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Francis Combes : "Nous demandons que le livre bénéficie d’un tarif préférentiel"

Francis Combes : "Nous demandons que le livre bénéficie d’un tarif préférentiel"

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Francis Combes, poète, président de l'association l'Autre Livre et éditeur qui a fait grandir la maison d'édition française Le Temps des Cerises, revient pour Marianne sur une bataille majeure mais encore trop méconnue dans le secteur du livre : la revendication collective, par les éditeurs indépendants, d'une tarification postale plus juste.

Marianne : Vous venez d'être réélu président de l'association l'Autre Livre qui regroupe quelques 200 éditeurs indépendants. Comment pouvez-vous et prévoyez-vous d'aider ou d'accompagner l'édition indépendante dans cette période contraignante ?

Francis Combes : On peut craindre que la situation actuelle pousse des éditeurs, à mettre la clef sous la porte. C’est une loi du capitalisme malheureusement toujours vérifiée que les crises sont l’occasion d’aggraver la concentration. L’édition française est déjà très concentrée puisque deux groupes multinationaux (liés à la grande industrie et à la finance) contrôlent plus de 50% du chiffre d’affaires de la profession. Mais l’une des particularités de notre pays c’est, qu’en amont d’un fort réseau de libraires (plus important que dans la plupart des pays d’Europe), existe encore un vrai vivier d’éditeurs. 2.000 éditeurs dont la majorité sont des indépendants, petits et moyens. L’édition indépendante (qui n’est quasiment jamais considérée en tant que telle dans les politiques publiques) joue un rôle important et précieux. La plupart de ceux qui se lancent dans l’aventure de créer une maison le font parce qu’ils sont passionnés ; ils le font donc avec passion, malgré tous les obstacles, et souvent avec beaucoup de talent.

Dans certains domaines de la création, leur rôle est essentiel. C’est évident en poésie, mais c’est vrai aussi pour d’autres genres littéraires, réputés peu commerciaux, dans le domaine des traductions, dans l’édition régionale, en histoire sociale, en philosophie, par exemple… Notre association, qui existe depuis maintenant dix-huit ans, s’est fixée dès l’origine l’objectif non seulement de défendre les éditeurs indépendants, mais aussi la place du livre dans la société et le pluralisme culturel. Quand le président de la République a annoncé son plan pour la culture, à côté de mesures évidemment nécessaires comme celles qui concernent les intermittents, nous avons noté l’absence voyante du livre. Alors que le même président, au tout début du confinement, avait invité les Français à en profiter pour lire ! Nous attendons donc, avec un peu d’impatience, le plan pour la filière livre dont on nous a dit qu’il était en préparation.

L'une des batailles méconnues dans le secteur du livre dont les enjeux sont pourtant majeurs, portée activement par les éditeurs des Hauts de France et fédérant un peu partout sur le territoire, concerne la tarification postale. Pouvez-vous nous expliquer la nature et les raisons de ce combat ? En quoi la réduction du coût d'expédition pour les éditeurs est-elle une mesure juste et justifiée ?

C’est une revendication que nous défendons depuis longtemps. Elle était déjà au centre des États généraux des éditeurs indépendants que nous avions organisés il y a douze ans. Nous avions d’ailleurs initiée une pétition qui avait réuni quelques 4.000 signatures. Aujourd’hui le mouvement reprend de plus belle et de nombreuses associations régionales en effet la portent. Nous en sommes évidemment partie prenante.

Nous demandons simplement que le livre bénéficie d’un tarif préférentiel, à l’instar de ce qui avait été décidé pour soutenir la presse après la Libération. Imaginez qu’aujourd’hui, quand un éditeur envoie, à un libraire ou à qui que ce soit, un livre dont le prix public est par exemple de 20 euros, si celui-ci à un dos de plus de 3 cm, il devra payer plus de six euros ! En comptant les 2 euros de droits d’auteur, les 6 ou 8 euros pour le libraire, les 3 à 5 euros pour l’imprimeur… vous voyez ce qui reste !

