"Stop the count" : le vote par correspondance, catalyseur de fausses informations

Publié le 5 novembre 2020 à 19h09, mis à jour le 6 novembre 2020 à 9h49

Source : TF1 Info

FAKE NEWS - Avec des millions d'Américains ayant voté par correspondance en pleine pandémie, les bureaux de vote sont submergés par les scrutins. Si bien qu'ils ont continué à dépouiller dans la nuit de mardi à mercredi, provoquant la colère de Donald Trump et de ses partisans qui crient à la "fraude" électorale.

Une course au coude-à-coude, un décompte qui s'éternise, et une présidentielle où chaque voix veut se faire entendre. Tous les éléments étaient réunis pour faire de cette journée d'élection américaine un terreau fertile à la désinformation. En ce matin du mercredi 4 novembre aux Etats-Unis - soit l'après-midi en France - de nombreux internautes se sont réveillés surpris par la "remontada" du candidat démocrate Joe Biden. Une soudaine progression qui s'explique par le nombre de votes réalisés par correspondance, sujet particulièrement explosif durant cette élection.

Donald Trump a en effet passé une bonne partie de sa campagne électorale à s'opposer fermement à ce dispositif qui allait favoriser "une triche effrénée et incontrôlée". Alors, quand il a vu que dans plusieurs Etats, ces votes commençaient à lui porter préjudice, il s'est emparé de son téléphone pour s'insurger contre cette élection "mauvaise pour le pays" sous prétexte qu'on retrouvait "des votes Biden partout -  en Pennsylvanie, au Wisconsin et au Michigan". Ce jeudi encore, il a écrit en lettres majuscules sur Twitter : "Arrêtez de compter!

VIDÉO LCI PLAY - Trump VS Biden, le grand micmac : pourquoi ça bloque ?Source : Sujet TF1 Info

Non, des votes ne sont pas arrivés "comme pas magie"

En fait, si dans ces États, on continue à compter les bulletins de vote, c'est pour deux raisons. D'une part, car ce dispositif a été plébiscité par les Américains en raison de la crise sanitaire. De l'autre, car ces trois États n'avaient pas le droit de commencer le dépouillement avant le jour du scrutin. Ils ont donc été débordés par le déluge de courriers à prendre en compte. Une anomalie qui est désormais au cœur de tous les fantasmes. Si bien que le moindre écart est perçu comme une fraude. Certains internautes se sont ainsi étonnés de prétendus bulletins pro-Biden trouvés "comme par magie" dans le Michigan dans la nuit de mardi à mercredi. Une accusation qui s'appuie sur un tweet, désormais supprimé, largement diffusé, notamment par Donald Trump.

Les captures d'écran montrent en effet un tableau de Decision Desk HQ, un institut privé d'analyse électorale.  Alors que les résultats affluaient du Michigan au petit matin, 128.000 votes se sont ajoutés. Tous en faveur de Joe Biden. Une unanimité impossible en démocratie. En réalité il s'agit effectivement d'une erreur lors de l'entrée des données. Selon le porte-parole de cette entreprise, celle-ci n'a duré que quelques instants. L'erreur, puis sa correction, sont en effet parfaitement visibles dans les tweets de cet institut de sondage. Dans une première publication à 5h04, le service comptabilise 2.130.695 voix pour Biden avant de les réduire à 5h43. Le candidat démocrate n'est alors crédité que de 2.019.899 voix contre 2.217.540 pour Donald Trump.

Dans un tweet, désormais supprimé, un internaute s'étonne que Joe Biden ait reçu 128 voix en sa faveur, le 4 novembre 2020
Dans un tweet, désormais supprimé, un internaute s'étonne que Joe Biden ait reçu 128 voix en sa faveur, le 4 novembre 2020 - Capture d'écran / TWITTER

Idem dans le Wisconsin, où près de de cinq fois plus de bulletins de vote par correspondance ont été exprimés par rapport au scrutin de 2016. Une affluence qui a compliqué l'acheminement des votes et retardé le dépouillement. Alors que le processus électoral était toujours en cours, plusieurs internautes ont affirmé que l'État "avait trouvé" des votes pour favoriser Joe Biden. Un graphique, devenu viral, illustre la remontée subite du candidat démocrate. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'une erreur de frappe mais d'une incompréhension du système électoral américain. 

Celui qui l'explique le mieux, c'est le média américain qui a produit les graphiques utilisés par ce militant, à savoir fivethirtyeight. Ce mercredi matin, le site spécialisé dans "le journalisme de données" a ainsi noté que cette remontée improbable "est arrivée lorsque 170.000 votes par correspondance de la ville de Milwaukee ont afflué en même temps".  Ce comté, le plus peuplé du Wisconsin, a en effet huit de ces 19 municipalités qui ont décidé de centraliser les bulletins de vote par correspondance dans un même lieu avant de les publier. Ce n'est donc que le lendemain matin que le greffier a pu mettre à jour les chiffres. C'est alors que, comme l'a noté un titre local,Joe Biden a dépassé Donald Trump. 

Nous ne trouvons pas de bulletins de vote, les bulletins de vote sont comptés
Julietta Henry, directrice des élections pour le comté de Milwaukee

Rien d'étonnant, donc, à ce que de nouveaux votes "apparaissent". Au contraire. Dès le 2 novembre, veille du scrutin, les responsables électoraux du Wisconsin avaient d'ailleurs alerté le public sur cette éventualité. Déjà à l'époque, ceux-ci prévenaient que cela "ne voudra pas dire que quelque chose s'est mal passé, ça signifiera que les responsables électoraux font leur travail".

Le vote par correspondance a aussi défavorisé Biden

Mais malgré tous ces arguments, Donald Trump persiste et signe. Pour lui, il se passe quelque chose "d'étrange". Il observe qu'alors qu'il était donné "vainqueur dans de nombreux États clés", son avance a "disparu comme par magie alors que les bulletins de vote apparus par surprise étaient comptés". Il est vrai que si le candidat à sa succession avait pris de l'avance dans certains États, elle s'est comblée, voire elle s'est évaporée à mesure que la nuit avançait. C'est le cas dans le Wisconsin et le Michigan, cités ci-dessus. Mais l'inverse est tout aussi notable. C'est ce qu'a remarqué le New York Times, qui a suivi le dépouillement toute la nuit. Et en a conclu qu'au moins trois États s'étaient colorés de bleu en début de soirée avant de passer du côté rouge : la Géorgie, le Kentucky et la Caroline du Sud. L'Arizona a même changé trois fois de couleurs. 

Si les tendances ont évolué dans les deux sens, seul un camp trouve à en redire. Et appelle à "cesser" de compter les voix. Une situation ubuesque mais qui pouvait être anticipée. A l'image du sénateur Bernie Sanders. Dans une interview devenue virale, il s'inquiétait le 23 octobre dernier que "le soir des élections, Donald Trump soit donné gagnant et passe à la télévision pour crier sa victoire". Mais qu'une fois les votes par correspondance pris en compte, "il s'avère que c'est Joe Biden qui s'impose dans plusieurs Etats". Pour lui, "la confusion sera forte dans des États comme la Pennsylvanie, le Michigan, le Wisconsin".  Au cours de cette "prédiction", l'ancien candidat à la primaire démocrate s'inquiétait que le candidat républicain déclare alors : "Vous voyez ? Je vous avais dit que tout était frauduleux, que ces votes par correspondance étaient malhonnêtes. Nous ne céderons pas la présidence !" Si sa première prophétie s'est réalisée, reste à voir ce qu'il en sera de la seconde. 

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Felicia SIDERIS

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