagnent les uns, les autres le perdent. Ce qui fait bouger les cours, ce sont les informations nouvelles. Le mouvement des cours est largement aléatoire. »

Sur son site, l’AMF « recommande la plus grande prudence : on ne devient pas trader en quelques heures, l’argent facile n’existe pas [...]. Évitez le Forex, le marché des devises non régulé. » La plupart de ces boursicoteurs en herbe s’orientent vers les actions, des outils financiers simples.

Ne pas se laisser griser

En tout état de cause, quelques règles élémentaires s’imposent. «Ne pas trop échanger, cela coûte de l’argent et ruine les performances. Ne pas engager de l’épargne dont on pourrait avoir besoin rapidement. Ne pas s’abuser soi-même : si on gagne, c’est qu’on a eu de la chance, pas qu’on est fondamentalement meilleur que les autres. Les petits porteurs sont face à des professionnels : en moyenne, ils vont perdre. Il faut se fixer des seuils et surtout un seuil de pertes. Essayer de diversifier : il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier», détaille Fabrice Riva. Et surtout rester vigilant : le risque de se laisser griser n’est jamais loin.