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TRIBUNE

L’art n’est pas un bonus

De Jacques Audiard à Cédric Klapisch, près de 300 personnalités du cinéma et de la culture, enseignants et parents d’élèves dénoncent la politique budgétaire restrictive qui risque de faire disparaître les enseignements optionnels artistiques.
par Un collectif de personnalités du cinéma et de la culture, de parents d'élèves et d'enseignants
publié le 15 février 2021 à 12h35

«Entrer dans l’option Cinéma a été la meilleure décision de ma vie.

– Cela m’a permis d’avoir une meilleure compréhension du monde. Car les films font avancer le spectateur.»

Ecoutons les lycéens. Ils disent la richesse de l’enseignement du cinéma. Richesse car ils y apprennent à analyser des films de tous horizons. Richesse car ils y expérimentent le travail de groupe. L’enseignement du cinéma, comme le cinéma lui-même, est un travail d’équipes. Equipes de lycéens qui vivent au plus près l’acte de création. Equipes d’adultes qui les accompagnent dans cette découverte d’eux-mêmes et du monde : enseignants, intervenants professionnels, organisateurs de festivals, gérants de salles, réalisateurs et autres acteurs de l’art et de l’industrie cinématographiques. Richesse car cette forme d’apprentissage, démultipliant les lieux et les référents adultes, permet à des adolescents, adultes et citoyens en devenir, de se confronter à des idées multiples et originales, d’apprendre à se questionner, à forger leur regard sur le monde.

Des discours en trompe-l’œil

Or, face à ces enthousiasmes, l’institution et le pouvoir politique proposent actuellement une réponse mortifère. Les discours sur la réforme du lycée s’articulent autour d’un surcroît de liberté. Pour les élèves par le choix des spécialités, notamment artistiques. Pour les équipes pédagogiques par la possibilité de déterminer elles-mêmes l’utilisation d’une partie de leurs moyens horaires. Ces discours sont un trompe-l’œil.

La réalité est celle d’une politique budgétaire restrictive, qui grève l’offre pédagogique existante. Et les enseignements artistiques sont en première ligne. Les enseignements optionnels artistiques sont en train de disparaître : le nouveau baccalauréat les marginalise et ils sont les premières victimes de la diminution des heures allouées aux établissements. Or, ils accueillent un grand nombre d’élèves, et surtout s’adressent autant aux élèves de l’enseignement général qu’à ceux de l’enseignement technique, pour lesquels ils représentent le seul accès à l’art et à la culture.

L’existence des spécialités ne peut compenser cette perte, d’autant que l’obligation de ne garder, en terminale, que deux des trois spécialités de première et la pression de Parcoursup les fragilisent face à des matières plus traditionnelles, et donc rassurantes.

L’enseignement du cinéma crée des esprits libres

Ce choix de société nous paraît profondément injuste et totalement incompatible avec la mission républicaine de l’Education Nationale. L’art n’est pas un «bonus» : on ne peut en restreindre l’accès sans dommage. La crise sanitaire que nous traversons le montre à l’envi. Plus que jamais, nous nous tournons vers les œuvres, nous cherchons des moyens de continuer à les faire vivre. La culture est aussi un secteur économique qui irrigue toute la société, par les professionnels qu’elle emploie et par l’esprit critique, le rêve qu’elle propose à tous. L’enseignement artistique participe de cette fonction sociale et politique.

Les lycéens en cinéma vont dans les salles, y entraînent leurs amis, leurs familles. Ils en renouvellent le public. Ils expérimentent très tôt ce que chaque spectateur de cinéma a un jour ressenti dans une salle : une communion collective à travers des émotions partagées qui amènent à la réflexion.

L’enseignement du cinéma crée des spectateurs, des esprits libres et ouverts sur le monde.

Ecoutons les lycéens. «Plongée dans un bain que je ne connaissais pas, j’ai avancé les yeux fermés jusqu’à une salle de cinéma: la lumière qui s’éteint, et mes yeux qui s’ouvrent…»

Premiers signataires de la tribune initiée par les enseignantes du lycée Sophie-Germain à Paris: Ariane Ascaride, Jacques Audiard, Thomas Bidegain, Louise Bourgoin, Guillaume Brac, Laurent Cantet, Catherine Corsini, Jean-Pierre Darroussin, Anaïs Demoustier, Pascale Ferran, Robert Guédiguian, Cédric Klapisch, Sébastien Lifshitz, Pierre Salvadori… La liste complète des signataires.


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