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Déconfinement : comment renouer avec les autres

Famille, amis, copains, collègues : après de nombreux mois de distanciation, de masques, de confinement, de couvre-feu et de télétravail, il va bien falloir se retrouver - enfin - pour de « vrai ». Pas si simple, pourtant. Quelques pistes de réflexion.

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(© Amélie Fontaine pour «Les Echos Week-End»)

Par Jean-Michel de Alberti

Publié le 19 mai 2021 à 10:00Mis à jour le 21 mai 2021 à 08:59

Enfin, boire à nouveau une pinte ensemble ! Le vendredi 23 avril dernier, après de longs mois, Andrew Pero, qui travaille pour un tour-opérateur anglais, retrouvait ses collègues dans un pub du quartier de Mayfair, à Londres. « Un an sans contact avec eux autrement que via un ordinateur… Forcément, ce n'est pas aussi spontané qu'avant, y compris pour l'organisation car il faut obligatoirement réserver une table, mais se revoir était essentiel. Notamment pour ceux qui vivent seuls, ce qui est fréquent dans une ville comme Londres. Nous sommes au travail comme une grande famille et cette tradition très british d'aller tous ensemble au pub nous a beaucoup manqué. Spontanément, nous avons décidé de nous revoir plus souvent, y compris pour d'autres activités que le partage d'une bière ! »

Retrouvailles en cuisine

Toujours à Mayfair, la cheffe multi-étoilée Hélène Darroze est partie début mai à la rencontre de ses équipes londoniennes pour la première fois depuis des mois. « Nous n'avons pas pu fêter la troisième étoile Michelin avec les employés de mon restaurant à Londres. Les liens d'une brigade sont tellement importants pour nos métiers ! Nous avons rouvert le 18 mai au 'Connaught' et nous sommes déjà complets pour les prochaines semaines. C'est très encourageant pour les métiers de la restauration, nous avons tous besoin de nous retrouver autour d'une table », témoigne la restauratrice.

La chaleur du groupe

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A Tel Aviv, Jonathan Cos, lui, a repris depuis début avril le chemin de son club d'échecs. Il n'avait pas joué face à un adversaire depuis des mois. « Je revis, c'est important de cultiver ses hobbies, voire d'envisager d'en pratiquer de nouveaux. L'échiquier de mon ordinateur n'a jamais remplacé la chaleur des échanges au sein de mon association de quartier. Chess.com m'a distrait un temps mais j'ai vécu ma passion des échecs sans affect, sans risque, sans altérité… J'ai décidé aussi de m'inscrire à d'autres activités en groupe : randonnées, visites culturelles, atelier de peinture. Je ressens un profond besoin de changer le train-train de mes habitudes de la vie d'avant. »

Avec cette pandémie nous avons perdu ce que l'on appelle les liens faibles : nos connaissances en dehors de la famille et des amis très proches

Le Royaume-Uni et Israël, deux pays où les activités sociales sont à nouveau possibles depuis avril, tandis que la France commence à peine à retrouver ses terrasses, ses cinémas, ses musées et ses théâtres. « Il est difficile de se rendre compte de l'ampleur de la déconnexion aux autres. On peut cependant constater qu'avec cette pandémie nous avons perdu ce que l'on appelle les liens faibles : nos connaissances en dehors de la famille et des amis très proches. Nous nous sommes éloignés des copains, il n'y a plus de rencontres fortuites dans un dîner, une fête, un concert, et c'est pourtant ce qui fait le sel de la vie », explique Anne Vincent-Buffault, auteure de l'« Histoire sensible du toucher » (éditions L'Harmattan).

