Municipales : soutien aux listes autonomes «communautaires», contre le discours séparatiste de Macron

Une menace sourde plane sur les prochaines élections municipales françaises : le spectre de listes « communautaires », dans de grandes villes que se disputent les organisations politiques, dans le contexte ouvert par la faillite du PS et de LR. Perçues comme faisant planer la menace d’une « forme de sécession »[1] de territoires avec l’ordre républicain, des listes telles que celle de Samy Debah à Garges-Les-Gonesse[2], d’Abdelaziz Hamida à Goussainville[3], ou celles présentées par l’Union des Démocrates Musulmans Français (UDMF)[4], produisent une hystérie collective et sont érigées en menace pour l’État et « la République », dont certains représentants (tels que l’élu LR Xavier Bertrand) se voient fondés à évoquer sans la moindre réserve la possibilité d’interdire purement et simplement à toute une catégorie de la population l’exercice des droits démocratiques d’une République qu’ils prétendent défendre. Après des débats où les différentes traditions politiques ont rivalisé de propositions de lutte contre « l’islam politique » et le « repli communautaire », le Président Macron s’est finalement prononcé contre l’interdiction formelle de ces listes en novembre dernier, tout en promettant de nouvelles actions contre le « communautarisme »[5]. Il présentait cette semaine et mardi à Mulhouse[6] un nouvel ensemble de mesures et de slogans pour la « reconquête républicaine »[7] de territoires menacés de « séparatisme islamiste »[8], nouveaux labels macroniens qui viendront renforcer l’attaque permanente de l’État français, sa police, ses universitaires et ses préfets contre l’Islam et ses traditions, son organisation et ses fidèles, et alourdir l’ensemble des dispositifs racistes pesant déjà sur l’existence des indigènes en France.

L’histoire de l’immigration indigène en France est l’histoire d’un long déni de droit, et d’une longue lutte contre la frontière coloniale la subordonnant dans une moindre humanité, ici une moindre citoyenneté. Mara Kanté, qui mène aujourd’hui sa campagne à Sarcelles[9], avait été accusé à tort à l’issue des révoltes de Villiers-Le-Bel en 2007 et avait fait 29 mois de prison pour rien, avant d’être acquitté en 2011. Un exemple, parmi de milliers d’autres, des réalités de la condition indigène en France. La seule réalité du « séparatisme » dénoncé par le gouvernement, c’est celle produite par le pouvoir lui-même : c’est ainsi bien plutôt la séparation, la relégation et la répression que ce dernier impose aux Musulmans, Arabes, Noirs, Rroms, des quartiers « populaires », au nom de sa lutte politico-sécuritaire contre le « communautarisme », les « racailles », la « radicalisation » ou l’ « intégrisme ».

Ce spectre de l’Ennemi Intérieur qui justifie la discrimination, l’invisibilisation et la réduction au silence de toute une catégorie de la population, cette « guerre contre l’islam politique »[10] à laquelle souscrit la presque totalité des acteurs politiques[11], cette « hydre islamiste » [12] nourrie par des « influences étrangères »[13] brandie par le gouvernement n’a rien de nouveau et vient de loin. Cette figure succède et complète le spectre de la Racaille de banlieue, du Fellaga, du Mahométan, du Maure, du Barbare. Et si cette figure de l’Ennemi, à laquelle les populations issues de l’immigration postcoloniale sont associées, est effectivement fantasmatique, faite d’un ensemble d’images spectrales et mouvantes, elle a des effets réels sur les populations prises dans les dispositifs de pouvoir mis en place au nom de la lutte contre elle. Cette menace de « sécession » de populations accusées de nourrir « un projet de séparation d’avec la République »[14] que les représentants politiques brandissent en l’associant au spectre du « communautarisme » exprime la crainte d’un phénomène réel, que les autorités de l’État colonial français appellent à combattre avec tous les moyens d’un état d’exception : l’autonomie de l’existence politique indigène.

Le terme « autonomie », à force d’être galvaudé par ses mésusages politiques, est l’un des plus malmenés du langage politique français contemporain. Des organisations d’extrême gauche aux dissidents de la République en marche, chacun en a sa définition, de contenu variable. Les élections municipales à venir vont à cet égard à nouveau confirmer la plasticité du concept. Mais si le concept est manipulé avec tant de légèreté, au sein d’un marché politique qui le vide de son sens, c’est l’autonomie indigène qui fait l’unanimité de la classe politique, et de l’action du pouvoir, contre elle. Notre « communautarisme » vaut bien un front commun contre nous, appelé par le Ministre des Collectivités Territoriales en personne pour empêcher que nous « prospérions »[15]. Pour nous, PIR, la définition de l’autonomie est intimement liée à la nature même de notre combat pour l’existence politique et sociale : l’autonomie politique, c’est la possibilité pour les problématiques propres à l’immigration postcoloniale d’être portées pour elles-mêmes et par elles-mêmes, sans l’interférence des organisations politiques, de gauche comme de droite, qui tentent de perpétuer l’invisibilité de celles-ci. L’autonomie est une stratégie d’organisation qui vise à conquérir les moyens de traduire une puissance en pouvoir politique effectif. L’autonomie politique, c’est la stratégie à travers laquelle se construit, se maintient et se renforce ce pouvoir. L’axe commun du champ politique dominant, c’est la lutte contre cette puissance.

Cette lutte produit une forte pression sur les organisations politiques indigènes qui se lancent sur la scène électorale : elles doivent souvent réformer leur discours pour ne pas « donner d’armes à l’adversaire », intégrer un volet sécuritaire à leurs programmes afin de donner des « gages », rester floues sur leur vision économique générale, ou donner un rôle central à la « diversité » européenne dans leurs listes en insistant sur le caractère « républicain » et mixte de leurs projets. Ces initiatives restent donc ainsi souvent éminemment contradictoires[16], comme toute lutte indigène. Malgré ces contradictions, l’autonomie politique se maintient en s’attachant à préserver deux de ses dimensions : la première, sur le fond, touche à la nature des revendications portées, la seconde, sur la forme, porte sur l’autonomie du mouvement et des organisations portant ces revendications. Une liste électorale colorée de quelques habitants des « quartiers populaires » n’est pas une liste autonome, tout comme un ensemble de revendications programmatiques édulcorant le programme d’un parti politique issu du champ politique blanc ne participe pas de l’autonomie de ces problématiques.

Pour autant, ces formes évoquées plus haut, listes « citoyennes », « participatives » et assimilés, appelées à se multiplier, participent toutes, lorsqu’elles récupèrent certains des nôtres ou récupèrent nos mots, de l’expression de notre puissance politique, celle de l’immigration postcoloniale et de ses revendications. Le fait de réussir à forcer les organisations de gauche à se réformer, à faire un compromis avec ceux qu’on nomme encore pudiquement « les quartiers » en leur accordant des places et en réformant leur discours est une victoire en soi. Le fait, qu’aujourd’hui, de l’extrême gauche à la droite on se presse de faire figurer des visages issus de l’ « immigration », et que certaines digues idéologiques cèdent, est le reflet de l’avancée de la puissance politique indigène en construction.

Mais si l’on doit se féliciter de ces avancées, on doit se souvenir des conditions qui les rendent possibles : la progression de ces problématiques et la percée de certains indigènes au sein du champ politique blanc est le fruit de l’avancée d’un rapport de force construit en grande partie à l’extérieur de ce champ. Autrement dit, c’est l’existence politique indigène autonome qui force peu à peu le champ politique blanc à un compromis. Quand la France Insoumise, les débris du Parti Socialiste et LREM courent après les indigènes, c’est également pour contrer l’avancée de cette puissance.

Ces avancées sont ainsi l’expression à la fois d’une puissance, et de la volonté d’endiguer celle-ci. Et cette puissance, celle des populations issues de l’immigration postcoloniale, celle des habitants des quartiers dits « populaires », celle des Musulmans, des Noirs, des Rroms, de tous les Suds du Nord, est férocement combattue par le pouvoir, qui en combat toutes les expressions et en craint l’existence politique. Du traitement colonial des quartiers à la diabolisation de l’Islam en passant par l’obsession identitaire du Grand Remplacement et les politiques migratoires tuant chaque jour en Méditerranée, le pouvoir blanc n’a de cesse de vouloir encadrer, contrôler, maitriser cette puissance. Sa réaction face à notre existence est toujours la même, elle passe par la construction d’un spectre fantasmagorique : celui des « communautaristes », des « racistes anti-blancs », des « intégristes », des hordes de migrants venus déborder les vieilles sociétés européennes. Criminalisée, fantasmée, traitée comme une menace, la puissance politique des indigènes avance pourtant, portée par le travail de fond de la multitude d’acteurs participant de son expression autonome : ce sont les acteurs de l’antiracisme politique et de la lutte contre les violences policières racistes, les organisations de lutte contre l’islamophobie et la négrophobie, des collectifs de sans-papiers, qui ont su affirmer la dignité de nos combats, leur urgence et leur spécificité. La mise à l’agenda de la question des violences policières, de la lutte contre la négrophobie et l’islamophobie, sont les preuves de notre avancée. Les intimidations, les calomnies, le chantage, les trahisons et les menaces en sont le prix.

Les prochaines échéances municipales, dans le contexte de recomposition politique ouvert par la faillite des deux anciens grands partis de gouvernement, verront se multiplier les initiatives se revendiquant des intérêts des indigènes. Le PIR appelle à soutenir toute liste qui portera les intérêts des indigènes par eux même et pour eux-mêmes, en toute autonomie vis-à-vis des organisations dominantes du champ politique blanc, qu’elles soient nos ennemis déclarés ou nos amis prétendus.

PIR


[1] Dans les termes du sénateur LR Bruno Retailleau.

[2] Municipales : à Garges-lès-Gonesse, le spectre du vote communautariste, Le JDD, 18/02/2020

[3] Val-d’Oise : taxé d’être fiché S, le candidat Hamida porte plainte en diffamation, Le Parisien, 29/09/2019

[4] TRIBUNE. « Face au communautarisme, nous ne devons pas céder au défaitisme », Le JDD, 18/01/2020

[5] Municipales : Macron contre l’interdiction des listes communautaires , Le Parisien, 19/11/2019

[6] Il se félicitera à l’occasion de la fermeture d’écoles et de mosquées, en guise de bilan de l’action de « reconquête républicaine » du territoire.

[7] Face au « séparatisme islamiste », Emmanuel Macron prône la « reconquête républicaine », France 24, 18/02/2020

[8] Macron dévoile sa stratégie de lutte contre le « séparatisme » islamiste , Le Point,16/02/2020

[9] Municipales à Sarcelles : le nouveau «grand défi» de Mara Kanté, Le Parisien, 2/12/2019

[10] Des élus LR tels que Guillaume Peltier considèrent que le gouvernement « est en train de perdre » cette guerre.

[11] Jean-Luc Mélenchon dans sa réponse aux annonces d’Emmanuel Macron fera à la fin de son allocution cette précision : « Le communautarisme c’est précisément quand une communauté décide que les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même s’appliquent contre les lois, et en dépit de ce que pensent les membres de cette communauté. Voilà ce qu’est le communautarisme. C’est en quelque sorte ce que le président de la République croit redécouvrir en parlant de « séparatisme ». Le communautarisme est notre adversaire. »

[12] Attentat à la Préfecture de police : Macron appelle la nation à se mobiliser face à « l’hydre islamiste », Le Monde, 8/10/2019

[13] L’ « influence étrangère » pouvant autant toucher le financement de la construction de mosquées que l’enseignement des langues et cultures d’origines, dont il s’agit de « reprendre le contrôle » Emmanuel Macron : le plan du gouvernement contre le communautarisme, Francetvinfo, 18/02/2020

[14] Emmanuel Macron sur le communautarisme: « Dans certaines communes, un projet de séparation d’avec la République progresse » ,BFMTV, 19/11/2019

[15]Listes communautaires : Lecornu appelle à «empêcher cette menace de prospérer», Le Parisien, 16/10/2019

[16] Sur les contradictions de la lutte pour les droits des musulmans, Sadri Khiari a ces mots : « Si elle reste prise aujourd’hui dans les filets de l’intégrationnisme, la revendication de l’égalité juridique des musulmans recèle en son sein l’exigence de l’égalité réelle, laquelle contient la volonté d’exister collectivement, d’être représentés institutionnellement en tant que tels et de participer à la définition même de la nation. (…) Cet islam procède du mouvement de consolidation de la puissance politique indigène. Éminemment contradictoire ? Oui, mais c’est le propre de toute résistance indigène (et de toute lutte des dominés). Sa signification historique n’est jamais donnée en amont, elle appartient au futur; elle sera le fruit de l’évolution des rapports de forces. »

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