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Avec #Balancetontiktokeur, les ados chassent leurs nouveaux démons sur les réseaux sociaux

TikTok France estime qu'«un important système de modération a été mis en place».
TikTok France estime qu'«un important système de modération a été mis en place». helpsmartphone

Les jeunes utilisateurs de TikTok dénoncent des abus d'ordre sexuels, des propos racistes ou misogynes. Ce hashtag catalyse les combats d'une génération marquée par #MeToo et #BlackLivesMatter.

Dil a seize ans, un maquillage parfait et de grandes boucles d'oreilles en forme de croix latines. Nous la rencontrons au cours d'un appel vidéo. «J'avais été contactée par des filles qui racontaient que des TikTokeurs avaient abusé de leur notoriété pour leur demander des photos dénudées, relate-t-elle. C'est pour ça que j'ai créé le hashtag #balancetontiktokeur». Comme bien d'autres histoires de déflagrations numériques, tout commence avec une jeune fille, et un hashtag.

Mercredi dernier, l'adolescente a provoqué une petite tempête sur le réseau TikTok qui compte, en France, 9 millions de visiteurs uniques et permet de réaliser des vidéos courtes et virales. En moins d'une journée, ses messages sont partagés des milliers de fois, entraînant une vive réaction de la secrétaire d’État à l’égalité Femmes-Hommes Marlène Schiappa, inquiète de voir ce réseau social prisé des jeunes adolescents signalé comme lieu de prédation sexuelle.

Dil affirme s'être directement inspirée du hashtag #balancetonyoutubeur, lancé en 2018 et qui dénonçait les agissements de vidéastes influents ayant profité de leur notoriété pour solliciter des images dénudées de mineures. Là où #balancetontiktokeur se distingue radicalement des mouvements précédents, c'est par sa volonté de dénoncer, au-delà des abus sexuels, l'ensemble des comportements «problématiques».

Et la liste est longue. Dans une série de tweets, Dil épingle ainsi sadfreedom, qui a demandé des photos dénudées à une jeune fille de «13 ans à l'époque», mais aussi «valentyndetry qui croit au racisme anti blanc, fait des blagues grossophobes», «Alois36, qui banalise le viol [est] homophobe, raciste, croit au racisme anti blanc et le défend, [est] mysogine (sic)» ou encore «Moncef_heisenberg.94 [qui] se moque ouvertement des femmes».

Dès lors, les accusations portent indistinctement sur des faits d'abus sexuels, et sur des propos jugés déplacés.

«Ça peut pousser à la dépression, mais le but, c'est de dialoguer»

Depuis le lancement du hashtag, un autre TikTokeur s'est pour sa part donné pour mission de réaliser des parodies de procès vidéos de personnes mises en cause. «Tribunal numéro six, c'est parti. J'appelle à la barre Clémence. Elle est accusée d'appropriation culturelle. On l'accuse ensuite d'avoir défendu son amie Ariane, qui ne soutenait pas la cause #blacklivesmatter. Elle aurait aussi dit des propos désobligeants envers la communauté maghrébine».

Durant un autre «procès», il se penche sur le cas d'Esther: «On l'accuse de ne pas prendre de photos avec ses abonnés. Je vous laisse screener (faire une capture d'écran de) la preuve numéro une. (...) Alors, Esther, coupable ou non coupable? Personnellement, j'ai mon avis. Réponse dans les commentaires». Bonne nouvelle pour Esther: cette fois la majorité des commentaires la jugent «non coupable». Neuf «procès» ont été publiés à ce jour, et chacun a été visionné entre 40.000 et 200.000 fois.

Le hashtag a engendré un flot continu et non hiérarchisé d'accusations. Luca, 19 ans et 580.000 abonnés sur TikTok, y a vu une occasion de dénoncer les comportements qu'il juge déplacés d'un autre utilisateur: «Je vous présente le charo [charognard, ndlr] numéro 1 de TikTok, toutes mes potes y sont passées !». Luca connaît personnellement le jeune homme qu'il a mis en cause mais admet ne lui avoir «jamais dit» que son comportement avec les femmes le dérangeait. «[Le hashtag] a émergé comme ça et moi, j'ai suivi», nous explique-t-il. «C’est vrai que ça peut pousser les gens à la dépression. Mais le but, c’est de débattre.»

Dil indique de son côté avoir reçu des menaces de mort pour avoir mis en cause des figures particulièrement populaire du réseau social.

Le nombre d'occurences du hashtag sur TikTok. Capture d'écran

Nom, prénom, numéro, adresse

En filigrane, les dénonciations faites sous le hashtag #balancetontiktokeur dessine une vision particulièrement tranchée de ce qui est autorisé, ou interdit. Pour cette génération qui se veut particulièrement éveillée concernant la question des discriminations, qu'est-ce donc que le racisme? «C'est par exemple l'usage du «n-word»», répond Dil du tac au tac, à savoir le mot «nigga» en anglais ou «négro» en français. Sur TikTok, l'usage, ou non, du «n-word» permet selon elle de distinguer les personnes racistes de celles qui ne le sont pas.

Car sur cette plateforme, les lipsync font partie des contenus les plus courants - or, le «n-word» est très fréquent dans de nombreux morceaux, de rap notamment. La convention TikTok veut que l'utilisateur, s'il est blanc, mime l'ensemble de la chanson, sauf ce mot.

«Pour moi les personnes blanche n'ont pas à utiliser le n-word car c'est tout simplement un manque de respect énorme envers les ancêtres des personnes noirs» nous explique Lana, 13 ans, par messages, car «pas très à l'aise au téléphone».

Mercredi dernier, elle dénonce sut Twitter une autre utilisatrice pour avoir mimé le «n-word» pendant un lip sync. Dans la foulée, Lana trouve le véritable nom de la jeune fille, son adresse, le nom de son collège, de ses parents, de ses frères et soeurs. Lana publie le tout sur Twitter et écrit à sa mère pour signaler l'emploi du «n-word». «Je ne l'aurais pas fait si c'était la première fois qu'elle faisait un TikTok en provoquant, mais ça fait plusieurs fois...» explique maintenant Lana, avant d'ajouter: «je regrette de l'avoir fait car c'était très intrusif». Elle a depuis supprimé le tweet.

Pour Dil comme pour Lana, il n'y a pas d'usage innocent ou mal informé du «n-word». «Avant, les gens laissaient passer des phrases racistes sous prétexte que la personne qui les disait était jeune. Maintenant, on ne fait plus l'erreur» explique l'initiatrice du hashtag avec détachement. «Moi, je n'ai jamais dit quelque chose qui pourrait offenser quelqu'un».

Avec #Balancetontiktokeur, les ados chassent leurs nouveaux démons sur les réseaux sociaux

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6 commentaires
  • Significativité et Représentativité i.e. Je parle du Système

    le

    "Les jeunes utilisateurs de TikTok dénoncent des abus d'ordre sexuels, des propos racistes ou misogynes. Ce hashtag catalyse les combats d'une génération marquée par #MeToo et #BlackLivesMatter." Mais pas du tout ! Ils sont aussi en recherche de moyen de se faire valoir, d'être à la mode que les générations précédentes, simplement ils sont hypermarketés et l'internet et ses mises en scènes par app interposées sont pour ces esprits un enjeu vital ! Il suffit de voir le succès des "battles" sur fortnite pour comprendre la vraie nature du phénomène... Ils sont en mésusage de l'internet, et comme pour la plupart à cet âge là, en mésusage de la vie.

  • corpData

    le

    Effarant

  • RMorion

    le

    Au lieu d'être une balance, n'est-ce pas mieux d'aller se confronter à la personne, d'assumer ?

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