Faire preuve de tact

Comment, alors, reprendre une vie sociale riche de la diversité des rencontres, du hasard ? « Sans le toucher, sans les embrassades, les canaux traditionnels de communication sont brouillés. Nous sommes tous un peu gauches face aux retrouvailles physiques. Que fait-on ? Quelle distance ? Il nous faudra faire preuve de beaucoup de tact dans nos relations humaines, nous sommes tous un peu à fleur de peau. Retrouver le sens de la mesure, des nuances avec les autres, c'est comme cela que l'on y arrivera. Après des mois de crise sanitaire, il a pu s'installer une certaine indifférence aux autres due notamment à l'éloignement physique. Il faut retrouver l'empathie », ajoute l'historienne et chercheuse.

© Amélie Fontaine pour «Les Echos Week-End»

Miser sur la confiance

Selon l'enquête menée depuis un an par Santé Publique France, mi-mars 2021, un Français sur cinq souffrait d'un état dépressif ou d'un état anxieux, tandis que 65 % déclaraient subir des problèmes de sommeil. Dans les facteurs pris en compte par l'étude, outre les colères et les peurs, le sentiment de solitude est associé à ces indicateurs de santé mentale dégradée. L'application Zoom et d'autres outils de communication ont certes permis de garder le lien avec ses proches et ont été au coeur du fonctionnement de nombreuses entreprises.

Mais Mark Hunyadi, professeur de philosophie à l'Université catholique de Louvain, membre du comité d'éthique de l'opérateur Orange et auteur de l'ouvrage « Au début est la confiance » (éditions Le Bord de l'Eau), met en garde : « Le tout numérique et le diktat des applications peuvent nous mener à une vie de robots. Nous sommes dans ce que j'appelle un individualisme du cockpit, comme un pilote qui se nourrit d'informations, de données venant uniquement d'écrans. Le confinement a accéléré ce processus en altérant les relations de confiance. Il est temps de sortir de notre bulle, de se ressaisir, de retrouver cette confiance qui nous lie au monde. La confiance est le premier des liens sociaux, c'est un risque et non un calcul ou un algorithme. »

Des élans contradictoires

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur de « C'est fatigant la liberté… Une leçon de la crise » (éditions de l'Observatoire), analyse avec prudence deux phénomènes. « Quand la crise devient grave, il existe une capacité de sursaut, de dépassement de soi pour aller vers l'autre. J'observe cependant des élans contradictoires. D'une part, la tentation de ce que j'appelle sans jugement une société molle : s'installer à la campagne, briser le rythme frénétique de la vie citadine, se créer un cocon protecteur, méditer… De l'autre, il y a une énergie débordante, celle des jeunes par exemple qui veulent construire quelque chose dans cette société… Dans ce groupe, des colères peuvent apparaître, les jeunes ont payé le prix fort de la crise sanitaire. »

Prolonger les liens noués en virtuel

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Abigail Taugwalder, créatrice de la ligne bio Asagiri Beauty et professeure de yoga installée à Paris, n'a pas cessé pendant la crise sanitaire de donner des conseils de reconnexion aux autres (voir encadré). Avec une famille dispersée en Suisse, en Angleterre, au Japon, et des clients dans le monde entier, elle a su bénéficier des facilités offertes par les applications. « J'ai vécu au Japon où, depuis longtemps, le port du masque en cas de grippe ou de simple rhume fait partie du quotidien. J'ai aussi appris à m'intégrer dans la société japonaise en fuyant la bulle confortable des expatriés. J'étais en quelque sorte peut-être mieux préparée face à cette crise inédite. Mes cours de yoga n'ont pas remplacé l'atmosphère du studio, mais ils donnaient un but pour se lever tôt, des rituels qui font du bien mentalement. J'avais des clients issus de différents pays d'Europe. Ces cours nous ont permis de beaucoup échanger et à présent, puisque l'idée est de se retrouver physiquement, je vais organiser des retraites pour poursuivre nos discussions, ces rencontres qui étaient virtuelles tout cet hiver vont pouvoir devenir concrètes aux beaux jours. »

Trois conseils pour se reconnecter à soi-même

La créatrice de la ligne Asagiri Beauty et professeure de yoga Abigail Taugwalder a créé un programme de reconnexion à soi dans le but de s'ouvrir davantage aux autres. Ses conseils reposent sur trois idées principales :

- Se connecter avec soi-même par des pratiques holistiques et des balades dans la nature pour se sentir mieux dans sa peau après cette crise qui nous a rendus plus statiques que jamais.

