Il s’est passé, le 16 janvier 2006 en Australie, quelque chose de pas ordinaire. Le premier ministre, au début d’un second mandat, qui cinq ans plus tôt avait conduit à la victoire le Parti travailliste, présentait sa démission. À 51 ans, Geoff Gallop annonçait à la presse en ébullition que sa santé ne lui permettait plus d’exercer ses fonctions, que ses fonctions ne lui permettaient pas de se soigner correctement, et qu’il se retirait donc de la vie politique.

Cancer ? Infarctus ? Ce brillant économiste dans la force de l’âge avait tout pour lui. Jeune homme, au cours de ses études supérieures dans la célèbre université d’Oxford, en Angleterre, c’est comme par hasard avec Tony Blair qu’il s’était lié d’amitié, l’un devenant témoin au mariage de l’autre, l’autre parrain du premier enfant de l’un… Et pendant ces cinq années à la tête du gouvernement, Tony Blair étant lui-même au 10 Downing Street, que n’eurent-ils à partager, ces deux potes, chacun dirigeant son propre pays !

Geoff Gallop, aujourd’hui, a retrouvé l’université, à Sydney, où il enseigne. Pourtant, comme les autres orateurs à la tribune du premier Meeting for Minds (littéralement : rencontre pour les esprits) qui s’est tenu cette semaine aux alentours de Perth, il n’est pas venu enseigner mais contribuer. Contribuer à faire connaître la maladie qu’il a dû combattre et combat peut-être encore, la dépression nerveuse.

Contribuer plutôt que professer, voilà l’esprit de cette rencontre, qui a réuni des praticiens éminents, d’Australie et d’ailleurs, des malades et les proches qui les entourent, dont la vie aussi est bouleversée. Tous ont eu l’humilité d’un constat commun : s’agissant de maladie mentale, peu de progrès ont été accomplis et le sujet n’est pas une priorité pour la recherche médicale. Faute de nouvelle molécule efficace, on pourrait imaginer un progrès dans la prise en charge, mais là non plus il ne se passe pas grand-chose. On a beau rebaptiser certains troubles graves du comportement – par exemple les cyclothymiques d’avant-hier furent les maniaco-dépressifs d’hier avant de devenir les bipolaires d’aujourd’hui – mais le drame est immuable : vie professionnelle chaotique, vie sociale difficile, vie amicale appauvrie, vie familiale soumise à rude épreuve, et la mauvaise santé mentale qui se répercute sur la santé physique. Certains médicaments font grossir, d’autres attaquent les reins, sans parler du manque de soins de façon générale.

Les praticiens de la vie courante ne sont pas habitués à prendre en charge, pour des choses banales comme des vaccinations, des troubles intestinaux, une maladie de peau, des caries dentaires ou la rééducation d’une entorse, des personnes qui redoutent qu’on les touche, réagissent vivement à la douleur, sont parfois confuses dans leurs explications et sont, en un mot, dépassées par l’angoisse et la fatigue. Car il n’y a pas que les médicaments qui les abrutissent. Leur lutte permanente pour contenir leur angoisse, faire bonne figure, masquer leurs troubles, les épuise aussi. Peu soignées, de fait, leur espérance de vie est bien plus courte que la moyenne.

Il est typique de notre époque et porteur d’espoir que Meeting for Minds trouve son origine dans une initiative individuelle inattendue. Une Française, Maria Halphen, a priori pas concernée, retrouvant lors d’un séjour en Australie, après des années sans nouvelles, une camarade de jeunesse, a été bouleversée de l’entendre raconter combien sa vie avait été limitée par une maladie mentale. Partant de là, au fil des mois, dans ce lointain continent où l’écoute était réceptive, Maria a convaincu spécialistes, malades et entourages de se réunir pour échanger. Fini, le temps de l’autorité, fini de faire croire qu’on sait quand on ne sait pas, fini le malade soumis et l’entourage méprisé. Voici venu le temps du partage, de l’échange, entre ceux qui subissent, ceux qui entourent, ceux qui soignent et ceux qui cherchent.

Geoff Gallop n’a jamais cessé de militer pour une prise en considération nouvelle de la maladie mentale. Il a mis sa notoriété au service de cette cause délaissée, à laquelle Meeting for Minds donne un élan neuf. Parent, frère, sœur, enfant d’un malade mental ou malade mental nous-même, nous avons beaucoup à attendre du courant qui prend forme. C’est pourquoi, avec les moyens qui sont les miens, je tenais à m’en faire le relais.