Alors que dans le même temps les grandes plateformes de vente directe bénéficient de frais de port de quelques centimes ! En avançant cette idée, nous ne défendons pas un intérêt « de boutique ». Tous les acteurs de la chaîne du livre, de l’auteur au lecteur, en passant par le libraire ont à y gagner. Et qu’on ne me dise pas que ce serait d’un coût terrible pour la Poste. Elle pourrait au contraire bénéficier d’une plus grande circulation des livres. D’ailleurs, dans d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Grèce, envoyer un livre par la Poste coûte beaucoup moins cher, souvent aux alentours de 2 euros !

Vous avez récemment plaidé cette cause auprès du gouvernement et du ministère de la culture. Votre revendication collective a-t-elle été entendue ? Qui sont vos amis et vos ennemis ici ? Quels sont les obstacles et les opportunités rencontrés au cours de cette mobilisation ?

Nous avons eu des contacts avec des membres des équipes ministérielles qui nous ont dit que le sujet était à l’étude et que la proposition paraissait sérieuse…

Chez les éditeurs le consensus est en train de se faire, comme le confirme la prise de position d’Antoine Gallimard.

Reste à savoir si les lobbies et les financiers n’auront pas le dernier mot. En tout cas, nous ne comptons pas en rester là. Par-delà cette revendication, nous pensons qu’il faut remettre le livre au cœur de la politique culturelle. Ce qui est en jeu, c’est la maîtrise partagée de la langue, les conditions d’exercice de la pensée critique, du pluralisme et de la liberté, mais aussi de la capacité à imaginer vraiment le « monde d’après », selon la formule en vogue aujourd’hui.

Comme poète, vous faites couramment usage du quotidien. Cette drôle de saison vous inspire-t-elle littérairement ?

Après être resté un petit moment un peu interdit, j’ai pas mal écrit. Comme des milliers d’auteurs professionnels ou amateurs, qui n’avaient plus que ça à faire. Je pense d’ailleurs que les éditeurs risquent de crouler sous une avalanche de manuscrits post-confinement ! Il faudra évidemment faire le tri…

J’ai aussi un nouveau recueil de poèmes, « Lettres d’amour poste restante » qui est sorti la veille du confinement chez l’éditeur Thierry Renard, à La Passe du vent, à Venissieux. (Vous allez dire que la Poste me hante !…)

Faute de pouvoir se rencontrer, de pouvoir s’embrasser, beaucoup de gens se sont échangés des milliers de poèmes sur les réseaux sociaux. Dans les circonstances que nous traversons la poésie s’est révélée pour beaucoup de femmes et d’hommes un recours d’une urgente nécessité. La raison ? C’est que depuis l’origine, depuis Orphée sans doute, la poésie est toujours une tentative de sauver symboliquement (par la parole) les chances de la vie, de l’amour, contre ce qu’Éluard nommait le « visage innommable de la mort ».

Cette période l’aura montré : pour la majorité, les impératifs de la vie, la vie bonne et pleinement vécue, les « jours heureux », selon la formule du Conseil national de la Résistance, devraient l’emporter sur ceux de la finance, qui se sont révélés meurtriers pour la santé de tous. Et la poésie a son mot à dire dans cette affaire… Elle peut contribuer à rallumer la flamme d’un espoir agissant.

Comment le lecteur et l'éditeur que vous êtes habite ou habille le confinement ? La (re)lecture vous aide-t-elle à tenir ? La poésie peut-elle être un secours, un recours ?

