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Le Qatar mise sur l'« économie de la connaissance »

Le pays se dote d'un vaste campus qui accueille des universités américaines de renom et un parc technologique. A la clef, un ambitieux projet éducatif et culturel.

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Publié le 19 juin 2008 à 01:01

C'est sans doute la cérémonie de remise des diplômes la plus grandiose qu'on ait vue depuis des lustres. Elle s'est tenue début mai _ non pas à Harvard, ni à Cambridge ou à Chicago, mais... en plein désert, à Doha, au Qatar. Des diplômés en toge sous un chapiteau flambant neuf, des milliers d'invités en costume occidental ou en djellaba, la voix du ténor Andrea Bocelli résonnant sur une immense esplanade et, pour finir, un banquet géant au milieu des palmiers et des pyramides de marbre rose... En prime, le ballet des limousines et les faisceaux des projecteurs. Tradition et modernité réunies.

Le 6 mai dernier, en effet, quatre universités de renom (Virginia Commonwealth University, Weill Cornell Medical College, Carnegie Mellon et Texas A&M), toutes d'origine américaine, remettaient leur parchemin à 122 de leurs premiers étudiants _ dont 55 étrangers, de 17 nationalités. Installées à Doha depuis deux ou trois ans, elles ont répondu à l'appel de la Qatar Foundation, créée en 1995 par l'émir du Qatar. Le projet phare de la fondation a pour nom « Education City » : un campus de 1.400 hectares, destiné à accueillir institutions de formation et de centres de recherche, parmi lesquels des antennes d'universités leaders dans le monde _ on en dénombre cinq aujourd'hui. Un campus encore en gestation, mêlant, aux portes de Doha, bâtiments ultra-modernes et chantiers en cours, avec leur forêt de grues, dans un brouillard de sable et de chaleur.

Préparer l'après-pétrole
Education City comprend aussi un parc technologique dernier cri, hébergé dans un bâtiment de 45.000 mètres carrés et destiné à accueillir les centres de R&D de grands groupes, ainsi qu'un incubateur pour des jeunes pousses. EADS, ExxonMobil, Microsoft, Cisco et Total figurent parmi les compagnies qui se sont engagées à investir ensemble 225 millions de dollars dans la recherche appliquée. Shell vient d'y ouvrir ses laboratoires. On y trouve également Sidra, un centre hospitalo-universitaire de 350 lits, qui a bénéficié d'une donation de 7,9 milliards de dollars _ la plus importante jamais accordée à un hôpital _ et se spécialise dans les maladies féminines et infantiles, le diabète, ainsi que dans la génomique.

Avec cet outil, le Qatar se fixe un objectif très ambitieux : mettre sur pied, à l'horizon de vingt ans, une « économie de la connaissance » parmi les plus avancées dans le monde. Rien de moins. Une façon pour le pays d'investir ses milliards de « pétrodollars » dans des domaines d'avenir et de préparer l'après-pétrole (et l'après-gaz). « Nous avons retenu cinq axes de travail : moderniser notre économie, répondre aux besoins des générations futures, préserver notre environnement, organiser une immigration choisie et conduire un changement maîtrisé », expose en substance Ibrahim Al-Ibrahim, secrétaire général du plan du Qatar. Un projet longuement réfléchi et débattu avec des experts et des responsables de tous horizons. Il vise, en outre, à permettre aux étudiants du Qatar de « rester au pays », à un moment où nombre d'entre eux peinent à obtenir des visas pour les Etats-Unis.

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Dans ce contexte, l'éducation est la priorité affichée. « Investir dans l'éducation, quel qu'en soit le coût, est le choix le plus prometteur en termes de développement humain et de progrès économique », affirme l'émir du Qatar, Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani.

Enormes moyens financiers
Certains, bien sûr, se montrent sceptiques devant ce projet pharaonique. A y regarder de plus près, pourtant, l'initiative ne manque pas d'atouts. D'abord, bien sûr, parce qu'elle bénéficie de moyens financiers quasi illimités, grâce à la rente que procurent les hydrocarbures. De quoi financer la construction de bâtiments somptueux et attirer des étudiants de bon niveau _ ils acquittent les mêmes droits de scolarité que sur leur campus d'origine, mais peuvent se voir attribuer des bourses et des aides « sans considération liée à leur nationalité ». De quoi, surtout, faire venir des institutions prestigieuses et des professeurs de renom. « Nous bénéficions ici de conditions de travail extraordinaires », s'enthousiasme ainsi Annie Ruimi, une Française qui enseigne la technologie à la Texas A&M. Pour être éligibles, les institutions doivent répondre à deux exigences : offrir un enseignement de haut niveau et accorder leur diplôme. Quant à la recherche, le Qatar y consacre déjà 2,8 % de son PIB _ contre 2,4 % pour la France.

Position privilégiée
Autre point fort : le dynamisme entrepreneurial hors pair des Qataris. « Il y a ici des gens de toutes nationalités, qui ont envie de faire des affaires, qui en ont les moyens et qui n'hésitent pas à se lancer », explique le docteur Mamdouh Farid, un Egyptien installé au Qatar depuis une vingtaine d'années et qui dirige un important centre dentaire international. Sans compter que, paradoxalement, le fait de partir de zéro peut être un avantage non négligeable, face à des concurrents _ européens, notamment _ parfois empêtrés dans les pesanteurs du passé.

Enfin, un coup d'oeil sur une mappemonde montre que cette région du monde dispose d'une position géographique privilégiée, à quatre heures d'avion au plus de l'Inde, de la Chine, du Pakistan... Le Qatar espère ainsi séduire des étudiants de tous ces pays et jouer un rôle de hub pour l'enseignement supérieur entre l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient. D'autant que rien ne lui interdit de tabler sur une redistribution mondiale des cartes dans ce domaine, à un moment où émergent de nouveaux acteurs de poids en Asie (en Chine, à Singapour...).

Au demeurant, le Qatar n'est pas le seul pays de la région à miser sur la formation et sur la culture. Dubaï accueille ainsi, depuis trois ans, l'un des principaux Salons mondiaux de l'éducation, le Getex. L'université Lyon-II prévoit de s'y installer dès la rentrée, avec l'école Louis-Lumière. Et l'EM Lyon y ouvrira un campus en 2009. Abu Dhabi, de son côté, héberge désormais la Sorbonne, ainsi que le Celsa de l'université Paris-IV. L'Insead s'y est implanté en septembre dernier. L'Arabie saoudite vient d'inaugurer, sur 3.600 hectares, le chantier de la KAUST, l'université de science et technologie du roi Abdullah, qui ambitionne de devenir « l'un des premiers centres de recherche au niveau international ». Deux des principaux musées mondiaux, le Louvre et le Guggenheim, ouvrent à Abu Dhabi (« Les Echos » du 30 mai). Bref, toute une région du monde, forte des milliards de dollars du gaz et du pétrole, investit désormais dans la connaissance.

JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI

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