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Andriy Lyubka, poète et romancier ukrainien : « Nous avons appris à vivre sans faire attention à la mort »

Pendant les deux années de guerre, la mort est devenue partie prenante du quotidien, explique, dans une tribune au « Monde », l’auteur, qui continue à écrire pour témoigner des horreurs de l’invasion russe.

Publié le 24 février 2024 à 06h00 Temps de Lecture 8 min.

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Où étiez-vous ce matin-là, quand la grande guerre a éclaté ?

Telle est mon histoire : la guerre s’est annoncée chez moi par le fracas des explosions qui retentissaient au loin derrière la fenêtre, mais je n’y ai d’abord pas cru. J’ai pensé que j’étais encore en train de rêver. Puis, à l’étage de la maison de mes amis, les portes ont claqué, et des paires de chaussons ont bruyamment dévalé les marches de l’escalier. « C’est la guerre, ils ont fermé l’espace aérien », a dit Katia, la maîtresse de maison. Elle a parlé de l’espace aérien car je devais prendre l’avion dans les deux heures pour aller présenter mon roman à Vilnius, en Lituanie. Sa voix au sortir du sommeil m’a semblé rauque et masculine, éraillée et enfumée. En réalité, c’était le son de la peur, une peur animale. Dans la cuisine, leur gros chien se tenait debout devant la fenêtre et observait le ciel sombre en poussant des aboiements effrayés au son des missiles et des avions de chasse.

Chaque Ukrainien a imprimé à jamais dans sa mémoire cette lugubre matinée du 24 février 2022, lorsque l’invasion a commencé. Telle personne a été réveillée par le son des explosions, telle autre par les sonneries répétées des appels de ses parents. Chacun se souvient dans les moindres détails de cet instant. C’est un souvenir qui transperce toutes nos vies. Cette expérience commune fait de nous plus qu’un simple peuple, une société plus rapprochée, plus intime, quelque chose qui relève plus de la structure familiale. Parce que, cet instant, nous l’avons vécu ensemble.

Arrêt sur images

Par la suite, il y a eu encore beaucoup d’autres épisodes, des alertes et des larmes, de la douleur et de la colère, mais ce sont vraiment ces premières secondes qui me font penser à un arrêt sur images. Je peux restituer le moindre détail alentour : la température de l’air, les verres sur la table après le repas de la veille, l’aiguille de l’horloge au-dessus de la porte d’entrée, l’odeur du chien dans la pièce, la froideur du carrelage sous les pieds. Ce fut le moment le plus important de ma vie.

Après quoi, tous mes plans ont été bouleversés. Il est possible que je ressente de la même manière, avec la même acuité et que je me souvienne pareillement du moment où j’apprendrai que la guerre est terminée. A condition, bien sûr, que je survive jusque-là.

Depuis lors, il s’est écoulé deux terribles années. Qu’est-ce qui a changé en nous et autour de nous ? Le changement le plus important, c’est que nous nous sommes habitués à la guerre. Elle est devenue partie prenante de nos vies, de notre routine quotidienne. C’est le changement le plus terrible, car enfin nous nous sommes acclimatés à quelque chose d’absolument anormal, d’épouvantable, nous avons appris à vivre sans y faire attention.

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