- Rejoindre des amis, un groupe ou une communauté avec qui l'on partage un ensemble de valeurs et privilégier les échanges et conversations personnelles.

- Vivre dans le moment et aider quelqu'un d'autre par une bonne volonté inconditionnelle. Elle organise une retraite dans ce sens à Etretat en septembre. Informations https://lestilleulsetretat.com/laconscience

Cinéma, théâtre : l'émotion en partage

La culture, les loisirs en groupe absents depuis des mois de nos agendas sont des champs privilégiés de la reconnexion aux autres. L'inauguration très médiatisée d'un hôtel-cinéma à Paris , où chacun voit un film dans le cocon de sa chambre plutôt qu'en salle, est-elle annonciatrice d'un repli vers soi de la pratique culturelle ? Nathanaël Karmitz, le président du directoire des cinémas MK2 et créateur du « Paradiso », n'y croit pas.

« Notre hôtel n'a pas été imaginé pour répondre à la crise sanitaire actuelle. Le projet a été pensé depuis plus de sept ans avec mon frère Elisha. A l' 'Hôtel Paradiso', on trouve une expérience complémentaire - vivre le cinéma autrement - à celle des salles obscures. Charlie Chaplin disait que l'on se retrouve au cinéma pour rire et pour pleurer. C'est ce partage d'émotions qui contribue à l'expérience du cinéma, à sa magie. Paris est la capitale française du cinéma, et c'est avec émotion que l'on attend de le retrouver pleinement. » Les spectateurs auront l'embarras du choix pour retrouver l'ambiance des salles, plus de 500 films sont en attente de programmation en France.

« Soif de vivant »

Pour les acteurs et danseurs du théâtre et du spectacle vivant, le rapport au public a été quasi nul depuis des mois. Parelle Gervasoni, la directrice de la Compagnie Piste, a continué de travailler, elle a présenté sa dernière création, « Ici nos yeux sont inutiles », le 19 avril dernier au théâtre La Reine Blanche, à Paris, devant des professionnels. « Nous avons tous soif de vivant, d'un public, même si nous jouerons devant des gens masqués, ce qui peut être un peu déstabilisant. L'émotion partagée avec le public est différente tous les soirs. De part et d'autre du rideau, il n'est pas inutile de rappeler que ces échanges sont plus qu'essentiels », rappelle-t-elle.

© Amélie Fontaine pour «Les Echos Week-End»

Travail : de nouvelles marques à trouver

Sophie Arbib, la fondatrice de l'agence Exclusif Voyages, dont la programmation s'attache à faire découvrir des destinations à travers des rencontres et des expériences inédites, se révèle également optimiste : « Il faut apprendre à apprivoiser ses peurs, à vivre avec. Nos clients ont été très réactifs, dès l'annonce des campagnes de vaccination, ils se sont projetés pour les prochaines vacances avec des destinations lointaines comme l'Afrique australe, la Namibie, le Botswana, la Polynésie. Je rêve pour ma part de retourner au Japon. Partir à nouveau quand on le peut fait partie des essentiels, se remettre en question, chercher le mystère, l'inconnu, de nouvelles émotions. »

Avant la crise, les prémices d'une organisation différente du travail se profilait. Avec le Covid, tout s'est accéléré

Et dans le monde du travail ? Comment envisager le retour à une vie de bureau ? Stéphanie Picon est la directrice de GroupExpression, agence de communication et de représentation marketing spécialisée dans le tourisme et les loisirs.

