Owni, un média venu d’ailleurs

Depuis leur “soucoupe” cachée dans le 11e arrondissement de Paris, une joyeuse bande publie ses infos sans souci de rentabilité immédiate. Sur le site owni.fr, on traite de l’actu du numérique, mais aussi des médias, d’éducation, de réseaux sociaux… Leur maître mot ? Rester libres et innover encore et encore dans le traitement et la présentation de l’information. Reportage de notre envoyé spatial.

Par Antoine Mairé

Publié le 05 octobre 2010 à 00h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 10h41

Faite de bric et de broc : c'est la première impression que l’on ressent quand on arrive à la rédaction d'Owni.fr, à deux pas de la place de la République, à Paris. Une rédaction perchée sous les combles, signalée depuis la rue par des affichettes A4 sur lesquelles est inscrit « 22mars », la société éditrice du site. Quatre petites pièces, qui ressemblent un peu à des préfabriqués, où les bureaux sont de simples planches posées sur tréteaux. Sous l’œil somnolent de Louloute, la mascotte canine des lieux, une vingtaine de personnes sont affairées, malgré la pénurie de café.

Avril 2009 : des gens venus du Net se rassemblent sur le Net. Leur idée : créer un média innovant. Pour cela, une communauté faite de plusieurs centaines d’auteurs se forme pour favoriser le débat public sur les libertés numériques. Un an et demi plus tard, six à huit articles sont publiés chaque jour sur Owni, dont un tiers existent déjà ailleurs (« des cross-posts »), avec la volonté d'être un média à part entière. La question numérique constitue l'ADN du site, mais l'on y traite autant de l'actualité des médias, d'éducation, de politique, des réseaux sociaux, de culture geek, du business de la musique, etc. Tout est publié sous la licence Creative Commons – c'est-à-dire la possibilité pour les internautes de réutiliser gratuitement une œuvre intellectuelle dans le respect du droit d'auteur. Owni serait donc une plate-forme de partage journalistique épousant une certaine utopie de l'Internet collaboratif.

De fait, le modèle économique d'Owni tranche avec celui des médias traditionnels : il est à but non-lucratif avec, dans le rôle du mécène, la société 22mars, présidée par Nicolas Voisin (qui s'est fait connaître avec la webTV Politic'Show). 22mars gagnant de l'argent grâce à la création de sites et de médias sociaux, de la formation ou du conseil en stratégie en ligne, Owni n'a pas besoin de rentabilité financière. Du coup, il n'y a pas de pub sur le site. L'abonnement payant ? Tout aussi hors de question. Un privilège, selon Nicolas Voisin, cofondateur et directeur de la publication : « On ne cherche pas à faire du chiffre mais à créer du lien. On peut se permettre de faire primer le qualitatif sur le quantitatif : on gagne chaque mois plus qu’on dépense. Cela nous rend libre. » Dans un édito, il détaille le chiffre d’affaires : 234 000 € en 2009, et un objectif de un million pour 2011. La situation est d’autant plus confortable que, dans le cadre d'une levée de fonds, un investisseur s’est manifesté en la personne de Xavier Niel, fondateur de Free et bientôt actionnaire du groupe Le Monde [auquel appartient Télérama, NDLR].

Pé-da-go-gie, donc, comme nous le répètent les habitants de la soucoupe – le petit surnom du site –, comme pour justifier une démarche aussi rafraîchissante qu’éloignée des habitudes médiatiques. Même si elle peut parfois recouvrir certaines approximations. Fin juillet, le site mettait au point l’application War Logs, encourageant quiconque à picorer parmi la mine d’information délivrée par Wikileaks. A l’intérieur se trouvaient les fameux noms de sources afghanes. Un document brut doit-il être transmis au lecteur sans médiation journalistique ? A cette polémique, il était répondu que les informations avaient déjà été inspectées par d’autres journaux. Au-delà des tâtonnements inhérents à toute innovation, cette application était également remarquable pour être le fruit d’un partenariat avec Le Monde diplomatique et Slate.fr. Ajoutons à celui-là les réguliers « cross-posts » avec Mediapart et Rue89 pour assurer qu’aujourd’hui la parole d’Owni compte. Et peu importe que le nombre de visiteurs uniques par mois ne soit « que » de 150 000, le site se fait progressivement une place sur les carrefours de l'information française. Voire plus : il vient d’être nommé aux très réputés Online Journalism Awards, sortes d’Oscars du Web à l’échelle mondiale.

Cette reconnaissance, au moins par ses pairs, donne à l'équipe des désirs d'avenir. Ainsi vient de naître Ownimusic, pour analyser les fertiles territoires musicaux en matière de possibles business-models. Citons aussi la section en anglais Owni.eu, et surtout cette prochaine « aventure journalistique [qui sera] politique », intitulée pour le moment ORTF, afin de préparer la prochaine élection présidentielle. Une publication papier est même envisagée, sur le modèle de la revue Usbek & Rica. Au fait, Owni, cela veut dire Objet Web Non Identifié. L’affirmer ferait un beau cliché pour finir un article, on n’y coupe pas.

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