Chronique

François Corneloup

Révolution

François Corneloup (bs), Sophia Domancich (p, kb), Simon Girard (tb), Joachim Florent (b), Vincent Tortiller (dms).

Label / Distribution : MCO

On ne tournera pas autour du pot – encore qu’un tel mouvement s’apparenterait bien à une révolution – au sujet de ce disque signé François Corneloup : le saxophoniste frappe fort avec une Révolution qui se présente comme l’un des événements de l’année jazz 2019. Élu, oui, forcément ! Mine de rien, voilà près d’un quart de siècle qu’il nous enchante, celui-là… Souvenirs des folies voyageuses d’Henri Texier (dont Mad Nomad(s), publié en 1995, fut un album repère qui reste d’une actualité brûlante) en passant par d’autres formations du contrebassiste (Strada, Hope), des ensembles sous tension où son lyrisme et sa puissance de jeu avaient eu tout loisir de s’épanouir. Bien d’autres expériences ont permis par ailleurs d’établir chez lui une cartographie musicale riche d’inspirations multiples, frappées au sceau de l’engagement, qu’il s’agisse de ses Jardins ouvriers au début des années 2000, de sa participation au Grand Lousadzak de Claude Tchamitchian ou de son travail à la croisée des chemins avec Ursus Minor. Corneloup est non seulement un musicien habité par son art mais il est de surcroît un humain conscient des vicissitudes du monde dans lequel il cherche à se frayer un chemin, en harmonie avec les valeurs qu’il défend.

Cela peut paraître un peu injuste, mais au vu d’un tel pedigree, on lui en aurait presque voulu de dégainer un album qui ne sorte pas du lot. Qu’il se rassure, l’enchantement opère et de belle manière. Avec sa triplette en forme de jeune garde impétueuse (Simon Girard au trombone, Joachim Florent à la basse électrique et Vincent Tortiller à la batterie), la complicité des claviers d’une musicienne elle-même riche d’aventures musicales telle que Sophia Domancich, François Corneloup a réussi à se transformer en alchimiste d’une matière première musicale aux confins du jazz avec ses élans improvisés, bien sûr, mais poussée par une force qui l’apparente parfois à un rock qu’on qualifiera de prospectif. Dans cet ensemble, deux générations, plutôt que s’affronter, unissent leurs forces pour s’élever. Le saxophoniste dit de ce disque qu’il est pour lui le reflet d’une révolution sur lui-même, au-delà des sens qu’expriment le mot (physique ou politique). Ce qui ne signifie pas revenir au point de départ, mais bien questionner le passé pour construire le présent. Et l’avenir, aussi.

Tout commence dans l’ivresse d’un appel solitaire du saxophone baryton, avec « Vertigo ». Il sera vite rejoint par tout le groupe qui déverse une énergie peu commune. Ils sont cinq et ne font qu’un. La paire Florent / Tortiller est un kaléidoscope sonore, la basse électrique du premier parvenant quelque temps plus tard à l’incandescence (« Fileuse », dédiée à l’amie Hélène Labarrière). On retient son souffle face à une telle affirmation collective, au milieu de laquelle deux ballades, « Strange Stuff » et « Un cœur simple », s’offrent comme des instants propices à l’introspection. Mention particulière à la seconde dont le motif répété finit par construire un hymne. À la vie, sans nul doute. Et que dire de François Corneloup lui-même qui n’ait déjà été souligné par le passé ? Son instrument est le vecteur d’un chant profond, dont la puissance d’évocation et le lyrisme émeuvent à chacune de ses prises de parole. Chez lui, un chorus est comme une tranche de vie, racontée avec autant d’autorité que de sérénité. Surtout, elle trouve dans les interactions avec les claviers de Sophia Domancich – la pianiste dessine à merveille des paysages oniriques et mystérieux – ou le trombone de Simon Girard le prétexte à de passionnantes échappées.

Seule reprise de Révolution se glissant parmi six compositions originales, « Tomorrow Never Knows » des Beatles clôt l’album en fanfare et ne figure sans doute pas là par hasard. Non seulement parce que les quatre de Liverpool avaient, en leur temps, esquissé leur « Revolution » mais parce qu’un tel titre – en forme de point d’interrogation sur notre avenir – traduit l’idée selon laquelle chaque jour est pour un musicien un nouveau départ, sans forcément que se dessinent les contours de demain. Elle réside donc bien là, cette Révolution de François Corneloup, dans sa volonté de ne pas vivre sur ses acquis, pourtant si riches. Le saxophoniste n’est pas un rentier de la musique mais au contraire un défricheur, dont le charisme lui permet d’embarquer avec lui la jeune génération. C’est là un voyage à ne manquer sous aucun prétexte.