« Souvenons-nous : avant la crise, les prémices d'une organisation différente du travail se profilait, cette nouvelle génération fraîchement sortie d'écoles manifestait son ambition d'équilibrer vie privée et vie professionnelle. Avec le Covid, tout s'est accéléré et pour une question de survie économique et sanitaire, les décisions ont été prises très vite. Le télétravail s'est imposé… Il a fallu comprendre, décrypter et insuffler les nouveaux codes de cohabitation professionnelle par écran interposé. Un ordinateur qui s'éteint sur un visage fâché ou contrarié laissera du vague à l'âme pour la journée, alors qu'un échange disgracieux en présentiel peut se régler dans l'après-midi autour d'un bon café ou d'un fou rire. Confiance, écoute et disponibilité sont les trois maîtres mots qui feront la différence entre l'avant et l'après-Covid », estime-t-elle.

Un rythme à tester

Au sein de son entreprise, l'organisation va s'adapter : « Nous avons instauré un rythme à tester ensemble et à faire évoluer si nécessaire. Trois jours minimum en présentiel pour une vie sociale en entreprise équilibrée et deux jours à la maison pour une plus grande concentration sur nos dossiers, ceci sous forme de roulement d'équipe. Sachant qu'une journée par semaine nous serions tous ensemble, prêts à dédier notre temps et notre attention à nos collègues. Et pourquoi pas sans ordinateur ni portable et, encore mieux, autour d'un bon déjeuner préparé ensemble. Entre-temps, nous avons grandi et appris… c'est ce qu'il faudra retenir de cette crise. »

Quid du vivre-ensemble ?

Fanny Rayon, coach bien-être à Paris, a eu l'idée de proposer des ateliers «posture» via Zoom à des entreprises. « J'ai senti que le fait de donner des conseils ergonomiques et des exercices afin d'être le plus confortable possible en télétravail à des groupes de collègues a ressoudé certaines équipes. Rire ensemble, être parfois un peu ridicule, a fait du bien à des équipes dont les échanges demeurent limités à de longues réunions via Zoom ou Teams. »

Sociologues et chercheurs ont pu observer à loisir les liens distendus au sein des groupes familiaux et professionnels. Quant à Jean-François Sirinelli, il a étudié en tant qu'historien la société dans son ensemble à travers son ouvrage « Ce monde que nous avons perdu. Une histoire du vivre-ensemble » (éditions Tallandier). Son regard plutôt pessimiste sur notre époque admet toutefois que « face à un ébranlement historique inédit, le vivre-ensemble a tenu, les épreuves nous ont soudés. » Sans cacher pour autant ses inquiétudes : « L'intérêt général n'est plus au coeur des programmes politiques. Notre système commence à montrer des signes de craquement et cette crise favorise ce que j'appelle les émiettements, je donne comme exemple le syndrome de la banquise, des groupes sociaux se détachent. Or ce vivre-ensemble, c'est savoir aussi être désunis avec des valeurs communes. »

L'historien, qui est l'un des grands spécialistes de la Ve République, rappelle dans ce contexte que « notre modus vivendi, l'intérêt général et les valeurs de la République reposent sur l'altruisme, la compassion, le souci de l'autre. » Un ensemble de valeurs pour nous guider à travers le calendrier du déconfinement où, en plusieurs phases, nous pourrons retrouver plus ou moins librement le goût des autres.

Sport, loisirs et partage pour renouer les liens

Plusieurs applications permettent de trouver des partenaires pour courir, faire du vélo comme Strava.com, l'un des sites les plus populaires. Meetup.com est spécialisé dans le partage d'activités en groupe (randonnées, visites de musées...), l'idée est de trouver d'autres fans d'un loisir dans sa ville, son quartier. Smiile.com vient de fêter ses 6 ans, le succès du site et de l'application tient à sa facilité d'utilisation pour connecter les habitants d'un quartier avec au programme : coups de main, échanges de conseils, de bons plans et rencontres autour de divers événements autour du dialogue citoyen, de jardins partagés, d'entraide entre voisins…

Jean-Michel de Alberti

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