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Céline Pina : les "biens essentiels" et le mépris des gouvernants
Céline Pina qui a la République dans le sang signe là une réflexion tout aussi critique que philosophique.
© Daniel Pier / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Céline Pina : les "biens essentiels" et le mépris des gouvernants

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Dans son dernier essai, « Les biens essentiels » (Bouquins), l'essayiste Céline Pina analyse ce que révèle le mépris affiché par le gouvernement pour ce qu'ils ont qualifié de « biens non-essentiels », à commencer par la culture.

Des librairies fermées. Des rayons de livres bâchés de rubans blancs et rouges comme s’il s’agissait de scènes de crime. En novembre dernier, le livre est classé dans la catégorie des « produits non essentiels » par le gouvernement. Une décision perçue comme absurde et révoltante dans un pays qui a inventé l’art du roman avec La princesse de Clèves, et où le chef de l’État avait, lui-même, incité les Français à lire, « à retrouver ce sens de l’essentiel », dans son discours annonçant le premier confinement en mars 2020. Classer non essentiel un bien défini par le président lui-même comme essentiel. De cette criante contradiction, Céline Pina dévoile toute la logique dans son deuxième essai intitulé sobrement Les biens essentiels.

Un titre court, sec, droit et qui tonne à l’image de son auteur réputé pour ne pas mâcher ses mots contre les dangers de l’islamisme politique, du séparatisme communautaire ou encore des lâches compromissions de certains élus. Celle qui a la République dans le sang signe là une réflexion tout aussi critique que philosophique.

Mépris politique

Son propos n’est pas tant de se draper dans les oripeaux d’une Marianne indignée pour dénoncer les restrictions de liberté imposées par une dictature sanitaire. Ce qui intéresse Céline Pina, c’est de réinstaurer du sens là où il a été évincé afin de mieux révéler la vision anthropologique de l’élite technocrate qui nous gouverne.

Pour l’essayiste, la confusion langagière entre le « primaire » et « l’essentiel », relève non pas d’une maladresse issue du jargon administratif inhérent à notre « Absurdistan » de pays, comme a tenté de nous faire croire pour se dédouaner le service après-couac du gouvernement mais bien du mépris que le pouvoir politique a pour son propre peuple. La fermeture administrative des librairies est le symptôme d’un pouvoir qui « ne se représente plus les citoyens comme des acteurs politiques, mais comme un troupeau à gérer », à tenir en « bride » pour reprendre une expression si chère au Premier ministre !

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Camus. Céline Pina complète la sentence camusienne en précisant que cela ajoute à son ensauvagement. Confondre les besoins primaires d’ordre biologique et les biens essentiels d’ordre culturel et civilisationnel, revient à réduire l’homme à sa seule part d’animalité. « L’homme qui ne se soucie que de ses besoins primaires est renvoyé aux modes d’organisation les plus archaïques, la horde primitive », analyse Céline Pina.

Homme sans culture

Pour étayer son propos, elle fait appel à la fois aux fictions dystopiques et à la réflexion arendtienne sur la nature humaine. Les références au célèbre essai de la philosophe, La condition de l’homme moderne, lui permettent ainsi de rappeler que l’homme est plus qu’un homo faber et un animallaborens. Il est un individu qui se singularise par son action et sa parole et qui ne peut exister pleinement comme humain qu’en rentrant en relation avec les autres. C’est de ces liens tissés que naissent un espace politique, une culture et une civilisation communs.

Dans les scenarii catastrophe de fin du monde, l’envahisseur (aliens, zombie, virus) remarque Céline Pina, vise, d’abord et avant tout, à détruire ces lieux de pouvoir et de culture afin de mieux isoler les individus, de les dépouiller de leur humanité et de les réduire à l’état de bête à traquer. « L’homme chassé de la culture est un être en sursis voué à disparaître. » Dans ce cri d’alerte, résonne toute l’inquiétude de l’auteur.

Les fans de Walking Dead apprécieront sa digression sur la série culte qui lui permet de renforcer son propos : la survie est incapable de recréer un peuple. Ainsi, devant l’avancée mécanique de ces « marcheurs de la mort », devant la menace zombie, les survivants sont condamnés à fuir sans rien pouvoir construire de pérenne. Entre les lignes, on voit poindre le parallélisme entre la menace zombie et celle de la pandémie du coronavirus.

Effondrement sous-jacent

Survivre n’est pas vivre, et vivre ne se réduit pas à se nourrir, dormir, se laver et travailler martèle Céline Pina. L’essentiel est ailleurs. Il est dans les structures politiques et culturelles qui fondent le socle de notre monde commun : « l’hôpital, l’école, la culture mais aussi l’idée d’égalité, de liberté de conscience, la capacité de créer. » Ce sont eux les « biens essentiels de la démocratie » qui font de nous un peuple car ils nous permettent d’agir dans la sphère politique rappelle Céline Pina.

Pour l’essayiste, la crise sanitaire n’a pas eu à détruire ces biens essentiels, elle n’a fait que révéler leur effondrement sous-jacent : un hôpital public exsangue, dépecé par une orthodoxie budgétaire mal pilotée, une liberté de pensée soumise à la censure du militantisme des identités victimaires… Le virus nous tend, ainsi, le miroir où se reflète « le dépérissement de cette société unie par des principes et des idéaux communs. »

Trahison des élites

Céline Pina tempête avec raison contre ce « délitement », pour reprendre un terme jugé par certains comme la manifestation d’une volonté putschiste. Elle dénonce la trahison de cette caste de « gestionnaires de l’entreprise France » qui ne cesse de réduire la pluralité de citoyens à une masse informe de sondés à interroger, d’électeurs à embrouiller, de malades à vacciner, de contaminés à comptabiliser, de consommateurs à rassurer.

C’est cette condescendance qui est responsable de la défiance grandissante du pays vis-à-vis des élites gronde l’essayiste. Si Céline Pina était une héroïne de tragédie grecque, elle serait assurément Cassandre. Mais comme les mauvais augures qui bouleversent finalement le cours de l’Histoire, sa chronique d’un effondrement programmé est loin d’être une vue de l’esprit.

* Céline Pina, Ces biens essentiels, Robert Laffont, 198 p., 18 euros

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne