Comment l’IA transforme déjà la façon de recruter

Le recrutement connaît, depuis bientôt dix ans, l’existence d’intelligences artificielles dites « prédictives ». Parce que les technologies d’IA sont rapidement apparues comme des outils permettant aux recruteurs de se dégager de tâches à faible valeur ajoutée, pour se recentrer sur l’aspect humain de leurs missions et accélérer ainsi la prise de décision, elles ont été rapidement intégrées à leur boîte à outils du quotidien.

En premier lieu, on a utilisé les IA prédictives pour faciliter l’identification et la sélection des candidats (sourcing), en automatisant l’analyse des candidatures (CV, lettres de motivation, profils LinkedIn, CVthèques en ligne…). À partir de critères de recherche objectifs, l’intelligence artificielle allait évaluer l’adéquation entre les attentes liées à un poste (compétences, valeurs fondamentales recherchées…) et les profils de candidats analysés. Une analyse de la compatibilité entre l’entreprise demandeuse et le candidat en recherche de poste en somme.

Une histoire de matching comme on en voit tant dans les applications de rencontres, mais surtout un gain de temps non négligeable dans la phase de pré-sélection des candidats, avant un examen humain plus approfondi.

Les IA prédictives ont également permis d’optimiser et de sécuriser encore les recrutements grâce à des évaluations de candidats facilitées, basées sur cette même idée de rencontre prévue entre les attentes de l’entreprise et du candidat, entre les valeurs propres à chaque partie, entre les soft skills du candidat et les qualités comportementales attendues pour exercer une fonction.

Des évaluations ciblées, adaptées à chaque type de poste, qui vont permettre à l’entreprise de définir le caractère plus ou moins évolutif d’un candidat, de mieux organiser la phase d’intégration ou encore d’anticiper les besoins de formation, immédiats ou à venir. En définitive, ces outils viennent en soutien de l’analyse du recruteur, comme une garantie supplémentaire pour les RH, qui ne connaissent que trop bien le coût d’un recrutement raté ou les problématiques liées à un turnover élevé.

D’ailleurs, selon une enquête Deloitte menée en 2018, 22% des organisations les plus performantes en RH auraient recours à un recrutement « prédictif » ou « augmenté », contre 6 % parmi les organisations les moins performantes dans ce domaine.

L’intégration récente des IA génératives dans les processus de sélection

L’année 2023 a vu l’avènement de nouvelles formes d’intelligences artificielles : les IA génératives, capables de générer textes, langage parlé, images ou contenus vidéo. Qui n’a pas entendu parler de ChatGPT, ce méga-générateur de texte, que l’on a même imaginé, faute d’éthique peut-être, remplacer la plume des journalistes ou des scénaristes de la Silicon Valley ?

Lors d’un recrutement, les IA génératives textuelles, telles que ChatGPT, trouvent déjà de nombreuses utilisations. À partir de données fournies, liées aux compétences requises, aux responsabilités et qualifications attendues pour un poste donné, cette IA peut générer des offres d’emploi et des descriptifs de poste à la fois précis et a priori plus inclusifs, permettant d’attirer une plus grande diversité de candidats. Elle aidera également le recruteur dans la rédaction de rapports d’entretiens, voire de contrats de travail, le libérant ainsi de multiples tâches fastidieuses.

En parallèle, nombre de candidats commencent à intégrer l’outil dans leur processus de candidature, sollicitant les IA génératives pour créer des lettres de motivation à la tonalité personnalisée ou des CV innovants dans leur organisation. Mais attention, l’IA produit du contenu à partir de données existantes et ne se révèle pour l’heure pas exactement créative, ce qui pourrait finalement desservir certains candidats.

Les Large Language Models (modèle de langage à grande échelle, en français) sont des modèles d’intelligence artificielle capables de comprendre et de générer du langage humain. Elles sont ainsi à même d’organiser, de traduire, de synthétiser ou de générer des textes. Si l’on quitte le texte écrit pour le langage oral, on comprend que de tels modèles pourraient à l’avenir être utilisés dans le cadre d’entretiens d’embauche virtuels (permettant d’évaluer les compétences), d’entretiens vidéo automatisés (visant à analyser les comportements : langage non verbal, attitudes, tonalité du discours, etc.) ou tels des chatbots, pour fournir des informations sur la culture de l’entreprise qui recrute, en réponse aux questions fréquentes des candidats.

Concernant l’évaluation des compétences, l’IA générative va plus loin que l’IA prédictive. Alors que l’IA prédictive générait des évaluations par la mise en commun d’éléments aboutissant à la production d’un modèle prédictif de référence, l’IA générative va créer, à partir d’une demande spécifique, un problème que le candidat évalué aura à résoudre factuellement. L’IA évaluera ensuite les retours fournis pour les confronter à la solution dont elle a connaissance, de manière à générer une évaluation de la compétence testée, qu’il s’agisse de management, de la maîtrise d’un outil ou d’une langue, de programmation web ou encore de développement commercial. Les résultats de plusieurs candidats pourront ensuite être comparés pour faire émerger le meilleur des postulants.

Le rapport « IA & recrutement : quand le futur du travail est en avance », publié en juin dernier par Tomorrow Theory (une agence d'innovation RH leader sur les problématiques du web3 RH), présente également d’autres cas d’usage aujourd’hui peu développés mais a priori prometteurs pour les professionnels des RH et du recrutement.

Les limites et les risques d’une utilisation accrue de l’IA dans le recrutement

Les capacités de l’IA sont immenses, tentaculaires. Il convient par conséquent de ne pas tomber dans l’angélisme et de rester vigilants quant à l’encadrement des utilisations qui en sont faites, pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes.

Si la documentation scientifique tend à faire défaut, de nombreux cas d’usage ont déjà révélé des irrégularités, ou l’apparition de biais et de discriminations dans les IA. Parmi les plus célèbres, le cas d’une campagne de recrutement discriminatoire d’Amazon en 2014, mais il ne s’agit pas d’un cas isolé.

Il est de notoriété publique que les modèles d’IA sont « entraînés » sur des volumes de données considérables, qui sont eux-mêmes potentiellement porteurs de biais ou d’une trop faible diversité (ethnique, socio-culturelle, etc.), que de nombreuses hypothèses entrées dans le paramétrage de l’outil n’ont pas, à l’heure actuelle, de valeur scientifique et peuvent donc aboutir à un traitement arbitraire (et donc biaisé) des données... Comment alors s’assurer que le modèle ne reproduit pas les biais rencontrés ? Comment garantir une juste représentation sociologique au cœur des données utilisées pour entraîner les IA sur des modèles de données non discriminants ?

Parce que les utilisations de l’IA nécessitent à la fois plus de transparence sur les modèles, leur fonctionnement et les résultats produits, mais aussi plus de contrôle, de confrontation scientifique et de mise en conformité, l’Union européenne a approuvé le 8 décembre 2023 le tout premier projet de règlementation des utilisations de l’Intelligence Artificielle à travers l’« AI Act ».

Ce cadre légal classe les systèmes destinés à être utilisés pour le recrutement dans la catégorie des « systèmes d’IA à haut risque » et bannit même l’utilisation de la reconnaissance faciale des émotions dans l’environnement de travail. Il vise à encadrer les utilisations pouvant avoir un impact négatif sur les droits fondamentaux des personnes et à garantir l’équité, le respect de la vie privée et la protection des données.

En parallèle, le respect du RGPD par l’ensemble des organisations est un point central pour que l’IA ne puisse accéder à des données personnelles, confidentielles ou relevant de la vie privée des candidats à l’emploi ou des salariés.

En France, la poursuite du travail conjoint entre les acteurs de l’emploi et de l’éducation, les associations de lutte contre les discriminations et les institutions (ministère de l’Emploi, de l’Egalité, France Travail, …) reste à l’évidence aussi nécessaire qu’essentiel.

Les technologies d’intelligence artificielle promettent donc un gain d’efficacité et d’efficience, pour des missions de recrutement toujours plus performantes. Mais l’utilisation des IA est porteuse de nombreux enjeux éthiques, tant en matière de non-discrimination que de confidentialité et de sécurisation des données.

Les professionnels du secteur devront par conséquent fournir une information claire et précise des utilisations faites de l’IA dans le cadre d’un processus de sélection ou d’évaluation, de respecter également des règles garantissant la conformité de l’intelligence artificielle utilisée et d’assurer un audit régulier des systèmes. C’est à ce prix que l’on pourra imaginer une utilisation à la fois juste et durable des technologies d’IA dans le recrutement, utilisation à laquelle l’expérience humaine viendra apporter pertinence et finesse pour des recrutements réussis, diversifiés et inclusifs.