► « Les salariés ont envie de se retrouver »

Laurence Breton-Kueny, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), DRH du Groupe Afnor

Même si la vie sera évidemment différente de ce qu’on a pu connaître et qu’il y a beaucoup d’attente vis-à-vis du télétravail, la plupart des salariés ont envie de revenir dans leurs entreprises et de retrouver leurs collègues. L’évolution du protocole sanitaire, qui fera en sorte que la question du volontariat ne se posera plus, est donc une très bonne chose.

Mais nous savons qu’il faudra y aller progressivement. D’abord parce que les gens ont besoin de se réhabituer. Certaines entreprises ont totalement fermé leurs sites, d’autres non. Chez nous, certains salariés ne sont jamais revenus : nous avons hâte de les revoir.

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D’autres ont eu de grandes difficultés par rapport au télétravail. Cela a pu aller jusqu’au développement de troubles mentaux ou d’addictions. Car s’il y en a pour qui le travail dans l’entreprise est une souffrance, pour d’autres c’est le télétravail qui l’a été. Tous n’ont effet pas les mêmes moyens, les mêmes locaux, le même wi-fi… J’en connais qui ont dû travailler dans leur cuisine et pour qui cela a été très difficile ! D’une manière générale, j’appréhende d’ailleurs un nouveau développement des troubles musculosquelettiques.

Le retour dans les entreprises dépendra aussi de la situation sanitaire qui demeure encore fragile, même si nous ne sommes pas dans la même situation qu’il y a un an : nous avons les masques, nous savons mettre en place les gestes barrières. Il faut ajouter à cela le développement de la vaccination, y compris maintenant dans les entreprises.

Si la situation ne se dégrade pas, on peut donc envisager deux ou trois jours de travail en présence pour les salariés jusqu’à la rentrée. À partir de ce moment-là, se posera la question des accords d’entreprise sur le télétravail. Environ un millier ont été signés, même s’ils ne sont pas encore applicables à cause de la situation sanitaire.

Ensuite, si l’idéal est pour moi un à deux jours de télétravail par semaine, j’insiste pour qu’il s’agisse de jours mobiles et optionnels en fonction des activités, à la différence du temps partiel, par exemple. Le risque serait que certains salariés ne se croisent jamais ou qu’il ne soit plus possible de rassembler tout le monde. Or, il est important que les gens puissent se rencontrer, discuter de manière informelle même à la machine à café car cela permet de construire le collectif.

Le télétravail est certes important pour un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle mais il faut aussi veiller à ce que l’individu ne phagocyte pas le collectif. La crise nous a montré combien nous devions mieux accompagner individuellement les gens, mais il faut aussi veiller à travailler collectivement. Il y a là un travail à faire avec nos partenaires sociaux et nos managers.

► « Oui, mais ils vont avoir besoin de bienveillance »

Gérard Mardiné, secrétaire national CFE-CGC en charge de l’économie

Beaucoup d’entreprises souhaitent que leurs salariés reviennent travailler dans leurs locaux, même si une minorité, pour des raisons d’économie de surface, et donc de loyer, va rendre le télétravail en partie ou totalement obligatoire.

Les salariés sont aussi nombreux à souhaiter retourner au bureau, pour des questions d’équilibre psychologique ou pour retrouver du lien social. La peur d’être contaminé au travail s’estompe aussi, les salariés les plus fragiles ayant pour la plupart été vaccinés.

Alors, oui, ils reviendront, mais ils n’ont pas forcément envie de travailler de la même façon qu’avant ces périodes de confinement. Ils vont être en demande de bienveillance. Le télétravail a pour effet d’éloigner les salariés de la pression de leur hiérarchie. Il va falloir que les directions acceptent que les gens aient besoin d’un peu de temps pour se réacclimater à leur poste et que les équipes se remettent en ordre de marche.

De nombreux salariés vont avoir besoin d’une phase de réadaptation. Il serait à mon avis contreproductif de leur mettre la pression d’emblée, de leur demander de s’y remettre tout de suite à fond, avec des objectifs difficilement atteignables, au motif qu’il faut rattraper le temps perdu ou que l’entreprise est endettée… La progressivité, c’est la clé.

C’est vrai notamment pour le nombre de jours de présence au bureau. Dans la fonction publique, on va imposer au départ deux jours de présence, puis trois… C’est la bonne solution, le temps de retrouver un fonctionnement normal, hors contraintes sanitaires.

À partir de là, il faudra faire en sorte que l’accord national interprofessionnel sur le télétravail, signé fin 2020, prenne le relais et soit déployé dans les entreprises. Cet accord est peu prescriptif, car les organisations patronales ne le souhaitaient pas. Il laisse beaucoup de place au dialogue social de proximité.

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Il y a une attente assez large parmi les salariés, en particulier dans les grandes agglomérations, pour élargir le recours au télétravail. Dans beaucoup d’entreprises, il est pour le moment limité à un jour par semaine. On peut tout à fait imaginer passer à deux jours par semaine – notamment quand on a beaucoup de temps de transport – cela ne me paraît pas illogique, même si l’encadrement a une conscience aiguë que la présence sur site est indispensable pour favoriser la créativité et l’innovation.

Le nombre de jours de télétravail dans la semaine doit se négocier dans chaque entreprise, en fonction des circonstances. Même chose pour les frais engendrés par le télétravail. L’accord d’entreprise doit préciser quels sont les frais pris en charge pour pouvoir travailler de chez soi de manière satisfaisante, ce qui est important si on reste sur l’hypothèse qu’il va se généraliser.