La maison d’édition que nous avions fondée, en 1993 avec un collectif d’une trentaine d’écrivains, dont Jorge Amado, Gilles Perrault, Pierre Bourgeade, le Temps des Cerises, s’est évidemment retrouvée en cale sèche… Du fait de la fermeture des librairies. L’année avait pourtant plutôt bien commencé, avec un livre de l’ex-président brésilien Lula, un essai inédit de Slavoj Zizek, « La révolution aux portes », ou des recueils de poèmes en projet d’Hikmet, Alberti, Seifert… Mais nous ne sommes pas restés l’arme au pied. Comme beaucoup de confrères, nous avons essayé d’en profiter pour faire vivre les livres sur les réseaux sociaux.

Et nous avons préparé notre redémarrage…

Personnellement, dans ce moment de loisirs forcé, ne pouvant pas me procurer de nouveaux livres, j’ai beaucoup relu. Les anciens poètes persans et chinois, des penseurs taoïstes et présocratiques, Brecht aussi. J’ai passé aussi du temps devant les écrans, comme beaucoup d’entre nous.

Notamment pour correspondre avec des amis poètes des « quatre coins du globe »… car en poésie, et dans la vie, le globe peut jouer « aux quatre coins »… Le monde est devenu étonnement proche… mais nous paraît pourtant toujours hors de portée. Si nous voulons non seulement « l’habiter », comme disait Hölderlin, mais refaire la maison, les papiers peints et un peu plus, on ne pourra pas se contenter de le vivre via écrans interposés. Il faudra passer à l’action. Avec de vraies idées… Et pour ça, nous aurons besoin de bons livres… et d’éditeurs actifs, bien vivants et debout !

Comment et quand avez-vous composé ces lettre d'amour a mi-chemin entre la prose et le poème qui paraissent "poste restante" ? Qui est le destinataire de ces lettres ?

Qui est la destinataire ? Voilà une question bien indiscrète… Mais pas de mystère. Je vis avec la journaliste Patricia Latour, avec qui je suis marié depuis 1974 et avec qui je partage un même parcours, humain, politique, littéraire… En même temps, c’est une lettre d’amour adressée à la Terre entière. L’amour n’est pas un accident de la vie, une « fatalité de bonheur » qui relèverait d’une sorte de prédestination. L’amour est une faculté heureusement largement partagée. Comme le dit Eluard dans un de ses derniers poèmes d’amour, parlant à la femme qui lui a redonné le goût de vivre « : « Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues ». L’amour est une propension humaine qui propage le goût de vivre. Que ce soit de grands amours ou des amours plus éphémères, c’est toujours une façon de faire de rencontres de hasard des rencontres qui marquent la vie.

C’est d’ailleurs à mon avis l’un des grands mensonges du commerce actuel de la solitude sur les sites de rencontre que de promettre aux gens qu’ils trouveront l’âme sœur s’ils tirent le bon lot, celui ou celle qui leur rassemble. Dans la vie réelle, on s’unit en vérité autant pour ses différences que pour ses ressemblances. Et on se fait l’un à l’autre, on s’apprivoise et, pour que l’amour dure, il faut tout simplement le cultiver. La poésie sert aussi à ça ! L’amour est un travail à temps complet !

Ce recueil réunit donc des poèmes d’amour écrits au fil des jours. Ils ont un côté journal de bord intime. Mais ils sont aussi publics en ce qu’ils poursuivent cette réflexion amoureuse. Je crois qu’à l’époque où nous vivons, avec le retour sous des oripeaux divers (et parfois apparemment opposés) d’une forme de puritanisme, les poètes ont du pain sur la planche pour réhabiliter la poésie amoureuse, le désir qui n’est pas en odeur de sainteté… Nous avons besoin d’une nouvelle poésie courtoise, évidemment plus égalitaire et plus libre que celle du temps des troubadours. Mais il y a là un legs précieux à continuer, le legs amoureux des poètes français. Dans cette période où on ne peut pas se toucher ni s’embrasser, oui, nous avons besoin comme jamais de poèmes d’amour. Ce sont toujours des poèmes de contrebande pour un monde meilleur.

Vient de paraître : Lettres d'amour, poste restante, La passe du vent, 10 €, Francis Combes.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne